Leiris, L’Âge d’Homme, Incipit
Introduction
Cet autoportrait est l’incipit de l’œuvre autobiographique de Michel Leiris, auteur du 20ème siècle ayant adhéré au courant surréaliste. Le but de son œuvre « L’âge d’homme » est l’introspection : il se donne pour règle d’or d’être authentique et veut tout dire sur son passé, et se dépasser lui-même. Mais à la lecture du texte, on peut se demander si l’auteur est vraiment sincère car il fait :
Un autoportrait physique et moral ; où
Son corps parait presque comme un ennemi ; puis nous étudierons
Le rôle de l’écriture.
I. Un autoportrait physique et moral
Cet autoportrait est caractérisé par une disproportion, un écart entre une certaine faiblesse et un certain excès.
A. La faiblesse du physique et du caractère
1. Champ lexical de la petitesse : « moitié », « petit », « coupés courts », « maigres », « courtes », « trop étroites », « pas très large », « moyenne », « calvitie », « n’ai guère de muscles », « plutôt limité », « peu de ».
2. Faiblesse du caractère : « quelque chose d’assez faible ou d’assez fuyant ». Il semble reprendre les théories de la physionomie. Le lecteur suppose qu’il est timide lorsqu’il parle de sa tendance aux rougeurs qu’il qualifie de « fâcheuses » (adjectif péjoratif). De plus, après chaque détail physique, il introduit un caractère moral négatif.
B. Développement exagéré de certains traits de son physique
1. Énergie, dynamisme : « une nuque très étroite tombant verticalement comme une muraille ou une falaise », « un front développé », « veines exagérément saillantes », de plus le taureau et le bélier sont des animaux belliqueux, « bord des paupières enflammé ». Tous ces traits renvoient à l’énergie, à l’instinct animal.
Ses traits physiques connotent la force et la puissance qui renverraient plutôt justement à une certaine force de caractère. Mais le corps du narrateur semble être en désaccord avec lui-même sur certains points.
II. Un corps presque ennemi
Certains termes relèvent de la guerre : « menaçante », « comme une muraille », « bélier » et « taureaux » (signes qui renvoient à belliqueux). Il y a également le lexique de la crainte : « afin d’éviter », « par crainte aussi que », « incliné en avant », « le dos voûté ».
Il semble être laid, peu avantagé physiquement. Il possède aussi certains traits physiques exagérément développés qui ne s’accordent pas avec son caractère plutôt timide et effacé, ce qui tendrait à prouver que l’astrologie comme la physionomie ne sont pas fiables. On note enfin la disproportion entre la tête et le corps : comme si ce qu’il avait dans la tête (l’intellectuel) était trop encombrant, trop important, d’où l’expression « la tête plus grosse » et le fait que son métier relève de la littérature.
III. Le rôle de l’écriture
A. L’écriture lui permet de surmonter et oublier les défauts de son physique et exorciser sa « laideur humiliante »
B. Mais aussi de lui procurer la confiance qu’il ne trouve pas dans son physique. Notons le ton dogmatique, assertif du troisième paragraphe : les verbes d’états, l’emploi du présent, le procédé de la généralisation, l’abondance des négations et enfin l’emploi de modalisateurs montrant la certitude (par opposition aux modalisateurs des deux premiers paragraphes qui expriment plutôt la nuance).
C. L’écriture est un moyen de connaissance (des autres et de lui-même) : pour se connaître soi-même, il est nécessaire de savoir observer avec distance et être capable aussi d’humour.
1. Il évoque le destin pour expliquer sa disgrâce physique : « et en effet je suis né un 20 avril, donc aux confins de ces deux signes ». Les connecteurs logiques démontrent le côté rationnel de ce qu’il dit mais…
2. … La présence de parenthèses sur l’astrologie, les marques d’hypothèse « si » et « selon », et les indéfinies montrent que Leiris ne s’implique pas totalement. De plus, le verbe croire n’est pas rationnel et « le dire » connote la rumeur. Ces parenthèses semblent vouloir soutenir la démonstration, à savoir que sa disgrâce physique s’explique par son signe astrologique; alors qu’en fait elle la ronge (elle suggère que ce n’est pas rationnel) et du même coup, l’astrologie se trouve discréditée.
3. Le métier de littérateur : il est à la fois proclamé (voir l’emploi de l’adjectif principal et le verbe d’état) et accompagné de prévisions assez négatives : « bien décrié », il dit que ce métier ne lui apporte aucune notoriété, expressions « une même horreur » et « du genre écrivain à succès que du genre poète méconnu » : « du genre » catégorise et ravale les écrivains au rang d’animal. L’expression traduit du mépris qui renvoie au ton dogmatique du troisième paragraphe.
Conclusion
L’activité d’écrivain permet à Leiris de porter un regard éloigné sur lui-même, ce qui se traduit souvent par de l’humour. Cet autoportrait où le physique disgracieux est mis en relation avec le caractère faible de l’écrivain par l’intermédiaire de références explicites à l’astrologie, et implicites à la physionomie, participe à l’objectif de l’ensemble de l’œuvre, lui permettant de gagner de la confiance et de surmonter ses défauts.