Victor Hugo

Hugo, Les Châtiments, VII, 1, Sonnez, Sonnez toujours, Clairons de la pensée

Texte étudié

Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée.

Quand Josué rêveur, la tête aux cieux dressée,
Suivi des siens, marchait, et, prophète irrité,
Sonnait de la trompette autour de la cité,
Au premier tour qu’il fit, le roi se mit à rire ;
Au second tour, riant toujours, il lui fit dire :
« Crois-tu donc renverser ma ville avec du vent ? »
À la troisième fois l’arche allait en avant,
Puis les trompettes, puis toute l’armée en marche,
Et les petits enfants venaient cracher sur l’arche,
Et, soufflant dans leur trompe, imitaient le clairon ;
Au quatrième tour, bravant les fils d’Aaron,
Entre les vieux créneaux tout brunis par la rouille,
Les femmes s’asseyaient en filant leur quenouille,
Et se moquaient, jetant des pierres aux Hébreux ;
À la cinquième fois, sur ces murs ténébreux,
Aveugles et boiteux vinrent, et leurs huées
Raillaient le noir clairon sonnant sous les nuées ;
À la sixième fois, sur sa tour de granit
Si haute qu’au sommet l’aigle faisait son nid,
Si dure que l’éclair l’eût en vain foudroyée,
Le roi revint, riant à gorge déployée,
Et cria : « Ces Hébreux sont bons musiciens ! »
Autour du roi Joyeux riaient tous les anciens
Qui le soir sont assis au temple, et délibèrent.

À la septième fois, les murailles tombèrent.

Introduction

Hugo a conservé dans son poème le prénom du héros, le contexte et l’histoire et son contenu. Cependant il a choisi de ne raconter que le dernier jour (7ème jour, 7 fois le tour de la ville) car il a voulu mettre en scène la victoire de Josué, du faible sur le fort. De même il a montré les moqueries du roi et des habitants.

Les habitants et le roi se moquent et ne le prennent pas au sérieux car ils ne pensent pas que Josué avec son clairon pourra faire tomber la ville. Ils le trouvent ridicule et insignifiant.

Josué est un héros épique car il est élu et aidé par un Dieu, il est persévérant ainsi que aidé par les autres mais reste individuel. Il a des valeurs morales : la liberté et sauve les gens. Il a des obstacles : moqueries… Il est brave.

Le poète s’identifie à Josué car les gens se moquent autant de lui et Napoléon pense qu’Hugo est stupide en croyant faire réfléchir les gens grâce à ses écrits (Hugo sera exilé).

Hugo réécrit un mythe biblique. Il s’approprie l’histoire de Josué. Il réduit le texte d’origine en ne conservant que le 7ème jour : le plus important, ce qui lui permet de mettre en scène la victoire de Josué et les moqueries du roi et du peuple. Une réécriture sérieuse, forme d’hommage, mais il utilise aussi comme prétexte et l’adapte à son époque pour se mettre lui-même en scène et montrer qu’il peut faire chuter Napoléon.

En tête du 7ème et dernier livre des « Châtiments » d’Hugo, ce texte amorce le mouvement final du recueil. Comment ne pas être surpris par le caractère religieux de ce poème ? Finalement on a l’impression que Hugo s’écarte de l’actualité et renonce à attaquer Napoléon. Ce poème relate une histoire de Josué, hébreux, qui lutte contre les juifs et qui fait chuter la ville de Jericho. La référence intertextuelle est claire et assumée. On peut donc se demander pourquoi Hugo a choisi de réécrire cette histoire biblique et finalement ce qu’il cherche à faire.

Nous verrons dans un premier temps qu’Hugo semble faire un véritable hommage aux textes bibliques, puis dans un second temps nous verrons que ce poème est un poème de révolte.

I. Un hommage aux textes bibliques : une réécriture de la chute de Jericho

A. Une réécriture explicite

Hugo réécrit un texte biblique célèbre de la bible, la victoire de Josué sur le tyran juif, c’est une référence intertextuelle. Noms : Josué, le peuple, le roi, à ses compatriotes hébreux. Situation : Josué est aidé de Dieu (v. 2 : synecdoque, « la tête », corps et esprit « tourné vers les cieux », spiritualité).

Josué veut faire tomber la ville de Jericho au son des trompettes « avec du vent ». Ce poème en alexandrins retrace la victoire de Josué contre les juifs, jusqu’à la victoire de des hébreux. Le dernier vers marque une rupture avec le reste du poème face au lent parcours des hébreux qu’occupent 24 vers, ce dernier vers = chute du poème, plus chute de la ville. De même le corps du poème est composé de deux phrases, le vers d’ouverture plus le dernier vers forment une phrase brève et tranchante. Hugo reprend hypotexte l’atmosphère sacrée religieuse. Cet atmosphère est créé par le champ lexical de la religion qui parcourt tout le texte : « cieux », « prophète », « arche », « hébreux », « sous les nuées », « temples ». Hugo ne se contente pas simplement du texte explicite, il joue avec les symboles. Ce poème ouvre le 7ème livre, hors le chiffre 7 est un symbole divin (nombre de jours que Dieu a mis pour créer l’Homme), ce symbole est présent dans tout le texte, il doit faire 7 fois le tour de la ville, le 7ème jour. Hugo met ce chiffre dans la progression du poème de façon anaphorique, il fait le décompte des tours. Le premier tour : 1 vers, 2ème tour : 2 vers, 3ème et 4ème tours : 4 vers chacun, 5ème tour : 3 vers, 6ème tour : 7 vers. Au 6ème tour, nombre de la justice divine. On constate que Hugo dans la construction même du poème a su ancrer son texte dans une dimension religieuse.

B. Réduction et changements

Si la référence aux textes bibliques est explicite, Hugo a aussi fait des choix ; Hugo a dû faire des changements, il ne reprend pas entièrement la trame narrative de Josué, il a réduit le texte. Le parcours de Josué s’étend sur une semaine complète et finalement Hugo ne relate que le 7ème jour pendant lequel Josué doit faire 7 fois le tour de la ville. On peut se demander pourquoi Hugo a fait ces choix, il semble avoir cherché l’efficacité en ne retraçant que le dernier jour, il veut attirer l’attention sur l’instant fatidique (la victoire du faible sur le fort), il a appuyé sur le caractère épique de cet épisode. La présence de Dieu est moins importante, moins explicite. Au vers 2 Hugo cherche à faire de ses compagnons les héros du poème. De même la brièveté montre paradoxalement la lente et difficile procession des hébreux, on le voit à travers le temps de l’imparfait et l’indicatif souligne la durée et la répétition, et décrit bien la situation répétitive des moqueries et des tours effectués par les soldats. D’ailleurs les moqueries du roi et du peuple sont un ajout de Hugo, alors que le peuple craint les évangiles.

Finalement il veut montrer la bravoure de Josué et le caractère impitoyable des juifs, l’absence de croissance, qui se moquent d’un élu de Dieu.

Mais la réécriture n’est pas complètement fidèle, l’intérêt est ailleurs.

II. Un poème de révolte : sous le sacré se cache la colère du poète

A. La dimension politique ; un poème « actuel » ou quand le mythe devient réalité

Le caractère politique du poème est assez clair, si on se replace dans le contexte du recueil, le roi peut finalement être rapproché à Napoléon III. La cité et la ville deviennent alors la France qui en exilant les opposants les rejette hors des murailles, mais le rôle principal est Josué qui peut nous faire penser à Hugo. De son côté le roi s’amuse de ceux qu’il a exilé, le thème du rire est présent dès le vers 5. Ce roi « toujours riant » est entouré d’autres rieurs. Par dérision les enfants imitent le clairon, les anciens qui doivent posséder sagesse et gravité font équo à l’hilarité du roi joyeux, ce rire semble contagieux, va en s’amplifiant : le roi commence à rire, le vers 22 le montre à gorge déployée. Le roi devient riant, allitérations en [r] semblent nous faire entendre le cri du roi. Toute cette joie moqueuse, celle de Napoléon III face aux critiques de Hugo. Ce roi qui n’a que son rire et son mépris évoque irrésistiblement Napoléon III.

B. Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée

Hugo n’a pas choisi le texte source au hasard, Hugo éclipse aussi Dieu de son poème ce qui lui permet de mettre Josué au centre du poème. Hugo cherche à montrer que le peuple (même le plus petit) peut faire chuter le tyran de sa tour. Au delà du plaisir de l’histoire se dissimule une morale très forte. Josué est l’exemple de ceux qui ne se laissent pas faire -> héros épique. Face aux rires croissants des habitants et du roi Josué poursuit sa route et gagne. Si Josué est le symbole de la révolte des petits face aux puissants, ce héros devient aussi l’image du poète. En effet Josué se bat avec une arme qui semble inoffensive, le clairon, et Hugo se bat avec son arme favorite, la plume. Hugo à son tour devient donc un héros épique.

Finalement la fin du poème prouve le pouvoir extraordinaire que peut avoir un simple instrument, l’espoir de la chute est donc alors permis.

Conclusion

XXème siècle : Girodé, Anouilh vont reprendre des mythes pour les adapter à leur époque dans un contexte de guerre.
Quelle image du poète est donnée ici ?
Quel rôle le poète semble jouer dans la société grâce à la poésie ?

Du même auteur Hugo, Quatre vingt treize, Une métamorphose Hugo, Les Rayons et les Ombres, La fonction du poète Hugo, Ruy Blas, Acte III, Scène 2 Hugo, Châtiments, Chanson Hugo, Les Misérables, Tome II, Livre 3, Chapitre 5 Hugo, Les Contemplations, Elle était déchaussée, elle était décoiffée Hugo, Les travailleurs de la Mer, La pieuvre Hugo, Les Châtiments, L'expiation, Il neigeait Hugo, Les Misérables, Chapitre 1 Hugo, Hernani, Acte III, Scène 4, Tirade de Hernani a Dona Sol

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