Esope, Fables, Lecture analytique de l’Aigle et la renarde
Texte étudié
S’étant liés d’amitié, un aigle et une renarde avaient décidé de devenir voisins, afin que l’habitude resserre leurs liens.
L’aigle s’éleva donc au sommet d’un grand arbre et y fit sa couvée ; la renarde se glissa dans le buisson au pied de l’arbre pour y mettre bas.
Or un jour qu’elle était sortie en quête de pâture, l’aigle dans la disette fondit sur le buisson et ravit les renardeaux, dont il se régala avec ses aiglons.
A son retour, la renarde comprit ce qui s’était produit, et s’affligea non pas tant de la mort de ses petits que de son incapacité à la venger :
elle qui vivait sur terre ne pouvait en effet pour chasser un volatile.
Aussi dut-elle rester à l’écart et s’en tenir au seul recours des impuissants et des faibles: maudire son ennemi.
Cependant l’aigle ne tarda pas à subir le châtiment de son manque de foi.
Un jour, à la campagne, au cours du sacrifice d’une chèvre, il emporta de l’autel un viscère encore en feu, qu’il ramena dans son aire.
A peine l’avait-il déposé parmi les brindilles qu’un vent violent se leva et fit jaillir d’un vieux fétu une flamme brillante ;
les aiglons furent consumés, car ils étaient encore trop jeunes pour voler, et tombèrent sur le sol.
La renarde se précipita, et sous les yeux de l’aigle les dévora jusqu’au dernier.
Esope, Fables
Indices spatio-temporels
I. Liens logiques = « donc » l.2 ; « or » l.4 ; « aussi » l.9 ; « cependant » l.11.
II. Liens chronologiques = « un jour que » l.4 ; « à son retour » l.6 ; « un jour » l.12 ; « à peine » l.14.
« un jour » structure le récit en deux épisodes ; les autres repères chronologiques donnent de la rapidité aux actions.
Les liens logiques signalent ces ruptures dans la continuité du temps : « donc » et « aussi » soulignent la conséquence ; « or » et « cependant » annoncent des retournements de situation.
Le fabuliste insiste sur les grandes lignes du récit pour mettre en parallèle les destins de deux animaux : chaque animal agit à tour de rôle et dans une démarche de réciprocité.
Schéma narratif
Situation initiale : l.1-4 : une amitié improbable
Élément perturbateur : l.4-6 : la rupture du pacte de non agression
Péripéties : l.6-11 : la prise de conscience de la renarde
Élément de résolution : l.11-17 : l’incendie « accidentel »
Situation finale : l.17-18 : la vengeance de la renarde
Caractéristiques principales des personnages
L’aigle est associé à ce qui est élevé (champ lexical de l’élévation) : l.2 « s’éleva », l.3 « sommet », « grand », l.5 « fondit », l.9 « volatile », l.14 « aire », l.17 « voler », « tombèrent sur le sol ».
La renarde est toujours liée à la terre : l.4 « dans le buisson au pied de l’arbre », l.8-9 « sur terre », l.17 « sur le sol » (repères spatiaux). Ces deux champs lexicaux sont néanmoins construits en antithèse, ce qui préfigure une suite néfaste.
L’histoire est construite sur un parallélisme d’actions (installation l.1, naissance de la progéniture l.3-4, alimentation) et le narrateur joue sur deux idées opposées de rapprochement et de dissociation : l’aigle et la renarde ensemble (association dès la première phrase), action destructrice de l’aigle, action destructrice de la renarde, séparation définitive.
Cette alternance souligne le caractère irréalisable d’une tentative d’amitié entre ces deux animaux : la loi de la nature est plus forte que le désir de sociabilité.
Énonciation
récit mené à la troisième personne. Mais le narrateur est omniscient car il exprime les intentions des personnages et guide le lecteur vers le sens de la fable :
· Volonté de « resserrer les liens » l.2.
· Explication de l’affliction ressentie par la renarde l.7-9 « non pas tant de…que ».
· Connotations morales traduisant un jugement l.11-12 « châtiment de son manque de foi » (précision l.21 « châtiment divin »).
· Intention didactique l.19 « la fable montre que ».
Reformulation de la morale de cette fable
Il ne s’agit pas de l’application de la loi du Talion : ce n’est pas la renarde qui se venge car elle est réduite à néant par la position de l’aigle ; c’est le ciel (au sens propre du terme) qui lui donne l’occasion de rétablir un ordre sans commettre le mal. Les aiglons sont en effet déjà morts lorsqu’elle les dévore : ce n’est pas elle qui les a tués mais le feu du ciel.