Victor Hugo

Hugo, Les Misérables, Chapitre 1

Texte étudié

Javert pencha la tête et regarda. Tout était noir. On ne distinguait
rien. On entendait un bruit d’écume ; mais on ne voyait pas la rivière. Par instants, dans cette profondeur vertigineuse, une lueur apparaissait et serpentait vaguement, l’eau ayant cette puissance, dans la nuit la plus complète, de prendre la lumière on ne sait où et de la changer en couleuvre. La lueur s’évanouissait, et tout redevenait indistinct. L’immensité semblait ouverte là. Ce qu’on avait au-dessous de soi, ce n’était pas de l’eau, c’était du gouffre. Le mur du quai, abrupt, confus, mêlé à la vapeur, tout de suite dérobé, faisait l’effet d’un escarpement de l’infini.

On ne voyait rien, mais on sentait la froideur hostile de l’eau et l’odeur fade des pierres mouillées. Un souffle farouche montait de cet abîme. Le grossissement du fleuve plutôt deviné qu’aperçu, le
tragique chuchotement du flot, l’énormité lugubre des arches du pont, la chute imaginable dans ce vide sombre, toute cette ombre était pleine d’horreur.

Javert demeura quelques minutes immobile, regardant cette ouverture de ténèbres ; il considérait l’invisible avec une fixité qui ressemblait à de l’attention. L’eau bruissait. Tout à coup, il ôta son chapeau et le posa sur le rebord du quai. Un moment après, une figure haute et noire, que de loin quelque passant attardé eût pu prendre pour un fantôme, apparut debout sur le parapet, se courba vers la Seine, puis se redressa, et tomba droite dans les ténèbres ; il y eut un clapotement sourd, et l’ombre seule fut dans le secret des convulsions de cette forme obscure disparue sous l’eau.

Introduction

On connait plusieurs visages de Victor Hugo : poète épique, lyrique, mais là nous avons à faire à un romancier. Cette œuvre à été écrite en 1862. Hugo est alors un romancier populaire. Dans « Les Misérables« , il met en scène des personnages touchants et sympathiques. Ce passage est original car il met en scène la mort d’un autre misérable mais lui dans le sens de maudit : le général Javert. Ce thème de la misère sous toutes ses formes tient beaucoup à cœur à Victor Hugo. C’est un passage clef du roman. Le romancier a le pouvoir de vie et de mort sur ses personnages, c’est un démiurge. En 25 lignes, on va assister aux derniers instants de la vie de Javert.

Ce texte se passe en trois temps :

Présentation du passage (introduction).
Attente d’une action.
Action finale.

Ce texte a une forme de logique. Il forme un tout. Avec la première et la dernière phrase, on a un résumé : « Javert pencha la tête et regarda » … « L’ombre seule fut dans le secret des convulsions de cette forme obscure disparue sous l’eau ».
Les quatres derniers mots sont les quatre thèmes du texte (forme, obscure, disparue, l’eau).
Victor Hugo raconte les derniers instants d’une âme coupable qui toute sa vie à fait le mal autour de lui. Maintenant, il est seul sur les quais de la Seine, il vient de manquer à son devoir. Hugo va utiliser tous les éléments du fantastique.

I. Le cadre fantastique

A. Le cadre fantastique de la nuit.

L’histoire se déroule donc dans un cadre fantastique où la nuit est omniprésente. C’est une nuit au bord de la Seine. Durant la nuit les sens sont abusés. On perd de vue la réalité telle qu’elle est. C’est une atmosphère de mystère.

Ligne 1-2 : « Tout était noir », « on ne voyait plus la rivière ».
Ligne 9-10 : « Dans cette profondeur vertigineuse, une lueur … ».

Hugo fait des jeux d’ombre et de lumière, dus à l’eau. Avec cela commence à apparaître un sentiment de peur. Cette nuit a quelque chose d’angoissant. Cette nuit va passer de la nuit « normale » à une nuit « infernale ».

Ligne 3 : « profondeur vertigineuse ».
Ligne 8 : « c’était du gouffre ».
Ligne 9-10 : « escarpement de l’infini ».

La nuit est tout à fait le reflet de Javert. Ce cadre nocturne ne fait qu’annoncer l’action finale. La description de ce cadre est au service de la narration. La description devient fondamentale. Maintenant, Hugo va se servir de tous les sens de Javert.

B. Les sens

C’est le propre de la lecture fantastique. Le premier sens auquel s’attache Hugo est la vue.

Ligne 1 : « regarda », « on ne distinguait rien ».
Ligne 2 : « on ne voyait pas ».
Ligne 3 : « apparaissait », « serpentait ».
Ligne 11 : « on ne voyait rien ».
Ligne 18 : « il considérait l’invisible ».

La plupart sont à la forme négative. La vue ne voit pas la réalité car Javert est tourné vers quelque chose d’autre. Javert ne voit pas clair en lui. Pour accentuer cette angoisse, il y a la présence de cette lueur qui s’amuse avec les sens de Javert.

Lorsque la vue ne voit pas, l’ouïe prend le relais. Elle est moins fidèle que la vue.
« entendre, chuchoter, grossissement du fleuve, clapotement sourd, l’eau bruissait »

Le toucher et l’odorat vont venir s’ajouter par la suite :

Ligne 12 : « souffle farouche ».
Ligne 12 : « l’odeur fade des pierres mouillées ».

Une vue aveugle, une ouïe qui n’entend pas, un toucher qui répugne et un odorat qui écoeur. A l’angoisse morale de Javert va venir s’ajouter une angoisse physique.

Par les sens, on comprend mieux le texte. Le lecteur éprouve alors le même malaise que Javert. Mais ce texte est aussi le drame d’une conscience coupable qui va disparaître sous l’eau.

II. Le drame d’une conscience coupable qui s’achève sous l’eau

A. Javert

Il ne supporte pas le manquement au devoir. Il se trouve face à sa conscience.
Il y a dès le début une attitude de coupable : l.1 « pencha la tête ».

Dans la première phrase, il n’y a pas de COD, donc Javert ne sait pas ce qu’il regarde. Ce regard devient de plus en plus fasciné. Javert ne bouge pas, il reste immobile.
Il n’y a, jusqu’à la ligne 19, que le regard qui bouge. Ligne 19 : « Il ôta son chapeau ».
Javert est en effet hypnotisé jusqu’à cette ligne. Ce geste méticuleux effectué par Javert déroute le lecteur. Le personnage ne fait jamais les choses à moitié. Ce geste est une signature de sa part. C’est la dernière trace qu’il laisse avant de mourir.
Le lecteur voit Javert mourir petit à petit car au début du dernier paragraphe, « Javert » se transforme en « il » puis en « une figure haute et noire ». Au moment où il enlève son chapeau, il est déjà mort. Victor Hugo fait exactement comme un cinéaste en faisant un contrechamps. Au début on voit la scène à travers Javert et maintenant c’est de loin que l’on voit tomber sa silhouette dans la Seine (ligne 21).
Ligne 22 : « se courba ». Ligne 23 : « se redressa ».

Jusqu’au dernier moment, Javert assume sa mort. Il l’a choisi. Il est totalement conscient au moment où il entre dans la mort. Ne supportant plus sa conscience, il va la tuer. Le suicide n’est cependant pas une solution. Victor Hugo n’a en effet pas donné le repos à la conscience du coupable.

Il nous reste alors un élément à regarder : l’eau.

B. L’eau

Cette eau a trois rôles :

– Tout d’abord elle va attirer.
– Puis elle va tuer.
– Elle va protéger.

Cette eau joue avec les sens de Javert, tantôt c’est un bruit énorme : l.2, « on entendait un bruit d’écume », tantôt un chuchotement : l.14, « tragique chuchotement du flot ».
L’eau joue aussi sur les nerfs du personnage : l.10-11, « froideur hostile », « odeur fade des pierres mouillées ».
L’eau a des mauvaises intentions : l.11, « froideur hostile ».
Elle donne le vertige : l.8, « gouffre ».
On dirait qu’il y a une accalmie : l.23, « clapotement sourd ».
Mais l’eau attire Javert et va lui servir de tombeau.

L’eau est la seule qui gardera le secret de Javert. Elle est normalement le symbole de la vie. Ici, c’est le contraire. Notons que, à aucun moment, le mot « mort » n’est utilisé. Tout est suggéré. Cela permet au lecteur de participer.

Conclusion

Nous avons un texte en prose mais le poète n’est pas très loin derrière. On retrouve les thèmes Hugoliens qui sont : l’eau, la nuit, la mort. Mais ce sont aussi les thèmes du fantastique comme ceux utilisés par Maupassant. On peut rapprocher ce texte avec la mort de sa fille noyée dans la Seine.

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