Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, Préface, Ces mémoires à « la Mort m’ira peut-être mieux », Commentaire 1
Introduction
Le projet naît en 1803. Chateaubriand a alors 35 ans. Il pense déjà à un titre : « Mémoires de ma vie ». Plusieurs facteurs de sa vie personnelle font qu’ils pense à écrire ses mémoires dès 1803.
Premièrement, son amie Pauline de Beaumont vient de mourir, sa sœur Lucile, à laquelle il était très attaché, devient folle et se suicide ; de plus, ses fonctions de diplomate ne lui apportent à l’époque que des soucis.
En 1806, son projet se modifie. L’objectif est « d’expliquer son inexplicable cœur ». Il met alors en valeur cette difficulté à s’analyser.
En 1832, il change son orientation, Son œuvre devient une épopée contemporaine dans laquelle il ouvre le rideau de la scène politique et règle ses comptes, ayant décidé à ce moment de faire publié son œuvre après sa mort.
En 1836 est créé la « Société propriétaire des Mémoires d’outre-tombe ». Il vend son œuvre à une édition qui lui verse une rente annuelle avant la publication.
Le 8 mai 1839, son œuvre est terminée.
En 1841, il ajoute un avant-propos (qui sera revue en 1846) et une conclusion.
En 1844, la société vend le droit de publier l’œuvre en feuilleton à un grand journal.
Nous étudierons dans un premier temps la référence constante à l’œuvre dans cet avant-propos, puis les relations existantes entre l’œuvre et la vie pour enfin présenter les enjeux du texte.
I. Une référence constante à l’œuvre
A. La récurrence du terme « mémoire »
Le terme « mémoire » revient aux lignes 1, 14 et 19, et est à chaque fois précédé de l’adjectif démonstratif « ces ». Dès la première ligne du texte, on sait à quel genre de littérature on a à faire.
Le démonstratif insiste sur l’idée de présentation et souligne que cet extrait précède l’œuvre : « ces mémoires que vous allez lire ».
B. Le champ lexical de l’écriture
Tout le texte fait référence à l’écriture.
Certains termes définissent les différentes parties de l’œuvre et sa structure : « prologue » (ligne 2), « narration » (lignes 4 et 19), « récit » (ligne 10).
D’autres termes rappellent les démarches de l’écriture, son organisation : « peigner » (ligne 2), « composer » (ligne 1), « renoue » (ligne 3). Ceci met en valeur le fait qu’une œuvre monumentale n’a pas été écrite en un seul jour, et qu’il faut renouer avec le passé pour que l’œuvre soit cohérente : « fil » (ligne 4), « parler » (ligne 6), « retracer » (ligne 7), « écrire » (ligne 17).
Certains termes introduisent le contenu : « les lieux » (ligne 2). Comme le metteur en scène, il travaille le décor et introduit les personnages ensuite : « les sentiments » (ligne 3), « mes temps de misère ; mes jours de bonheur » (ligne 6).
L’analyse que Chateaubriand fait de sa vie est assez confuse. Il a difficulté à parler de lui et d’y voir clair, ce qui se voit notamment par la présence d’oppositions : « jeunesse » et « vieillesse » (lignes 7 et 8), « malheur » et « bonheur » (lignes 6 et 7), « berceau » et « tombe » (lignes 11 et 12). Chateaubriand a du mal à raconter de manière chronologique.
La préface est consacrée essentiellement à la démarche de l’œuvre dans son contenu, et des difficultés sont déjà soulignées. Notons de plus que la préface a été écrite par l’auteur de l’œuvre (présence du « je »).
II. Les relations entre l’œuvre et la vie
A. Les lieux et circonstances de la composition
Chateaubriand insiste sur l’idée de diversité des lieux, des moments, par la répétition du terme « différent » : il veut montrer la relation entre la vie et l’œuvre en montrant dans quelles circonstances l’œuvre a été réalisée. A la ligne 9, ses diversités sont bien mises en valeur. Cela va avoir une importance sur la diversité de l’œuvre.
B. Le contenu de l’œuvre
Les circonstances de composition constituent une partie du contenu, des termes de l’œuvre. Chateaubriand va à chaque fois s’attacher à décrire ces lieux, comme il l’annonce à la ligne 2. A la ligne 1, le terme « différentes dates » montre que l’œuvre va peigner des périodes différentes qui vont recouvrir l’ensemble de sa vie.
Son objectif est clairement exprimé entre les lignes 9 et 12 où il montre que son but est de dresser un tableau complet de sa vie.
Le contenu de l’œuvre va être alimenté par les circonstances d’écriture : l’œuvre et la vie sont indissociables.
Il faut y ajouter les sentiments à différentes périodes de sa vie. Le chiasme qui montre la différence entre le plaisir et la souffrance exprime la diversité des sentiments.
C. L’expression des imbrications
« Tous les éléments de votre vie contribuent à vous former », d’où la difficulté d’écrire sa vie.
Les procédés d’écriture et le vocabulaire vont mettre en valeur cette interférence des éléments du texte.
Tout d’abord, la première partie montre l’importance de la vie sur l’œuvre. Il existe une interférence entre les événements qu’il a vécus et cette obligation de donner des explications. Chateaubriand associe les sentiments « qui m’occupaient … » (ligne 3). Le fil de narration soutend l’œuvre et le vécu est nécessaire pour donner quelque chose d’ordonné.
Aux lignes 4 et 5, Chateaubriand ne se contente pas de faire un récit chronologique, il explique ce qu’il a ressenti et ce qu’il ressent à présent (lignes 4 à 10).
Le champ lexical de la confusion, de l’imbrication est présent dans le texte. La vie et l’œuvre sont associés par le lieu, le temps et le contenu, ce qui permet de justifier le genre de l’œuvre et de mieux comprendre les enjeux de la préface et la finalité de l’œuvre entière.
III. Les enjeux du texte
A. La volonté
Cette préface est une présentation de l’œuvre, une excuse de la confusion apparente de l’œuvre. Il anticipe un reproche du lecteur. Il veut montrer que son inspiration est liée « aux inconstances de mon sort » (ligne 16). Ceci souligne la diversité : la vie n’est qu’une ligne continue. Il introduit ainsi implicitement le lecteur.
Cette préface d’adresse donc avant tout au lecteur avec la volonté d’expliquer et de justifier.
B. Les objectifs
On note deux objectifs essentiels, qui ne sont pas propres à Chateaubriand.
Le premier est de transcrire, transmettre des expériences et des sentiments, souvent contradictoires, pour ainsi y voir plus clair et essayer d’atteindre « une sorte d’unité indéfinissable » (ligne 11). Il veut mettre ses idées noir sur blanc, ce qui va obliger Chateaubriand à être plus clair par la suite.
L’autre objectif est celui de tout artiste. Par son œuvre, tout artiste vise aussi à défier le temps. Écrire sa vie est un moyen de vagabonder dans différentes périodes de sa vie : il devient alors maître du temps dans son œuvre. Il peut ainsi laisser une trace dans l’humanité. Ce problème du temps apparaît dans le texte aux lignes 7 et 10.
C. Les justification
Le terme « mémoire » est justifié par le rappel des sentiments éprouvés, l’écriture du moi, le récit d’une vie.
Le terme « outre-tombe » est lui justifié par la volonté d’être publié après sa mort. Cela donne une portée plus importante, plus grave, une sorte de connotation religieuse, où est présent le mystère de la mort.
La phrase finale souligne le passage de la vie à la mort, ce qui est un bilan négatif d’une vie.
Cette œuvre sera élément de rédemption, de purification de sa vie. Le livre permet d’affronter la mort, il est une sorte de laisser-passer pour l’éternité.
Conclusion
Ce texte est à la fois informatif et justificatif. En effet, il fait connaître au lecteur la circonstance et les objectifs de la composition. Il donne à son œuvre un ton prophétique et religieux. A travers cette œuvre, c’est le récit d’une vie individuelle qui est décrite, mais on découvrira aussi par la suite le récit de tout une époque.