Victor Hugo

Hugo, Les Rayons et les Ombres, Extrait

Texte étudié

Dieu le veut, dans les temps contraires,
Chacun travaille et chacun sert.
Malheur à qui dit à ses frères:
Je retourne dans le désert!
Malheur à qui prend des sandales
Quand les haines et les scandales
Tourmentent le peuple agité;
Honte au penseur qui se mutile,
Et s’en va, chanteur inutile,
Par la porte de la cité!

Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
Il est l’homme des utopies;
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C’est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,
Comme une torche qu’il secoue,
Faire flamboyer l’avenir!

Il voit, quand les peuples végètent!
Ses rêves, toujours pleins d’amour,
Sont faits des ombres que lui jettent
Les choses qui seront un jour.
On le raille. Qu’importe? il pense.
Plus d’une âme inscrit en silence
Ce que la foule n’entend pas.
Il plaint ses contempteurs frivoles;
Et maint faux sage à ses paroles
Rit tout haut et songe tout bas!

Hugo, Les Rayons et les ombres

Introduction

« Sonnez, sonnez toujours clairons de la pensée », ce vers appartient au recueil Châtiments, immense pamphlet écrit en 1853 par Hugo, un républicain contre Napoléon III ; bien avant déjà dans son recueil « Les Rayons et les ombres » paru en 1840, Hugo avait réfléchi sur la fonction du poète titre du poème que nous étudions. Nous verrons tout d’abord en quoi c’est un texte de conviction, puis un poète comme penseur et enfin nous verrons en quoi un poète est un prophète controversé.

I. Un texte de conviction

Parlant du poète, c’est de lui-même que parle Hugo, son implication est donc totale et perceptible a de nombreux indices :

– Le choix d’un mètre court, l’octosyllabe : grand dynamisme conduit Hugo à condenser sa pensée en la rendant plus frappante (v.2, 13, 21).

Anathème de première strophe empruntée au style biblique renforcée par « Malheur, malheur, honte » : force du propos.

– L’emploi d’une ponctuation expressive (v.20-21, 30) : quand Hugo veut faire partager son admiration pour la grandeur du rôle qu’il assigne au poète, il a recours, sans que la phrase soit par nature exclamative, au point d’exclamation.

Présent de vérité générale enlève tout caractère subjectif, conférer à des axiomes indiscutables (mot « poète » et pas « je »). L’empli du présent généralise ses propos : il n’est pas ici question du poète de telle ou telle époque, ni des querelles d’école, mais de l’archétype de poète en prise avec son temps, quel qu’il soit ; on note d’ailleurs que les difficultés auquel le poète doit apporter une réponse sont évoquées en des termes très généraux : « haines, scandales, temps contraires.. ».

II. Poète comme penseur

Hugo récuse ici la poésie conçue comme un art ! Il n’est pas question de « chanteur inutile » ou de « penseur qui se mutile » en se coupant de ses semblables.

Poésie lyrique partout prônée par les Romantiques est ici discréditée. A sa place Hugo préconise une réflexion d’ordre intellectuelle, il veut que le poète invente des « utopies » ce qui est le propre des philosophes plus que celui des poètes.

Le penseur est décrit par « il voit, il pense » et il contraint même à réfléchir ses détracteurs (v.29-30).

III. Poète comme prophète controversé

Hugo insiste sur la faiblesse d’une humanité inapte à répondre aux difficultés qui sont le lot commun « temps contraires, jours impies, peuples végètent » ; quand à la faiblesse des hommes, elle est aussi affirmée avec insistance (v.7, 21, 27).

Allusions bibliques assimilent le poète à un prophète. Il partage ses pouvoirs. Il voit l’avenir : « Les yeux ailleurs, il voit ». Métaphore antithétique de l’ombre (v.23) et de la lumière (v.19), un porteur d’espoir face à la passivité du peuple (v.21).

Nul n’est prophète dans son pays dit le dicton, c’est ce qu’affirme Hugo. Il met l’accent sur la solitude du poète.

Malgré le souci d’autrui dont il fait preuve (champ lexical de la charité : Dieu le veut, frères, rêves pleins d’amour..), il rencontre l’agitation (champ lexical de la violence : haines, scandales).

Au contraire, il est guide « qu’on le loue ou qu’on l’insulte », il ne cherche pas la réussite. Il a alors un rôle d’ordre politique.

Conclusion

Même si Hugo insiste sur le caractère intelligent de l’apport du poète dans la cité, on sait combien il est engagé. Il préfère vivre vingt ans en exil que sous Napoléon III ; après la chute du dictateur, il s’est battu pour l’abolition de la peine de mort et du bagne, le travail des enfants.. Il recevra la reconnaissance bien après. Et pour lui rendre hommage la France républicaine lui offrit des funérailles nationales et ses cendres furent transférées au Panthéon aux côtés des plus illustres.

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