François-René de Chateaubriand

Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, Cynthie

Texte étudié

N’ayez pas peur, Cynthie ; ce n’est que la susurration des roseaux inclinés par notre passage dans leur forêt mobile. J’ai un poignard pour les jaloux et du sang pour toi. Que ce tombeau ne vous cause aucune épouvante, c’est celui d’une femme jadis aimée comme vous : Cécilia Metella reposait ici.

Qu’elle est admirable, cette nuit, dans la campagne romaine ! La lune se lève derrière la Sabine pour regarder la mer ; elle fait sortir des ténèbres diaphanes les sommets cendrés de bleu d’Albano, les lignes plus lointaines et moins gravées du Soracte. Le long canal des vieux aqueducs laisse échapper quelques globules de son onde à travers les mousses, les ancolies, les gérofliers, et joint les montagnes aux murailles de la ville. Plantés les uns sur les autres, les portiques aériens, en découpant le ciel, promènent dans les airs le torrent des âges et le cours des ruisseaux. Législatrice du monde, Rome, assise sur la pierre de son sépulcre, avec sa robe de siècles, projette le dessin irrégulier de sa grande figure dans la solitude lactée.

Asseyons?nous : ce pin, comme le chevrier des Abruzzes, déploie son ombrelle parmi des ruines. La lune neige sa lumière sur la couronne gothique de la tour du tombeau de Metella et sur les festons de marbre enchaînés aux cornes des bucranes ; pompe élégante qui nous invite à jouir de la vie, sitôt écoulée.

Ecoutez ! la nymphe Egérie chante au bord de sa fontaine ; le rossignol se fait entendre dans la vigne de l’hypogée des Scipions ; la brise alanguie de la Syrie nous apporte indolemment la senteur des tubéreuses sauvages. Le palmier de la villa abandonnée se balance à demi noyé dans l’améthyste et l’azur des clartés phébéennes. Mais toi, pâlie par les reflets de la candeur de Diane, ô Cynthie, tu es mille fois plus gracieuse que ce palmier. Les mânes de Délie, de Lalagé, de Lydie, de Lesbie, d’Olympia posés sur des corniches ébréchées, balbutient autour de toi des paroles mystérieuses. Tes regards se croisent avec ceux des étoiles et se mêlent à leurs rayons.

Mais, Cynthie, il n’y a de vrai que le bonheur dont tu peux jouir. Ces constellations si brillantes sur ta tête ne s’harmonisent à tes félicités que par l’illusion d’une perspective trompeuse. Jeune Italienne, le temps fuit ! sur ces tapis de fleurs tes compagnes ont déjà passé.

Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (Livre 38, Chapitre 5)

Introduction

Écrivain français romantique du 19ème siècle, Chateaubriand a été élu à l’Académie Française. Il est né à St Malo, en Normandie, par une nuit de tempête. Dans son enfance, il a été délaissé par ses parents. Entre 16 et 18 ans il se trouve au château avec sa sœur, avec qui il parle beaucoup. En 1781 il part en Amérique pendant 5 mois. Il va vivre avec des indiens et écrit l’Atala. Il rentre en France et se marie. Il écrit Génie du christianisme (paru en 1802) dans lequel il défend le christianisme. Sa sœur Lucile meut en 1806 ce qui provoque chez lui une profonde tristesse. Il démissionne et fait un voyage en France puis en Grèce (au retour : Égypte, Tunisie, Espagne). Il va commencer à écrire ses Mémoires (1807), cesse de paraître en public et se retire à la campagne. Il écrira ses Mémoires pendant 30 ans.

Problématique : En quoi ce passage est-il lyrique ?

I. La rêverie romanesque

1. Élégie / 2. Effusion romanesque

Cynthie = imagination comme le fantôme d’amour. Description du paysage en arrière plan : « susurration », personnification des roseaux. Allitération en [l] et en [r].
Digression lyrique, très connue, qui fait partie du journal de Carlsbad à Paris, un soir de juin 1833. Il est sur une route d’Europe centrale. Il voit se lever les étoiles, il rêve qu’il est dans la campagne Romaine (via Appia) = route créée par les romains qui reliait le Sud de l’Italie à Rome. Elle est bordée de tombeaux sur tout le chemin. C’est un lieu habité par les tombeaux. La femme aimée est la muse de Propersce, figure de la femme idéale chez Chateaubriand. On est dans le thème du songe amoureux = fantasmagorie nocturne ; il évoque sa muse (imagination, rêverie).
La mémoire affective resurgit d’une vision du passé. En général elle n’est pas volontaire, elle fait appel aux sens. La vue des étoiles ressuscite un souvenir du passé.
Bonheur aboli = apostrophe, vouvoiement et injonction (rituel pour évoquer le passé), utilisation du présent « la lune se lève ».
Le fantôme d’amour : Cynthie est la réincarnation des grandes figures féminines de la mythologie gréco-romaine. Elle représente le télescope des paysages et des femmes. Référence à la rêverie du lido, Venise personnifiée.
Un clair de lune, un paysage nocturne, est toujours associé à une figure de femme : Cynthie est associée à la lune : « clartés phébéennes ».
Ce nocturne est passionné par un tableau. On a une construction avec des verticales et des horizontaux (muraille et aqueduc).
Le regard s’arrête sur tel ou tel détail. Association de couleurs (blanc, bleu, « solitude lacté » = « blanc », « la lune qui neige sa lumière » = « blanc). La lune est personnifiée grâce aux verbes d’action, avec des phrases qui s’amplifient.

II. La méditation à la mort

A. L’invitation à l’amour est arrivée par la hantise de la mort

Les êtres et les choses sont éphémères. Le carpe diem « profite de la vie, cueille le jour », leit motiv de la poésie érotique. Le décor est propice à l’amour (ex : les roseaux) : la nature est complice et participe à l’amour ; de plus on a une théâtralisation par les ruines. L’incantation s’appuie sur le rythme qui s’allonge de préposition en préposition.

B. L’ombre de la mort : fragilité du paysage lunaire

Un amour qui naît entre deux tombes : « Mémoires d’outre-tombe » : c’est une méditation sur les ravages du temps « ébrécher », « les aqueducs promènent dans les airs le torrent », « ruisseau ». Association de l’abstrait et du concret : hypallage. Allitérations en [l] et en [r] qui sont fluides (allusion au liquide). Il y a une antithèse dramatique entre la grandeur du passé, la durée historique, et la description des monuments : « dessin irrégulier » : tout ceci montrant l’anéantissement de toute civilisation. « Vanité des vanités, tout n’est que vanité » : citation de la Bible, sorte de maxime.

C. Le miracle de l’art

Immortalité que confère l’art : Tibule, Horace, Quatule : poètes érotiques, élégiaques.

Conclusion

On a affaire ici à une digression. Le poème en prose qui est mis en abîme des thèmes principaux de l’oeuvre : pathétique, memento mori (souviens toi que tu vas mourir), carpe diem, et la fois inébranlable de l’art.

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