Jean de La Fontaine

La Fontaine, Fables, Le pouvoir des Fables, Seconde partie

Fable étudié

Dans Athène(s) autrefois, peuple vain et léger,
Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune ; et d’un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l’écoutait pas. L’orateur recourut
A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes :
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put.
Le vent emporta tout, personne ne s’émut ;
L’animal aux têtes frivoles,
Étant fait à ces traits, ne daignait l’écouter ;
Tous regardaient ailleurs ; il en vit s’arrêter
A des combats d’enfants et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
« Céres , commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l’anguille et l’hirondelle ;
Un fleuve les arrête, et l’anguille en nageant,
Comme l’hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. » L’assemblée à l’instant
Cria tout d’une voix : « Et Céres, que fit-elle ?
– Ce qu’elle fit ? Un prompt courroux
L’anima d’abord contre vous.
Quoi ? de contes d’enfants son peuple s’embarrasse !
Et du péril qui la menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l’effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? »
A ce reproche l’assemblée,
Par l’apologue réveillée,
Se donne entière à l’orateur :
Un trait de fable en eut l’honneur.
Nous sommes tous d’Athènes en ce point, et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d’Âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.

La Fontaine, Fables

Notes

Le mot fable vient de fabula en latin = récit à base d’imagination destiné à illustrer un précepte.
Cérès = Déesse des moissons. On célébrait ses mystères à Eleusis.
Peau d’Âne : La Fontaine parle du « Peau d’Âne » dont parle Louison dans  » Le Malade imaginaire (trouvez l’intégrale de la pièce en suivant ce lien) de Molière. L’œuvre de Perrault portant le même titre ne paraîtra qu’en 1694.
Quelques citations :

– « Une morale nue apporte de l’ennui ».
– « Le Conte fait passer le précepte avec lui » (La Fontaine).
– « Mon imitation n’est point un esclavage (La Fontaine).
– « Le Moi est haïssable » (Pascal).

Commentaire Composé 1

Introduction

La fable est un récit destiné à démontrer un précepte : un but didactique qui dégage une morale explicite. Nous allons montrer l’efficacité du récit puis l’humour du récit et enfin la moralité complexe à travers cette fable.

I. Efficacité du récit

Exposition en 3 vers : extrêmement simple. Le lieu et les circonstances bous sont donnés. L’enjambement dès le début donne un effet de rapidité.

Harangues inutiles (vers 3 à 14).

Transition (vers 15).

La fable saugrenue mais efficace (vers 16 à 21).

Un rebondissement inattendu = reproches au peuple grec.

Réveil de l’assemblée (vers 28 à 31).

Moralité (vers 32 à 37).

II. Humour du récit

A. Satire de la rhétorique classique

Le personnage du parleur qualifié : « orateur » ; « harangueur » = image caricatural. + Le choix du discours indirect qui rend le discours plus lourd et ennuyeux. + mots abstraits : « il parla… salut ».

Dramatisation de la situation : « courut » ; « menace » ; « péril » = par le vocabulaire… Par aussi l’alexandrin majoritaire dans cette partie qui donne des vers pesants, pompants, nobles. + les choix d’expressions hyperboliques : « tyranniques » ; « forcer le cœurs ». Ces traits donnent de la violence + démonstratif emphatique : « ces » + périphrases ridicules : « têtes frivoles » ; « figures violentes »…

B. L’étude de la fable enchâssée

Absurde, saugrenue : rencontre très improbables des trois acteurs.

Situation non palpitante.

Développement peu passionnant : « anguille en nageant » = symétrie lourde = lourdeur du texte.

Côté vivant et plaisant du style direct et des vers courts.

III. Une moralité complexe

A. Les reproches de l’orateur

Un humour se dégage venant de l’antithèse avec le public.

Ironie : Veut montrer par cette fable la débilité du peuple. Met les citoyens au bord du suspens par l’utilisation de « vous ».

Style indirect libre : « Quoi… » : L’orateur fait parler la déesse à travers lui, ceci donnant un poids et une certaine force sur le peuple. Pour montrer que le peuple ne tient pas compte du péril qui le menace.

Style indirect libre dans le discours direct : « Que… » : Interrogation ironique et pleine de reproches.

Vers cours : « se donne » ; « un fleuve » ; « entière » = unanimité = tous les gens. + juxtapositions nerveuses et efficaces. + Utilisation du présent de narration.

B. De la moralité à la confidence personnelle

v32 : « nous » = tout le monde = morale conviviale. mais aussi utilisation de « moi » = LF vieillard = vieillard vieux et amusé.

Revendication du plaisir du conte.

Généralise : Monde vieux (20 siècles d’écart entre l’histoire comptée et le moment où LF a écrit cette fable) + utilisation du mot « enfant » trois fois dans le texte = revendication du plaisir = prendre les hommes tels qu’ils sont. (cf. Rabelais : « La substantifique moelle »).

Conclusion

Jean de la Fontaine se paie le luxe de compter deux fables en une et revendique la légitimité de son art.

Commentaire Composé 2

Introduction

Dans la fable « Le Pouvoir des Fables » de La Fontaine extraite de son huitième livre, l’auteur nous décrit un orateur cherchant à se faire écouter par tous les moyens, et y parvenant finalement à l’aide d’une fable. D’où l’originalité de ce texte qui intègre deux fables. La Fontaine nous dévoile donc le pouvoir de ces fables même si un seul est explicité dans la morale. Il en profite pour dénoncer la race humaine qu’il trouve légère et puérile.

I. La fable : constituée d’une multitude de pouvoirs

A. Originalité

Chutes sur les octosyllabes = donne une fable enjouée.

Mise en abîme = fable dans la fable.

Jonglage entre les alexandrins et les octosyllabes = changements de rythmes avec des cassures.

B. Les pouvoirs de la fable selon l’auteur

La fable est un jeu : ‘amuser » ; « plaisir extrême » ; répétition 3 fois du mot « enfants » mais un jeu utile et nécessaire à l’homme car : satisfait le besoin de beauté et de jouissance gratuite des hommes (peuple émerveillé face à l’apologue conté par l’orateur) + éveil les hommes car rupture avec la réalité (utopie ; rêve ; domaine de l’imaginaire) = les fait réfléchir : « Par l’apologue réveillée ».

Pouvoir de la gaieté qui est charmeuse et incisive.

Philosophie supérieure des fables = sagesse de la gaieté = charme d’un plaisir lucide.

L’auteur lui même avoue sa faiblesse : « Peau d’Âne » = renforce le pouvoir de la fable en général.

Transition : Dans cette fable, La Fontaine nous dévoile les secrets des fables, mais ne peut s’empêcher de critiquer.

II. Condamne l’étourderie puérile des humains

A. A travers l’orateur déchaîné

Rythme haletant pour montrer l’énergie investie par l’orateur : « Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put » (vers 9/10) = détermination de l’orateur décrit en tant que sauveur.

Oppositions tyranniques/république + âmes/morts… = montre qu’une chose ne va pas dans sa manière de s’adresser au peuple.

Champ lexical de la violence : « fortement » ; « danger » ; « courant » ; « forcer » ; « recourt » ; « violentes » ; exciter » = détermination de l’auteur encore une fois.

B. Une humanité puérile

Des hommes décrits comme idiots : « têtes frivoles » (vers 11) ; « peuple vain et léger » (vers 1).

Hommes attirés par les combats d’enfants / mais point par le discours sérieux de l’orateur ? nécessité d’une fable avec une histoire pour attirer l’attention du peule = esprit gamin.

Esprit gamin renforcé par l’interrogation : « Et Cérès, que fit-elle ? » = à la manière d’un enfant voulant connaître la suite de l’histoire.

C. Une moralité ambiguë

La Fontaine dénonce t-il vraiment le caractère des humains ou fait il juste un constat ?

Conclusion

Dans cette fable de La Fontaine, l’auteur met en avant les différents pouvoirs de la fable. Il en profite pour faire une remarque sur les comportements de la race humaine. Mais critique t-il les hommes ou fait-il juste un constat du monde (« Le monde est vieux ») ?

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