Montaigne, Essais III-6, Des coches
Introduction
Les Essais sont l’une des premières autobiographies de la culture occidentale (avec Saint Augustin au IIIème siècle). Montaigne s’y consacre entre 1580 et 1595. Montaigne médite ici en humaniste sur la découverte du nouveau monde et sur le choc des cultures. Il se place en témoin de son temps : en 1562 à Rouen, Montaigne va rencontrer trois cannibales. La méditation se transforme ici en un réquisitoire véhément et indigné contre les méfaits de la colonisation. Dans ce passage, nous nous intéresserons aux caractéristiques d’un savoir nouveau, puis nous verrons une vision idéalisée du nouveau monde selon Montaigne, et enfin nous verrons en quoi fait-il le procès de l’ancien monde.
I. Un savoir nouveau
1. Une nouvelle conception de l’univers
Montaigne émet l’hypothèse de la pluralité des mondes : « le dernier des frères ? ».
Il refuse ici le schéma biblico-aristotélicien. Il fait donc preuve ici d’un esprit ouvert.
2. Un esprit curieux
Montaigne nous montre son intérêt pour ce qui relève du nouveau, du merveilleux. Il aborde le mythe des trésors Aztec et Inca, notamment le mythe de l’El Dorado : contrée fabuleuse d’Amérique du Sud que les conquérants espagnols situaient entre l’Amazonie et l’Orinoque et qui selon eux regorgeait d’or.
L’art des plumes est évoqué ici, art qui attire la curiosité des lecteurs de Montaigne car c’est un art inédit en Europe.
3. Montaigne place les Indiens à égalité avec les Européens
A une époque où fleurissaient « les cabinets de curiosité » chez les riches érudits, sortes de musée privé, Montaigne fait du cabinet du roi, un cabinet de curiosité. En dotant les Indigènes de ces cabinets, Montaigne en fait ses égaux.
II. Une vision idéaliste d’un nouveau monde
1. La métaphore de l’enfant
Pour mener a bien la comparaison entre les deux mondes, Montaigne choisit de filer la métaphore de l’enfant appliquée au Nouveau Monde. Cet enfant va grandir et « ne fera qu’entrer dans la lumière quand le notre en sortira », idée d’une vie à faire à côté de ses parents.
La métaphore du vieillard malade appliquée à l’ancien monde contraste avec celle du nouveau monde. Or, qui dit candeur et innocence dit vision idéaliste du nouveau monde qui devient prétexte à :
– un éloge de « l’état nature »
– puis à celui du « bon sauvage »
2. L’éloge de l’état nature et du bon sauvage
Mythe de la Terre-mère, c’est Gaïa la « mère nourricière » qui donne de quoi vivre aux Indiens. On est donc à l’âge d’or : éloge de l’état nature. On assiste ainsi à la naissance du « bon sauvage ». L’image attendrissante de l’enfant protégé par sa mère qui le tient en « son giron », c’est à dire contre son cœur. Idée de l’innocence et donc du caractère inoffensif de l’Indien.
III. Le procès de l’ancien monde
1. Un monde régi par l’intérêt
Caractère cupide des Conquérants : « au service du commerce et du trafic ».
Ils cherchent à tirer profits de l’or des Aztèques et les perles et le poivre (commerce des épices).
2. Victoires obtenus par la violence
Montaigne donne la description d’un ancien monde violent : champ lexical de la violence : « exterminés », « rasé », « épée »…
3. Un monde pervers
Alors qu’il est censé être l’éducateur du jeune enfant, l’ancien monde ne joue pas son rôle de maître. C’est un monde sans scrupule moraux qui se sert de la faiblesse du nouveau monde pour le pervertir. Montaigne n’hésite pas à employer la métaphore de la maladie et se déclare donc en rupture avec le modèle de son monde.
4. La victoire toute relative de l’ancien monde
Montaigne va remettre en cause la supériorité technique de l’ancien monde. Certes, il évoque au début les techniques évoluées de l’ancien monde, mais ensuite fait l’éloge de l’architecture et de l’artisanat lorsqu’il évoque les villes de Cuzco et de Mexico.
Conclusion
En recourant à la métaphore du vieillard perdu et du nouveau né, Montaigne nous fait découvrir l’ancien et le nouveau monde sous l’angle d’une comparaison.
L’étude du nouveau monde est l’occasion pour Montaigne de critiquer l’ancien monde. L’attrait qu’exerce sur lui le nouveau monde est l’occasion pour lui d’exercer son esprit critique afin de nous donner une leçon de relativité et de tolérance. Comme disait Montaigne, « chacun nomme barbarie ce qui n’est pas de son usage ».