Madame de La Fayette

La Fayette, La Princesse de Clèves, Le portrait ou la passion

Texte étudié

Il y avait longtemps que monsieur de Nemours souhaitait d’avoir le portrait de madame de Clèves. Lorsqu’il vit celui qui était à monsieur de Clèves, il ne put résister à l’envie de le dérober à un mari qu’il croyait tendrement aimé ; et il pensa que, parmi tant de personnes qui étaient dans ce même lieu, il ne serait pas soupçonné plutôt qu’un autre.

Madame la dauphine était assise sur le lit, et parlait bas à madame de Clèves, qui était debout devant elle. Madame de Clèves aperçut, par un des rideaux qui n’était qu’à demi fermé, monsieur de Nemours, le dos contre la table, qui était au pied du lit, et elle vit que, sans tourner la tête, il prenait adroitement quelque chose sur cette table. Elle n’eut pas de peine à deviner que c’était son portrait, et elle en fut si troublée, que madame la dauphine remarqua qu’elle ne l’écoutait pas, et lui demanda tout haut ce qu’elle regardait. Monsieur de Nemours se tourna à ces paroles ; il rencontra les yeux de madame de Clèves, qui étaient encore attachés sur lui, et il pensa qu’il n’était pas impossible qu’elle eût vu ce qu’il venait de faire.

Madame de Clèves n’était pas peu embarrassée. La raison voulait qu’elle demandât son portrait ; mais en le demandant publiquement, c’était apprendre à tout le monde les sentiments que ce prince avait pour elle, et en le lui demandant en particulier, c’était quasi l’engager à lui parler de sa passion. Enfin elle jugea qu’il valait mieux le lui laisser, et elle fut bien aise de lui accorder une faveur qu’elle lui pouvait faire, sans qu’il sût même qu’elle la lui faisait. Monsieur de Nemours, qui remarquait son embarras, et qui en devinait quasi la cause s’approcha d’elle, et lui dit tout bas :

– Si vous avez vu ce que j’ai osé faire, ayez la bonté, Madame, de me laisser croire que vous l’ignorez, je n’ose vous en demander davantage.

Et il se retira après ces paroles, et n’attendit point sa réponse.

Madame la dauphine sortit pour s’aller promener, suivie de toutes les dames, et monsieur de Nemours alla se renfermer chez lui, ne pouvant soutenir en public la joie d’avoir un portrait de madame de Clèves. Il sentait tout ce que la passion peut faire sentir de plus agréable ; il aimait la plus aimable personne de la cour, il s’en faisait aimer malgré elle, et il voyait dans toutes ses actions cette sorte de trouble et d’embarras que cause l’amour dans l’innocence de la première jeunesse.

Le soir, on chercha ce portrait avec beaucoup de soin ; comme on trouvait la boîte où il devait être, l’on ne soupçonna point qu’il eût été dérobé, et l’on crut qu’il était tombé par hasard. Monsieur de Clèves était affligé de cette perte, et, après qu’on eut encore cherché inutilement, il dit à sa femme, mais d’une manière qui faisait voir qu’il ne le pensait pas, qu’elle avait sans doute quelque amant caché, à qui elle avait donné ce portrait, ou qui l’avait dérobé, et qu’un autre qu’un amant ne se serait pas contenté de la peinture sans la boîte.

Introduction

Le Classicisme est un courant esthétique et intellectuel ayant connu son apogée au XVIIème siècle, prenant comme référence esthétique les chefs d’œuvre de l’antiquité gréco-latine (Aristote, Boileau…). Le but premier de ce mouvement littéraire est de concevoir une harmonie dans les textes et les écrits (normalisation de la langue), à l’aide de règles strictes. Nous allons étudier un extrait de « La Princesse de Clèves », de Mme de la Fayette où M. de Nemours succombe à sa passion et vole un portrait de Mme de Clèves. Nous verrons dans quelle mesure ce texte témoigne d’une esthétique classique. Pour cela, nous nous porterons dans un premier temps sur la « cristallisations » des sentiments et dans un deuxième temps sur le caractère théâtral de cette scène.

I. Le portrait ou la cristallisation du sentiment

A. Le vol, résultat de la jalousie de M. De Nemours

Un désir ancien (imparfaits, connecteur temporel : « Il y avait longtemps que M. de Nemours souhaitait… ».
Un désir incontrôlable (« il ne put résister à l’envie »).
[? maîtrise de soi : la passion est ce qui fait faire des choses inattendues, dans lesquelles l’individu ne se reconnaît pas).
Un désir jaloux (« le dérober à un mari qu’il croyait tendrement aimé »), or le motif de la jalousie est faux, puisque Mme de Clèves n’est pas amoureuse de son mari.

B. La complicité, témoignage du trouble de Mme de Clèves

Le jeu des regards (« aperçut », « elle vit que », « ce qu’elle regardait », « il rencontra les yeux de Mme de Clèves », « qu’elle eût vu », « si vous avez vu »).
Le trouble de Mme de Clèves (« elle en fut si troublée que Mme la Dauphine remarqua qu’elle ne l’écoutait pas et lui demanda… », « Mme de Clèves n’était pas peu embarrassée », « son embarras », « cette sorte de trouble et d’embarras que cause l’amour dans l’innocence de la première jeunesse »).
Un raisonnement sophistique [= hypocrite] (« la raison voulait…, mais… », « Enfin, elle jugea qu’il valait mieux… », « Et elle fut bien aise de lui accorder une faveur qu’elle pouvait lui faire sans qu’il sût même qu’elle la lui faisait »).

II. Une scène théâtralisée

(Qui pourrait avoir un aspect comique dans d’autres circonstances).

A. Des circonstances propices à la dissimulation

Le nombre et la disposition personnages (« et il pensa que, parmi tant de personnes qui étaient dans ce même lieu, il ne serait pas soupçonné plutôt qu’un autre » ; Mme la Dauphine voit Mme de Clèves qui voit M. de Nemours).
Le décor (« Mme de Clèves aperçut par un des rideaux, qui n’était qu’à demi fermé ») des personnages.
Le jeu de scène de M. de Nemours (« elle vit que, sans tourner la tête, il prenait adroitement quelque chose sur cette table »).

B. La femme, l’amant et le mari

Une déclaration déguisée (« ayez la bonté, madame, de me laisser croire que vous l’ignorez ; je n’ose vous en demander davantage », « il aimait la plus aimable personne de la Cour ; il s’en faisait aimer malgré elle »).
La jalousie feinte de M. de Clèves (« il dit à sa femme, mais d’une manière qui faisait voir qu’il ne le pensait pas, qu’elle avait sans doute quelque amant caché à qui elle avait donné ce portrait ou qui l’avait dérobé »).

Conclusion

Une scène où l’on voit s’affirmer la passion de M. de Nemours et pointer celle de Mme de Clèves, ainsi que la jalousie qui causera la perte de M. de Clèves.

Du même auteur La Fayette, La Princesse de Clèves, Résumé La Fayette, La Princes de Clèves, Scène de l'Aveu La Fayette, La Princesse de Clèves, La scène de la première rencontre entre Madame de Clèves et Le Duc de Nemours La Fayette, La Princesse de Clèves, Jalousie

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