Brisville, Entretien entre M. Descartes et M. Pascal Le Jeune
Texte étudié
Descartes – Pour moi, réfléchir à la mort, à l’infini et à l’éternité est un travail qui passe mon intelligence. Je ne voudrais pas abuser du peu de temps et de loisir qui me reste en l’employant à démêler de semblables difficultés.
Pascal – Vous ne misez que sur l’intelligence. Elle n’a en effet rien à faire en ces questions, et elle tient pour moi dans l’ordre des choses à comprendre le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature. Autant dire le dernier.
Descartes – Que mettez vous en tête ?
Pascal – Un sentiment qui ne vous semble avoir atteint.
Descartes – Nommez-le.
Pascal – La misère de l’homme.
Descartes – Il m’a atteint tout comme vous, bien que d façon moins abstraite. A votre âge, on a vue rarement mourir les gens qu’on aime. Au mien, il n’en est pas de même. (Un temps). J’ai connu une femme en Hollande, une simple servante, et elle a su toucher mon cœur. La fille que j’eus d’elle et à laquelle nous donnâmes le nom de Francine avait cinq ans quand elle fut atteinte d’une fièvre scarlatine. Elle mourut le 7 septembre 1640. Je n’oublierai plus cette date. Elle est pour moi le jour de la plus affreuse douleur que j’eus jamais sentie.
Un temps.
Pascal (ému). Monsieur…
Descartes (bas). Je ne suis pas de ceux qui pensent que les larmes n’appartiennent qu’aux femmes.
Un temps.
Pascal – J’ai vu jadis pleurer un homme, et je ne sais pourquoi le souvenir m’en revient aujourd’hui. Mon père avait été député par le Cardinal pour réprimer une révolte de paysans qui avait éclaté en Normandie. Il s’y rendit avec les troupes du maréchal de Gassion. La levée des taxes fut rude ; J’avais dix sept ans à l’époque, et je crois que mon père… enfin, il était, par sa fermeté l’homme que requérait la situation. Ce jour-là, je l’avais, avec des soldats, accompagné dans un village. Un homme dont on avait saisi les biens et les instruments de travail s’avança pour plaider sa cause. Il ne put dire un mot. Les larmes l’étouffaient. (Un temps). Je n’en fus pas frappé sur l’instant. Je crois même que je me hâtai d’oublier cette scène. Il est vrai que j’étais alors fort occupé par la construction de ma machine arithmétique. (Un temps). Elle devait, dans mon intention, faciliter à mon père le calcul des impôts dont il avait la charge.
Un temps.
Descartes – Il est certaines gens qu’on ne voit pas.
Pascal – Certaines gens ?
Descartes – Tous ceux qui ne sont point de la société que nous fréquentons vous et moi.
Un temps.
Pascal – Oui, vous avez raison, je n’ai pas vue ce malheureux. Je le revois, mais je ne l’ai pas vu. Que Dieu me le pardonne.
Descartes – On ne peut faire attention à tout. Vous étiez tout occupé par votre invention. L’esprit ne peut se concentrer que sur un seul sujet.
Introduction
Nous allons étudier un texte de Brisville, intitulé « Entretien entre M. Descartes et M. Pascal le jeune » en date de 1986. Brisville est un auteur dramatique contemporain né en 1922. Nous étudierons le dialogue dans sa visée délibérative, son rôle dans l’éclaircissement des enjeux et la prise de décision. Dans cet extrait l’auteur imagine l’entretien de 1647 des deux philosophes, Descartes, alors âgé de 51 ans et à l’apogée de sa célébrité, et Pascal, l’auteur des Pensées, âgé de 24 ans, génie précoce déjà célèbre pour ses travaux mathématiques, mais préoccupé avant tout par les questions de foi religieuse qui devaient occuper la fin de sa vie. Deux visions du monde s’affrontent. Dans un premier temps, nous étudierons le débat entre Descartes et Pascal et leurs visions respectives puis en second lieu, l’évolution du personnage de Pascal.
I. Le débat entre Descartes et Pascal
1. Deux visions du monde
La question de départ est : A quoi faut-il occuper son temps et son intelligence ? Comment exercer sa raison, son entendement ? Faut-il réfléchir aux questions existentielles ? Le dialogue fait avancer l’argumentation. Au début du dialogue les divergences très nettes transparaissent alors qu’à la fin Descartes et Pascal s’accordent, « oui, vous avez raison ». Le dialogue théâtral s’ouvre, le débat est lancé. Il s’agit de s’interroger sur des questions métaphysiques liées aux problèmes existentiels. Ces problèmes sont relatifs aux interrogations sur la mort, l’infini et l’éternité. Mais au-delà des différentes thématiques philosophiques envisageables, la vraie question est : pour le rationaliste, Descartes de reconnaître les limites de notre entendement qui ne peut pas tout intelliger, comprendre. Par conséquent, Descartes déclare l’ordre de la raison inapte, incompétent pour résoudre les questions métaphysiques. En contrepartie, Pascal s’accorde sur ce point avec son adversaire. Il reconnaît la finitude, l’incomplétude de la raison et déplace le problème car dit-il, « vous ne misez que sur l’intelligence ». Cette idée est renforcée par l’analogie exposée dans le deuxième paragraphe. L’intelligence est dévalorisée. L’ordre de la raison est délaissé au profit d’un autre ordre énoncé par Pascal.
2. L’ordre du cœur
Il est envisagé à travers la réponse faite par Pascal à Descartes, « la misère de l’homme ». L’ordre du cœur dont Pascal nous dit dans les « Pensées » qu’il « fait la grandeur de l’homme » pourtant si misérable car « il a des raisons que la raison ignore » est cet ordre qui nous tourne vers la croyance. Au premier ordre de connaissance qui était la raison se substitue un autre ordre de connaissance : le cœur. La suite du dialogue appuie et confirme son indispensable et authentique présence par des exemples. Descartes met en avant par un exemple précis, la mort de sa fille, le 7 septembre 1640 d’une fièvre scarlatine, le fait que la souffrance soit inhérente à la condition humaine. Nul ne peut y échapper. Pascal n’a pas le monopole de la misère humaine. L’humanité est inextricablement confrontée à la vie puis la mort et la souffrance de la perte des êtres chers. C’est un exemple qui va permettre à Descartes de persuader Pascal. Il insiste également sur son âge ce qui lui permet de mettre en avant son expérience. Pascal, à son tour met en avant une exemple précis relatant la souffrance d’un homme démuni, scène dont le philosophe fut spectateur, qui le marqua et le fit culpabiliser. Vers la fin du texte, on remarque un glissement vers le social « le on » s’oppose au « nous » – au « vous » et au « moi ». Pascal s’incline presque sans comprendre et Descartes déculpabilise le philosophe en le déresponsabilisant « on ne peut pas faire attention à tout ».
De cette confrontation ressort un véritable changement concernant les prises de position de Pascal.
II. L’évolution du personnage de Pascal
1. Souvenir d’une expérience de jeunesse
Brisville met en évidence le rôle du père de Pascal. Son évolution se fit grâce au recul, à l’âge et à l’intervention de Descartes. Il est à présent capable de s’ouvrir aux autres, à la souffrance et à la compréhension.
2. Déstabilisation
Au début Pascal est sûr de lui, il a un ton péremptoire. Vers la fin, il fait son « mea culpa » et avoue qu’il a tort, d’où l’importance de l’indulgence dans le texte. Le champ lexical est celui de la faute, « que Dieu me pardonne ». Nous assistons à l’évolution de l’inconscient vers la conscience de la faute ainsi que le suggère la répétition du verbe « voir » à des temps différents. Descartes permet une évolution sans imposer son point de vue, il l’amène doucement par les sentiments à reconnaître ses erreurs et ses fautes. Nous pouvons faire une analogie avec le cheminement socratique, le philosophe permet de passer par l’intermédiaire de la dialectique de la conscience qui s’ignore à la conscience qui se sait.
Conclusion
Dans ce texte, nous voyons les deux aspects de l’argumentation, convaincre et persuader. Du fait de la différence d’âge, on pourrait assimiler Descartes au père de Pascal, il agit avec beaucoup de douceur, de sentiments. Les malentendus du début sont dissipés concernant la misère de l’homme et le rôle de l’intelligence. Nous avons ensuite une discussion sur les sentiments et non sur la philosophie. L’ouverture d’un tel texte pourrait être la suivante, philosopher et raisonner, ne suffisent pas, il faut aussi écouter ses sentiments, être un homme ouvrir les yeux sur la vie.