Paul Verlaine

Verlaine, Sagesse, Écoutez la chanson bien douce

Poème étudié

Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d’eau sur de la mousse !

La voix vous fut connue (et chère ?)
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,

Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d’automne,
Cache et montre au cœur qui s’étonne
La vérité comme une étoile.

Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c’est notre vie,
Que de la haine et de l’envie
Rien ne reste, la mort venue.

Elle parle aussi de la gloire
D’être simple sans plus attendre,
Et de noces d’or et du tendre
Bonheur d’une paix sans victoire.

Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame
Allez, rien n’est meilleur à l’âme
Que de faire une âme moins triste !

Elle est en peine et de passage
L’âme qui souffre sans colère,
Et comme sa morale est claire !…
Écoutez la chanson bien sage.

Introduction

Se servir du paratexte pour les circonstances d’écriture du poème. Le poème est composé de sept quatrains d’octosyllabes en rimes embrassées.

I. Le jeu des interlocuteurs

Recours à des impératifs (c’est-à-dire à l’injonction) : A la fois mise en place d’un registre didactique, et en même temps, disparition du locuteur : il ne reste d’apparent qu’une destinataire, que l’on peut identifier comme étant son épouse.

Le même refus d’apparaître en tant que locuteur est poursuivi durant le reste du poème : on peut considérer que « la voix » qui commence la strophe 2 est celle du poète, qui choisit donc de s’adresser à Mathilde de manière indirecte. Dans ce cas, c’est aussi la voix qui chante la chanson.

On peut aussi considérer que le poète choisit un moyen plus indirect encore, et que « la voix » est celle de Mathilde elle-même, qui doit retrouver en elle le chemin du pardon et de la vertu.

Dans tous les cas, on peut interpréter ce refus d’identifier le pôle du locuteur comme une stratégie de la part de Verlaine : pour détourner la colère de son épouse, il ne se montre pas directement.

« La voix » apparaît successivement à la 2ème, 4ème et 6ème strophe, chaque fois dans le premier vers, ce qui permet de donner un rythme de chanson au poème, avec un effet de ritournelle (court motif instrumental, répété avant chaque couplet d’une chanson ou d’une danse). Cet effet est doublé par la structure circulaire du poème, puisque le terme « chanson » figure explicitement au premier et au dernier vers.

Progressivement, le poète installe la voix comme une instance de plus en plus intense : au vers 5, l’identification de la voix n’est pas assurée, puisque le verbe « connaître » figure au passé simple passif, et qu’il est suivi d’une parenthèse interrogative, qui semble remettre en doute l’amour qui a existé. On est à nouveau dans le doute : est-ce la voix du poète ou la voix intérieure ? Mais au vers 13, elle est « la voix reconnue », particulièrement mise en valeur par l’anacoluthe, et elle devient plus exigeante encore au vers 21, avec cette fois une relative, « qui persiste » (sens intense du verbe et le fait que la voix occupe donc 5 syllabes sur les 8 du vers).

II. La proposition amoureuse

Dès le premier vers, le poète semble se mettre dans une position de suppliant : on trouve une référence au chagrin dans le vers 2 avec le verbe « pleurer », mais par un jeu d’allitérations en [pl], pleurer est associé au verbe « plaire ». Pleurer, c’est donc montrer une volonté d’attendrir, et ce n’est que cela, comme le montre la négation restrictive. Le registre pathétique est donc apparent.

Cette volonté d’attendrir s’appuie aussi sur l’humilité : la rime du vers 3, « légère », suivie de la comparaison du vers 4 avec « un frisson d’eau » (qui rappelles les larmes), tentent de montrer que le poète n’est pas insistant. On peut toutefois, étant donné la suite, prendre cette attitude pour une prétérition, tout l’enjeu du poème étant de faire céder Mathilde.

Deux thèmes vont alors se succéder, pour montrer le désir d’une nouvelle vie commune :

C’est d’abord le passage du thème du veuvage à celui du mariage :

La séparation de Verlaine et de son épouse n’est pas traitée selon le thème de la séparation, qui donnerait tous les torts à Verlaine, mais selon le thème du veuvage : le poète peut ainsi donner une allure tragique aux événements passés, en dehors de toute culpabilité.

Parallèlement, Mathilde n’est plus une épouse bafouée, mais une veuve, ce qui lui confère une « tristesse majestueuse » (terme employé par Racine dans sa préface de Bérénice, pour qualifier le chagrin des deux personnages de Titus et Bérénice, séparés par la nécessité). Elle est donc, selon les coutumes du veuvage, voilée, et cette idée est reprise successivement à la rime du vers 6, qui fait rimer « voilée » avec « désolée », puis à celle du vers 9.

Mais à partir de la 5ème strophe, il est question au contraire de bonheur conjugal : la voix s’est donc dévoilée pour exposer sa proposition. On trouve « noces d’or » au vers 19, qui renvoie donc à la célébration de 50 ans de vie commune, et le vers s’achève sur l’adjectif « tendre », avec un contre-rejet au vers 20, qui place « bonheur » en tête de vers et le fait s’achever sur « victoire ».

L’idée est déployée au vers 22, avec « naïf épithalame », qui désigne un poème musical composé pour un mariage. La chanson proposée est donc une chanson qui célèbre un mariage, et non un chant de tristesse et de deuil.

III. Le recours à la notion de devoir chrétien

C’est ensuite, après la proposition de reprise de la vie commune l’entremêlement du thème du bonheur et du thème du devoir moral :

Par ailleurs, l’intérêt du terme « haine », c’est qu’il forme un couple avec l’amour, ce qui va permettre à Verlaine d’installer le thème amoureux. C’est ainsi que dans la 6ème strophe, « épithalame », rime avec « âme ». De même, on peut voir que la chanson était caractérisée par « douce » au vers 1 : elle est qualifiée de « sage » au dernier vers, qualité morale, et non référence à l’amour.

Les deux thèmes sont donc organisés pour aller du devoir moral vers la proposition du bonheur conjugal.

Le poète commence par faire appel au sens du devoir chrétien de son épouse. Accepter le retour de Verlaine, c’est aller dans le sens de la charité chrétienne. On passe donc, dans la 4ème strophe, à des maximes au présent de généralité, avec un système d’antithèses qui oppose bonté et haine/envie. Or, si la haine peut, à la rigueur, s’opposer à la bonté, l’envie n’est pas en relation directe avec la bonté. Il semble donc que le poète évite les vrais motifs de la séparation, et se garde bien d’évoquer la jalousie (qui n’est pas la même chose que l’envie). Il évoque toutefois un autre péché au vers 27, celui de la colère, avec par opposition dans le vers suivant le rappel du devoir : le terme « morale » apparaît explicitement, associé à l’attribut du sujet « claire », qui le fait rimer presque comme une antithèse avec « colère » au vers précédent.

L’allusion à la mort au vers 16 reprend une autre idée chrétienne : celle du peu d’importance des sentiments de la vie humaine, vouée de toute façon à la mort ; celle aussi de la nécessité du pardon pour accéder à la vie éternelle.

Au-delà du rappel du devoir chrétien, Verlaine propose une image valorisante du pardon, avec, dans la 5ème strophe, la rime « gloire »/ »victoire ». Le fait d’accéder à la demande du poète est également valorisé par un sentiment de bonheur personnel, d’ordre moral : « faire une âme moins triste », c’est un bonheur, mais aussi une entreprise morale.

Conclusion

Poème pathétique, qui montre le désarroi du poète. Dans l’impasse où il se trouve, il se tourne vers l’épouse autrefois délaissée.

Mais ce poème est tout sauf naïf, même si le terme figure dans une des strophes : c’est vouloir aussi prendre Mathilde au piège de son éducation chrétienne. Si elle ne cède pas au poète par amour, qu’au moins elle lui cède au nom des principes religieux qui sont les siens.

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