Céline, Lecture analytique d’un extrait de Voyage au bout de la nuit, Chapitre 2, l’Explosion
Introduction
Louis-Ferdinand Destouches connaît la gloire avec un premier roman qui crée la polémique, Voyage au bout de la nuit. Il y retranscrit notamment ses expériences de soldat (engagé sur le front pendant la première guerre mondiale, il est grièvement blessé à la tête) à travers le récit désabusé d’un narrateur, Bardamu, qui critique vivement la société des années 30. Au chapitre II, il dénonce l’absurdité et les atrocités de la guerre. L’explosion d’un obus causant la mort d’un colonel et d’un soldat est l’occasion pour Céline de faire la description décalée d’un véritable carnage et d’exprimer avec virulence son antimilitarisme.
I. Description décalée d’un carnage
Points 1, 2, 3, 4, 7, 9, 10.
II. L’expression du refus de la guerre
Points 5, 6, 8, 11, 12, 13.
Ce qu’on relève |
Ce qu’on interprète |
Outils d’analyse/Procédés/Figures de style |
1) Exemple : l.7-8 « du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite » | Le narrateur dédramatise l’évocation du sang (allusion au monde de l’enfance avec la cuisson de la confiture) | Métaphore suivie d’une comparaison |
2) l.16-17 « comme quand […] drôles » | Evocation d’un loisir pour caractériser la guerre | Comparaison |
3) l.21-22 « les champs des Flandres bavaient l’eau sale » ; l.26-27 | Le caractère sordide de la scène est reporté sur le paysage (emploi transitif du verbe « baver ») ; serment dérisoire qui exprime une haine du paysage | Métaphore |
4) l.24-25 « une balle […] moi » | Décalage entre la gravité de la situation (il est en danger de mort) et la légèreté de l’image | Personnification |
5) « glouglous » l.7, « une sale grimace » l.9, « foutre le camp » l.15, « un brin » l.16, etc. + « toutes ces viandes saignaient énormément ensemble » l.12 | Vocabulaire familier et péjoratif qui dévalorise la scène + insistance (détachement de la phrase + reprise de « toutes » par « ensemble ») sur le caractère horrible de la scène : véritable carnage (cf. la « boucherie héroïque » de Candide). | Niveau de langue familier + registres réaliste et satirique |
6) « Tant pis pour lui ! » l.10 ; « s’il était […] arrivé » l.11 | Impression de vengeance infantile | Registre satirique |
7) « Lui pourtant aussi » l.1-2, « fini lui aussi » l.4-5, « ça avait […] pour lui ! » l.9-10, « que je me disais » l.18-19, « que je me répétais » l.19 | Constructions ou expressions familières qui inscrivent le texte dans un discours oral | Syntaxe orale |
8) « joliment heureux » l.14, « aussi beau prétexte » l.15, « chantonnais » l.15, « une bonne partie » l.16 | Vocabulaire mélioratif en antithèse avec la situation : rupture de ton | Champ lexical de la joie |
9) Alternance des temps du discours (passé composé l.14 et présent l.17) et du récit (imparfait l.1 et passé simple l.2) | Mélange d’une langue littéraire à une langue plus relâchée | Emploi original des temps |
10) « déporté sur le talus, allongé sur le flanc par l’explosion et projeté » l.3-4 | Violence de l’explosion | Gradation sur un rythme ternaire |
11) « dans les bras » l.4, « ils s’embrassaient tous les deux pour le moment et pour toujours » l.5 | Décalage entre l’image amoureuse et la gravité de la situation : la mort ne respecte pas la hiérarchie militaire | Vocabulaire amoureux |
12) « à la droite et à la gauche de la scène » l.13 | Distance du narrateur qui assiste en spectateur aux événements qu’il décrit ; refus de participer | Métaphore théâtrale |
13) l.17-20 + l.24-25 | Individualisme ; refus des valeurs collectives militaires | Énonciation + monologue intérieur |
Conclusion
Cet extrait est caractéristique du style célinien en ce qu’il reflète les raisons majeures du scandale qui a entouré la publication de Voyage au bout de la nuit : le refus du patriotisme et de la guerre ; l’irruption de la langue parlée et argotique dans la littérature. Cependant, il a inspiré de nombreux écrivains et chansonniers, parmi lesquels Georges Brassens, qui a composé notamment Les deux oncles (1964) et la guerre de 14-18 (1961), deux textes exprimant un refus total de la guerre.