Molière, L’école des femmes, La rencontre avec Horace
Introduction
Après le succès de «l’école des maris», Molière récidive en proposant cette fois une pièce versifiée en cinq actes. Le thème reste le même : il s’agit ici de dénoncer la condition de la femme à travers l’éducation et le mariage. Le texte que nous allons étudier se situe après qu’Arnolphe ait été informé de la rencontre entre Horace et Agnès. Il interroge cette dernière qui, bien volontiers, lui raconte l’entrevue. Nous allons faire de ce texte une lecture méthodique dont l’intervention première sera de constater la subtile évolution du personnage. Dans un premier mouvement, nous verrons qu’Agnès est toujours une enfant conforme aux souhaits d’Arnolphe, mais nous verrons dans un second temps qu’il ne s’agit là en fait que d’une véritable rencontre amoureuse.
I. Une petite fille
A. Sa naïveté
Elle se confie facilement à Arnolphe. L’adjectif « étonnante » prend une valeur hyperbolique pour décrire une rencontre après tout ordinaire.
B. Sa conformité
Elle est conforme à la vision d’Arnolphe. Elle est au début du texte installée dans ses habitudes (valeur de l’imparfait « j’étais », phonétique répétée « j’étais à travailler »).
Elle reste une enfant : la scène est vécue comme un jeu qui s’intitulerait « le plus poli des deux », jeu qui est évoqué deux fois par Agnès : « pour ne point manquer à la civilité » et « qu’il me pût estimer moins civile que lui ».
La rencontre est bien vécue comme un jeu enfantin. Nous retrouvons l’en-vêtement ludique de l’enfant à travers un large champ lexical de la répétition : « aussi », « refait », « une autre ».
Toutefois, ces répétitions ne génèrent pas l’ennui ou la monotonie. Le vers, dans sa dislocation, fait de chaque référence un évènement : « soudain » … « moi » … « et lui » … « et moi ».
Seul un obstacle naturel peut interrompre le jeu : « la nuit ».
Agnès est donc bien la petite fille conforme au souhait d’Adolphe : « Fort bien » dit-il, visiblement satisfait.
II. Une nouvelle Agnès
A. Une évolution inconsciente
Elle se trouve comme par hasard aux limites de sa prison, le balcon : n’est-ce pas le signe d’un appel vers l’extérieur?
L’adjectif « étonnante » prend sans doute une autre valeur (ne contiendrait-il pas un coup de foudre?)
B. Le coup de foudre
L’habitude est interrompue par le passé simple : « j’étais », « je vis ».
Le thème du regard est classique dans ce genre de scène, il est insistant par la répétition de « je vis ».
Le locatif « passer sous les arbres d’auprès » nous décrit une regard fasciné qui suit; un regard insistant qui se colore d’une appréciation physique « jeune homme bien fait » et peut faire sourire (antithèse d’Arnolphe).
Horace a lui, une attitude beaucoup plus consciente, celle du courtisan : « il passe, vient, repasse » est une description souriante des singeries d’un jeune beau.
C. Les conséquences
Une nouvelle naissance : on note 16 occurrences du « je » : « moi, me, je … », une émotion qui traduit le rythme haleté des vers (les battements du cœur).
« d’une humble révérence me salue » : pour une fois, les rôles sont inversés, Agnès devient femme et à ses pieds : l’homme.
C’est la totale antithèse au discours d’Arnolphe.
Conclusion
Cette scène essentielle nous situe devant une Agnès en pleine évolution avec un charme tout particulier, celui de son inconscience. Peu à peu, cette jeune première du théâtre de Molière va, contrairement aux autres, s’endurcir jusqu’à dominer son interlocuteur. Enfin, nous retiendrons de cette scène la volonté de Molière qui vient nous rappeler ici les forces instinctives qui permettent à chacun de se libérer.