Apollinaire, Calligrammes, Il pleut
Poème étudié
Il pleut des voix de femmes comme si elles étaient mortes même dans le souvenir
C’est vous aussi qu’il pleut merveilleuses rencontres de ma vie ô gouttelettes
Et ces nuages cabrés se prennent à hennir tout un univers de villes auriculaires
Écoute s’il pleut tandis que le regret et le dédain pleurent une ancienne musique
Écoute tomber les liens qui te retiennent en haut et en bas.
Apollinaire, Calligrammes, Il pleut
Introduction
Ce poème fait partie des Calligrammes. Apollinaire les a d’abord appelé « idéogrammes lyriques ». Un calligramme est la mise en forme de mots qui représentent un dessin, une image en relation avec le contenu du texte.
Très jeune, Apollinaire s’est intéressé à l’écriture cunéiforme et au chinois (écriture idéographique).
Depuis le mouvement symboliste, on s’intéresse à la disposition typographique des mots dans la page. Au même moment, il y a le futurisme qui s’épanouit en Italie. Ces futuristes proclament « les mots en liberté », ce que soit dans la syntaxe ou dans la mise en page.
Apollinaire s’intéresse à la peinture et fait le compte-rendu des salons de peinture. Il s’intéresse au cubisme et va faire illustrer « le bestiaire » par le peintre Raoul Dufy.
Il va avoir une liaison avec Marie Laurencin (peintre). Le poème date du 7 Juillet 1914, il vient alors de rompre avec elle.
Analyse
Le poème est composé de cinq propositions, lignes sans aucune ponctuation ni rime. Pas de vers car pas de régularité. Le poème est donc en vers libres.
Les deux premiers vers évoquent le souvenir, le passé.
Le troisième vers est une transition, avec la contemplation du ciel.
Enfin, les deux derniers vers sont la reprise anaphorique de « écoute ».
Premier vers
Évocation des femmes qu’a aimé Apollinaire : Annie Playden (gouvernante anglaise). Apollinaire est poursuivi par toutes ces femmes. On voit la volonté du poète de se détacher d’un passé synonyme de souffrance. Mais il n’y arrive pas. Cela se note par les sensations visuelles qu’évoquent ce premier vers : sensations visuelles, tactiles et auditives.
Un mois plus tard, il rencontre Louis de Coligny-Châtillon en septembre.
Deuxième vers : prophétique
La pluie est également liée au futur. En fait, la pluie a une double signification, à la fois le passé et le futur, c’est-à-dire qu’elle connote à la fois la souffrance, la tristesse, mais aussi une nouvelle passion. Apollinaire emploie ainsi le verbe pleuvoir avec un complément d’objet direct (emploi transitif : original).
Le second vers exprime un espoir d’effacer les souvenirs avec une nouvelle femme.
Troisième vers
Le troisième vers est une métaphore. Apollinaire compare les nuages à des chevaux, « cabrés, hennir ». Ce cheval cabré qui hennit évoque la colère, la révolte. Apollinaire projette ses sentiments dans la nature. Il refuse d’avoir été abandonné.
Les deux derniers vers commencent par une anaphore, pour attirer l’attention, et insister. Dans ces vers, il s’adresse à lui-même. Par l’anaphore, le poète se raisonne et essaie de se convaincre.
Quatrième vers
« pleut » est rapproché avec « pleurent ». Il y a un parallèle : la pluie est comparée aux larmes. Cela exprime ainsi le regret de l’ancienne compagne ; pour se défendre, il essaie d’éprouver du mépris pour cette femme.
« Écoute s’il pleut » : le message est de se concentrer sur le décor extérieur pour oublier le passé.
Mais le regret domine : il n’arrive pas à oublier ces femmes.
Cinquième vers
« en haut et en bas » fait référence au passé et au futur. On a l’impression qu’Apollinaire veut se libérer de cette passion quand il rencontre une femme, et qui le fait souffrir.
« les liens » sont assimilés à la pluie. Ils tombent pour oublier le passé. Ces femmes le font trop souffrir. Il veut exorciser l’attirance qu’il a pour les femmes.
Le poème est donc un bilan de ses expériences malheureuses et les résolutions qu’il essaie de prendre.
Conclusion
Il n’y a pas de lien logique entre les différentes phrases. Il y a juste des relations entre les idées, les sentiments. Le poème suggère plus qu’il ne décrit grâce aux métaphores et aux comparaisons. L’originalité de ce poème est qu’il reflète par son dessin son thème majeur. Le dessin ajoute du sens au texte. On voit déjà le thème du poème sans l’avoir lu. Apollinaire veut ainsi arriver à un art unique : la peinture et la poésie ici.