La Fontaine, Fables, La Cour du Lion
Fable étudiée
Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître
De quelles nations le Ciel l’avait fait maître.
Il manda donc par députés
Ses vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture,
Avec son sceau. L’écrit portait
Qu’un mois durant le Roi tiendrait
Cour plénière, dont l’ouverture
Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence
Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l’odeur se porta
D’abord au nez des gens. L’Ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L’envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif il loua la colère
Et la griffe du Prince, et l’antre, et cette odeur :
Il n’était ambre, il n’était fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encore punie.
Ce Monseigneur du Lion-là
Fut parent de Caligula.
Le Renard étant proche : Or çà, lui dit le Sire,
Que sens-tu ? dis-le-moi : parle sans déguiser.
L’autre aussitôt de s’excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire
Sans odorat ; bref, il s’en tire.
Ceci vous sert d’enseignement :
Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.
La Fontaine, Fables
I. La construction
Le récit se développe sur 32 vers et la morale sur 4 vers. La Fontaine s’adresse directement au lecteur dans la morale en faisant des confidences et en donnant des conseils. Rimes embrassées « ne soyez a la cour si vous voulez y plaire » ni ni. Intention du roi d’organiser une fête pour étaler montrer sa puissance.
Les comportements de l’ours et du singe se rapprochent par les rimes « irrité » et « sévérité » : tous les deux sont blâmables. Ours = trop vrai, singe = trop faux. Récit simple, phrases juxtaposées. En revanche il y a des variations de rythmes, alternance alexandrins/octosyllabes, coupes (v.15) peuvent être irrégulières. Enjambement vers 3/4 ; 6/7 ; 31/32, infinitif de narration « et l’autre aussitôt de s’excuser ». v.30 => rend l’action plus rapide.
II. Le monde humain transposé
Roi soleil.
Diérèse v.1 li/onne v.2 na/ti/on. Pompeux (style) ? discours solennel pour présenter le roi. Allitération v.13 en « s » qui martèle le vers. Manière très formelle de convier les invités : l’étiquette (cérémoniale).
Mélange de simplicité et de variété.
Très cérémonial et ritualisé : « mandats » « députés » « vassaux ». L’ours ne respecte pas l’étiquette en manifestant son dégoût et son insolence. Manque de maîtrise de soi : trop naturel. Le singe au contraire est flatteur et manque de naturel : excessif. Adv. « fort ». Trop peu vrai. Ses paroles sont rapportées au discours indirect, libre construction anaphorique et symétrique.
Référence mythologique : « Pluton », un romain. Euphémisme puisqu’il est le dieu de l’enfer, « Caligula », empereur romain rime comique. Burlesque + monde imaginaire.
III. Ironie de la fable
Décalage puisque le renard ne parle pas. Ironie du silence inhabituel en prétextant un rhume.
Honnête homme : a de la retenue, sobre, sage, morale. « ni/ni » construction en chiasme.
La Fontaine nous conseille la retenue. Il nous dit d’être cet homme artificiel. Ironie : inversement des valeurs humanité raffinée de la cour/monde animal hiérarchisé.
v.15 : Louvre, « quel Louvre ». Différent de charnier. Façon de nommer « majesté », « prince », « monseigneur ». Ironie. Statut du renard renversé. Capacité d’adaptation en restant silencieux. Honnête homme qui cherche à plaire mais est artificiel. Litote v.36 « tâchez quelquefois de répondre en Normand ».
Conclusion
La Fontaine traite de façon légère voire même frivole des sujets sérieux de son époque. La sincérité est punie. Il faut savoir composer son attitude et se couler dans le moule attendu du courtisan.