Jean de La Fontaine

La Fontaine, Fables, Le Coq et le Renard

Fable étudiée

Sur la branche d’un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.
« Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle :
Paix générale cette fois.
Je viens te l’annoncer, descends, que je t’embrasse.
Ne me retarde point, de grâce :
Je dois faire aujourd’hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer
Sans nulle crainte à vos affaires ;
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir,
Et cependant, viens recevoir
Le baiser d’amour fraternelle.
– Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle
De cette paix ;
Et ce m’est une double joie
De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,
Qui, je m’assure, sont courriers
Que pour ce sujet on envoie.
Ils vont vite et seront dans un moment à nous
Je descends : nous pourrons nous entre-baiser tous.
– Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire,
Nous nous réjouirons du succès de l’affaire
Une autre fois.» Le galand aussitôt
Tire ses grègues, gagne au haut,
Mal content de son stratagème.
Et notre vieux coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur ;
Car c’est double plaisir de tromper le trompeur.

Introduction

Nous allons étudier une fable de La Fontaine intitulée Le Coq et le Renard (Livre II, 15). L’auteur est un fabuliste du XVIIème siècle, un poète français. Il fut le protégé de la Mme de Sablière, duchesse d’Orléans. Il est issu d’une famille bourgeoise. Les Fables sont composées de 12 livres à l’imitation de Phèdre, fabuliste latin du 15ème siècle avant Jésus-Christ. La Fontaine est un auteur de fables à l’imitation d’Esope, dont La Fontaine affirme, « Je chante les héros dont Esope est le père ». Le Coq et le Renard est un poème composé d’alexandrins et d’octosyllabes. Nous avons aussi des variantes avec une rupture de la structure des vers 17 et 27 en décasyllabes. Nous notons une liberté de la construction dans les vers, l’alternance alexandrins, octosyllabes au milieu du poème disparaît. Le thème de cette fable est la rencontre entre deux animaux. On doit suivre le rythme du dialogue afin de rendre ce dernier plus vivant. Il y a une manipulation du renard envers le coq dans le but de le dévorer. Cette fable reflète les défauts de la société humaine. Dans le but de répondre à la problématique, comment la morale de cette fable est elle mise en valeur, nous étudierons dans un premier temps, l’originalité du récit, et en second lieu, sa morale.

I. Un récit original

1. Un symbolisme animalier ordinaire

Nous avons une première mise en scène. Le renard a la volonté de se comporter en ami, ce qui est une supercherie. Il va jusqu’à adoucir sa voix, mais le coq n’est pas dupe. Il est sur la défensive, rusé et dispose des mêmes attributs psychologiques que le renard mais l’un a des caractéristiques positives et l’autre des caractéristiques positives. Nous avons des vers 6 à 14, une ambiance de paix et de communication dans la sympathie et l’échange. Il s’agit d’une véritable démonstration d’amitié ainsi que le suggère le champ lexical de l’amitié, « embrasse », « frère », « baiser », « amour », « le baiser d’amour éternel », la séduction est totale. Au vocabulaire de l’affectif et de l’amitié s’ajoute les expressions de fête, « Faites-en les feux dès ce soir ». Mais le jeu de la séduction est prémédité, le renard compte plaire et susciter le sentiment d’amitié dans un but bien précis, c’est pourquoi, il fait le premier pas.

2. L’inversion des rôles

Il se produit une deuxième mise en scène originale. La réponse du coq, dans la deuxième partie, est surprenante. Le renard semble avoir l’avantage mais en fait la situation s’inverse des vers 15 à 24. Le coq prend l’avantage en exploitant l’idée du renard. Il fait valoir les mêmes valeurs, celles de la confiance et de l’amitié, il joue le jeu, renforce sa persuasion et sa manipulation. Le coq invente une situation, il fait croire que des coqs sont sur le point d’arriver en tant que messagers « Je vois deux lévriers qui, je m’assure, sont courriers que pour ce sujet on envoie ». Le renard se sauve, « Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire ». Le coq retourne la situation à son avantage et fait peur au renard, les verbes sont au présent immédiat, ce qui renforce la fausse affirmation.

Mais derrière le symbolisme animalier et l’originalité du récit se cache une morale qui véhicule un message, la visée est didactique. Il nous faut à présent déchiffrer le sens de la fable qui n’a pas pour fonction que de divertir.

II. La morale, son enseignement

On voit que les rôles sont inversés, ils ont changé, le renard est cette fois celui qui est menacé et non plus menaçant. L’histoire de l’entente reste sur le même mode ; Le renard à la fin de la fable devient de plus en plus humain, « galant », « tire ses grègues », il a appris de sa tentative de manipulation. Le vieux coq représente l’expérience et la sagesse. La morale met en valeur la position de celui qui était sur la défensive et qui a réussi à s’en sortir. La Fontaine met en valeur le double plaisir de tromper le trompeur. Le plan linéaire souligne la morale de la fin, le récit progresse de telle façon que les rôles s’opposent dans un sens tout à fait inattendu. Le passif devient actif et l’actif devient passif. Le coq ne bouge pas, il est stable et a l’avantage intellectuel. Le renard passe de l’immobilité à la mobilité, à l’inverse du renard, il est stable. La fable est complète et complexe. Nous avons deux récits, deux mises en scène qui impliquent deux manipulations sous le signe de la dualité pour montrer que la force de l’homme n’est pas toujours ou l’on croit qu’elle est. Cette fable met en valeur la force mentale de celui qui sait résister à la manipulation par sa force de caractère, son indépendance, son calme, son intelligence.

Conclusion

Les valeurs humaines sont mises en valeur à travers les animaux familiers pour mieux transmettre le message. L’auteur est assez effacé au profit des personnages et du dialogue. On peut noter l’aspect théâtral de cette fable qui nous rappelle certaines mises en scène de Molière dans lesquelles le caractère fourbe d’un personnage est démasqué au profit du bien, (Tartuffe). Nous pouvons rapprocher cette fable de L’arbre et du roseau, l’arbre se montrant plus puissant, plus imposant, ne bougeant pas, à la différence du roseau qui se plie à la moindre brise. Le grand arbre se moque de lui mais finit par s’arracher lors d’une tempête tandis que le roseau se plie mais reste accroché au sol, la morale de l’histoire est la suivante, ce n’est pas toujours le plus fort qui l’emporte.

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