Michel de Montaigne

Montaigne, Essais III-9, L’Art de voyager

Texte étudié

J’ay la complexion du corps libre, et le goust commun, autant qu’homme du monde : La diversité des façons d’une nation à autre, ne me touche que par le plaisir de la varieté. Chaque usage a sa raison. Soyent des assietes d’estain, de bois, de terre : bouilly ou rosty ; beurre, ou huyle, de noix ou d’olive, chaut ou froit, tout m’est un. Et si un, que vieillissant, j’accuse ceste genereuse faculté : et auroy besoin que la delicatesse et le choix, arrestast l’indiscretion de mon appetit, et par fois soulageast mon estomach. Quand j’ay esté ailleurs qu’en France : et que, pour me faire courtoisie, on m’a demandé, si je vouloy estre servi à la Françoise, je m’en suis mocqué, et me suis tousjours jetté aux tables les plus espesses d’estrangers.

J’ay honte de voir nos hommes, enyvrez de cette sotte humeur, de s’effaroucher des formes contraires aux leurs. Il leur semble estre hors de leur element, quand ils sont hors de leur village. Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons, et abominent les estrangeres. Retrouvent ils un compatriote en Hongrie, ils festoient ceste avanture : les voyla à se r’alier, et à se recoudre ensemble ; à condamner tant de moeurs barbares qu’ils voyent. Pourquoy non barbares, puis qu’elles ne sont Françoises ? Encore sont ce les plus habilles, qui les ont recognuës, pour en mesdire : La pluspart ne prennent l’aller que pour le venir. Ils voyagent couverts et resserrez, d’une prudence taciturne et incommunicable, se defendans de la contagion d’un air incogneu.

Ce que je dis de ceux là, me ramentoit en chose semblable, ce que j’ay par fois apperçeu en aucuns de noz jeunes courtisans. Ils ne tiennent qu’aux hommes de leur sorte : nous regardent comme gens de l’autre monde, avec desdain, ou pitié. Ostez leur les entretiens des mysteres de la cour, ils sont hors de leur gibier. Aussi neufs pour nous et malhabiles, comme nous sommes à eux. On dict bien vray, qu’un honneste homme, c’est un homme meslé.

Montaigne, Essais

Introduction

Les anciens sont très présents dans la culture humaniste. Ils considéraient que toute la culture ne se trouvait pas dans les livres, mais que la culture livres que devait être complétée par une pratique des hommes (fréquentation des hommes).

• Éléments biographiques :

Né en Dordogne en 1533, Montaigne apprend le grec et le latin grâce à son précepteur qui ne lui parlera qu’en langues anciennes. Il ira au collège de Guyenne à Bordeaux où il suivra un enseignement humaniste. En 1570 il étudie les textes anciens (Plutarque…) et se met à rédiger « Les Essais ». En 1580, c’est la parution du livre I des Essais. En 1590 la parution du livre II et Montaigne se lance dans la rédaction du livre III, mais meurt en 1592.
Il retravaillera son œuvre plusieurs fois car il pense que l’homme est en perpétuel mouvement.
Le livre I parle de l’éducation des enfants et de son enfance. Le livre II est une peinture de l’auteur, un autoportrait. Enfin, le livre III parle de ses voyages et de ses réflexions politiques.

• Contexte historique :

Renaissance ; grandes découvertes ; naissance de l’Humanisme (soif de culture, de connaissance, de découverte) ; on élargit le potentiel de l’homme (langues, culture, sport).

L’humaniste est tourné vers les autres. Le seul reproche est que cette éducation n’est pas accessible à tout le monde, à cause des moyens nécessaires (réservée à l’élite).

I. Il existe un art de voyager

Montaigne montre que l’âme (aussi bien l’intelligence, le cœur…) est en continuelle émulation. Il considère que le voyage est une pratique qui est l’école de la vie. Le texte pose la thèse au tout début.

? Voyage où le voyageur est actif (premier paragraphe).
Situation d d’école, stimulation.
Le voyage est la pratique qui complète les livres.
On note le champ lexical mélioratif : « profitable », « meilleure ».
Montaigne pense que l’esprit de l’homme doit être stimulé, car il est plus en éveil lorsqu’il est à l’étranger.
Le superlatif « tant » met en valeur les différents domaines dans lesquels on peut apprendre.

? Nécessite un certain goût pour la diversité et un plaisir à découvrir cette diversité = souplesse du voyageur
« indiscrétions de mon appétit » : il est prêt à tout écouter, s’intégrer, arriver à comprendre les règles d’un groupe pour s’y fondre. Alors que dans l’exemple, Montaigne ne s’intègre pas.
« corps libre » ? souple physique = diversité.
« goût commun » ? souplesse morale = diversité.
« généreuse » ? la nature est généreuse avec lui. Il a une grandeur d’âme.
Il y a une ouverture d’esprit des personnes qui accueillent Montaigne : « on m’a demandé si je voulais être servi à la française ».
On assiste à une écriture remarquable avec une alternance de rythmes ternaire et binaire puis se fond « tout m’est un » :
Rythme ternaire : « des assiettes d’étain, de bois, de terre ».
Rythme binaire : « bouilli ou rôti ».
Rythme ternaire : « beurre ou huile de noix ou d’olive ».
Rythme binaire : « chaud ou froid ».
Cette alternance de rythme donne une diversité.
Découverte de l’ordre de l’aventure, physique : « jeter aux tables étrangères » (Montaigne a écrit son journal en italien).
Une souplesse physique et morale, constitution qui se plie à tout : « chaque usage à sa raison ».

? Lignes 10 à 13 : fougue, passion éprouvée à rencontrer des gens qui ne lui ressemblent pas.
« S’intégrer » à l’étranger, c’est arriver à comprendre les traditions du groupe afin d’être reconnu.
Montaigne ne veut pas seulement s’intégrer, il veut acquérir de la culture.
« plus espesses d’estrangers » : il faut faire un jeu d’écoute pour pouvoir se faire voir.
« guère de manières qui se vaillent les nôtres » : les traditions françaises ne sont pas les seules.

Conclusion : pour voyager il faut une certaine aptitude à s’oublier pour s’ouvrir aux autres.

II. Un tableau satirique des mauvais voyageurs

Dans le second paragraphe Montaigne critique les mauvais voyageurs et termine sur l’ouverture que procure le voyage.

? « envrez » : métaphore.
« j’ai honte » : première personne, qui évoque la tristesse de Montaigne. Le comportement des français lui fait honte. Montaigne est profondément atteint par ce comportement ridicule, et les condamne.
Notons le ridicule du verbe « s’effaroucher » qui a une forte connotation péjorative.
« Abominent » : il rejette, condamne ses compatriotes : Montaigne veut montrer que le voyage de ces gens est inutile.

? Là où Montaigne se réjouit les autres ont peur. Hors de leurs éléments, c’est-à-dire hors de leur village, les voyageurs évoquent un malaise parce qu’ils n’aperçoivent plus leur village, ils sont perdus. Rétrécissement ici de leur champ de vision, qui est restreint au village. Par le mot « village » Montaigne nous présente l’étroitesse de ces voyageurs (village = prison).

Conclusion : l’image d’être s’atrophie par l’étroitesse de leur esprit.

III. Problème d’ordre moral, qui touche des valeurs

? Valeur : « on dit bien vrai » : Montaigne parait accéder à la vérité à partir de son expérience à trouver certaines vérités.

? Ces valeurs sont vérifiées par l’expérience. Il ne se pose pas en tant que quelqu’un de supérieur, et en appelle à la sagesse populaire : « on ».

Conclusion : Montaigne acquière une certaine grandeur par l’expérience. Ce texte propose d’une certaine sorte de société.

Conclusion

Ouverture sur le voyage, l’éducation. Faire un voyage dans le monde de Montaigne, c’est faire un voyage vers l’autre ? toute rencontre d’autrui serait en quelque sorte un voyage qui nous ouvre sans avoir parcouru des kilomètres, une sorte d’échange entre les hommes qui serait fondateur de l’homme, avec une diversité nécessaire pour s’ouvrir vers autrui.

Du même auteur Montaigne, Essais III-9, De la Vanité, A sauts et a gambades Montaigne, Essais III-6, Des coches Montaigne, Essais I-30, Des Cannibales Montaigne, Essais I-28, De l'Amitié Montaigne, Essais, Chapitre 50, Sur Démocrite et Héraclite Montaigne, Essais II-18, Du démentir Montaigne, Essais III-2, Du repentir Montaigne, Les Essais II-12, Apologie de Raimond de Sebond, Les écrits des Anciens (...) Nous contentent à cette heure Montaigne, Essais, Avant-propos Montaigne, Essais III-13, De l'expérience

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