More, l’Utopie, Livre II, Des Arts et Métiers
Texte étudié
Chacun est libre d’occuper à sa guise les heures comprises entre le travail, le sommeil et le repas – non pour les gâcher dans les excès de la paresse, mais afin que tous, libérés de leur métier, puissent s’adonner à quelque bonne occupation de leur choix. la plupart consacrent les heures de loisirs à l’étude. Chaque jour en effet des leçons accessibles à tous ont lieu avant le début du jour… Hommes et femmes y affluent librement, chacun choisissant la branche d’enseignement qui convient le mieux à sa forme d’esprit. Si quelqu’un préfère consacrer ces heures de surcroît à son métier, … on ne l’en détourne pas. Bien au contraire, on le félicite de son zèle à servir l’État.
Après le repas du soir, on passe une heure à jouer, l’été dans les jardins, l’hiver dans les salles communes… ; on y fait de la musique, on se distrait en causant. Les Utopiens ignorent complètement les dés et tous les jeux de ce genre, absurdes et dangereux.
Arrivés à ce point il nous faut, pour nous épargner une erreur, considérer attentivement une objection. si chacun ne travaille que six heures par jour, penserez-vous, ne risque-t-on pas inévitablement de voir une pénurie d’objets de première nécessité ?
Bien loin de là : il arrive que cette courte journée de travail produise, non seulement en abondance, mais même en excès, tout ce qui est indispensable à l’entretien et au confort de la vie. Vous me comprendrez aisément si vous voulez bien penser à l’importante fraction de la population qui reste inactive chez les autres peuples, la presque totalité des femmes d’abord, la moitié de l’humanité ; ou bien, là où les femmes travaillent, ce sont les hommes qui ronflent à leur place. Ajoutez à cela la troupe des prêtres et de ceux qu’on appelle les religieux, combien nombreuse et oisive ! A joutez-y tous les riches et surtout les propriétaires terriens, ceux qu’on appelle les nobles. Ajoutez-y leur valetaille, cette lie de faquins en armes; et les mendiants robustes et bien portants qui inventent une infirmité pour couvrir leur paresse. Et vous trouverez, bien moins nombreux que vous ne l’aviez cru, ceux dont le travail procure ce dont les hommes ont besoin.
Introduction
Ce texte est un extrait de la deuxième partie d’Utopie, œuvre de l’humaniste anglais Thomas More, qui propose d’abord une critique de la société de son époque puis un modèle idéal. Cet extrait présente un aperçu assez précis de ce qu’est l’œuvre de Thomas More. En effet, on se rend compte que l’utopie a une visée argumentative. Elle contient également les thèmes de la pensée humaine. Enfin nous observerons le ton du dernier paragraphe.
I. Le paragraphe central (3ème paragraphe) souligne la visée argumentative du texte
A. En effet, ce paragraphe de transition propose un jeu de questions/réponses entre l’auteur et son interlocuteur, mis en valeur par la situation d’énonciation : le narrateur/auteur Thomas More s’adresse à la première personne : « vous me comprendrez ». De plus, le présent du discours et de vérité générale sont utilisés. Ce sont des temps du discours qui ont une valeur argumentative.
B. Ce paragraphe permet la transition entre une première et une seconde partie. La première partie, composée des deux premiers paragraphes, présente la société de l’Utopie : c’est une partie descriptive. La seconde partie, le paragraphe 4, propose une réponse à l’objection et une critique de la société contemporaine.
C. La visée argumentative du texte est annoncée par des tendances argumentatives dans la première partie :
1. Emploi de connecteurs :
« non … mais » : ces deux connecteurs sont en corrélation et permettent de réfuter une première idée pour mettre en relief la seconde ;
« pour » et « afin que » ont une valeur de but ;
« en effet » a une valeur de cause ;
« mais » et « au contraire » ont une valeur d’opposition ;
« si » a une valeur hypothétique ;
« comme » a une valeur comparative.
2. Exemples concrets : voir paragraphe deux : exemple des jeux.
3. Vocabulaire qui a une connotation morale : « gâcher », « excès », « paresse », « quelques bonnes occupations », « qui convient le mieux », « tentées », « spéculation », « zèle », « félicité », « servir », « absurdes et dangereux », « vices et vertus ». Ce vocabulaire du jugement moral donne une orientation axiologique, c’est-à-dire morale à l’ensemble du texte.