Apollinaire, Alcools, Mai
Poème étudié
Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains
Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières
Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment
Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes
Apollinaire, Alcools, (1913),Mai
Introduction
Guillaume Apollinaire (1880-1918) est initialement marqué par le symbolisme. Intéressé par tous les mouvements artistiques d’avant-garde, il deviendra l’un des précurseurs de l’art et de la poésie modernes
En 1901, Apollinaire est précepteur en Allemagne. Il voyage à travers ce pays. A cette époque, il est déjà fasciné par les légendes et la terre allemande, ce qui lui permet « d’enraciner », de donner une localisation à ces légendes (description de paysages concrets).
De plus, l’Allemagne est un pays où l’on admet beaucoup plus facilement qu’en France l’irrationnel. Cela permet à Apollinaire de concilier l’écart entre le mythe et le réel. Dans la tradition germanique, le Rhin est le théâtre d’innombrables légendes.
« Mai » fait partie d’un ensemble de neuf poèmes intitulés « Rhénanes » qui trouvent leur inspiration dans le séjour qu’Apollinaire fit en Rhénanie, en 1902, séjour pendant lequel débuta son amour pour Annie Playden.
« Mai » fut d’abord publié en 1905 avec l’indication « Mai 1902 » qui indique le caractère personnel du poème. Apollinaire y recourt à la narration qui évoque une promenade en bateau et à la description qui évoque le paysage ; mais surtout, grâce à la narration et à la description, il suggère son état d’âme en créant un paysage mental.
I. La narration d’une promenade en bateau
1. Les circonstances
Les circonstances temporelles et spatiales sont distribuées avec parcimonie. Elles sont toutes contenues dans le premier alexandrin : « Le mai le joli mai en barque sur le Rhin ».
Elles sont reprises dans la suite des quatrains : « cerisiers en mai » et « Le mai le joli mai a paré les ruines » qui forme anaphore avec le premier vers ; « Le vent du Rhin » et « vignes rhénanes ».
Ces notations, par leur imprécision, empêchent le poème d’être réaliste et laissent au souvenir un caractère flou.
2. La promenade en bateau
Elle n’est évoquée de manière explicite que par un verbe de mouvement : « la barque s’éloigne ».
De façon indirecte, le mouvement est suggéré par le vers : « Or des vergers fleuris se figeaient en arrière ».
En effet, l’imparfait fait allusion à la disparition progressive des arbres hors du champ visuel du locuteur et la locution adverbiale de lieu indique le mouvement de la barque, son éloignement.
3. La présence de l’observateur
Certains détails ne peuvent être observés que par quelqu’un qui est dans la barque.
Il remarque des personnes : « Des dames » situées sur le « haut de la montagne »
« Mai » fait partie d’un ensemble de neuf poèmes intitulés « Rhénanes » qui trouvent leur inspiration dans le séjour qu’Apollinaire fit en Rhénanie, en 1902, séjour pendant lequel débuta son amour pour Annie Playden.
« Mai » fut d’abord publié en 1905 avec l’indication « Mai 1902 » qui indique le caractère personnel du poème. Apollinaire y recourt à la narration qui évoque une promenade en bateau et à la description qui évoque le paysage ; mais surtout, grâce à la narration et à la description, il suggère son état d’âme en créant un paysage mental.
II. La description d’un paysage
1. Un univers à dominante végétale
Il est constitué d’abord par des arbres : « saules » que le poète fait « pleurer », redonnant de la vigueur au syntagme figé « saules pleureurs », et « vergers » de « cerisiers » dont tombent des « pétales ».
Dans le dernier quatrain, les végétaux, plantes et fleurs, prennent une dimension plut petite que les arbres et sont plus proches de l’observateur : les « osiers », les « roseaux » et les « fleurs nues des vignes » sont aussi « sur le bord ».
La nature végétale est évoquée aussi par le jeu des sonorités. En effet,, comme « Le vent » la « secoue », une allitération en sifflantes reproduit le bruit du vent : « rosiers », « osiers » (qui constituent une rime riche), « roseaux » (qui forme une paronomase avec les deux mots précédents) et « jaseurs ».
Comme le titre l’indique, la nature est vue au printemps : les « vergers » sont « fleuris », les « vignes » portent des « fleurs » ; mais le printemps va sur sa fin, puisque les « pétales » des cerisiers sont « tombés » et « flétris ».
2. L’homme comme spectacle
Le locuteur observe d’abord, en levant la tête, un groupe : « Des dames regardaient du haut de la montagne », puis, à sa hauteur, au « bord du fleuve », une collectivité : « des tziganes » accompagnés de leurs animaux domestiques et forains qui « Suivaient une roulotte ».
Cette présence humaine donne lieu à deux spectacles.
Le premier, statique, ne se déroule que sur un vers : le locuteur est observé par les dames et il les observe.
Le second se développe plus longuement (Apollinaire passe alors du quatrain au quintil) et de manière à peine plus dynamique, puisque le déplacement se fait « lentement » ce que traduit le trimètre »Sur le chemin (4) du bord du fleu (4) – ve lentement (4) ».
III. Un paysage mental
1. La confusion des temps
Le poème mêle le présent (« la barque s’éloigne », « Le vent du Rhin secoue »), l’imparfait (« S’éloignait […] un air de régiment ») et le passé composé (« Qui donc a fait pleurer », « le joli mai a paré »). Ces trois temps apparaissent successivement dans le premier quatrain.
Cette confusion des temps correspond à une confusion mentale du locuteur qui ne distingue plus entre le passé de la promenade et le présent de la mémoire, depuis qu’il a perdu son amour.
2. Les spectacles, reflet d’un état mental
Les « dames », malgré l’échange de regards entre elles et le locuteur, sont inaccessibles puisqu’elles sont sur une hauteur et que lui est sur le fleuve.
On comprend alors que les « saules » se soient mis à « pleurer », comme le locuteur qui pleure sur son amour.
Ce locuteur s’intéresse aux tziganes, sans doute parce qu’ils sont pauvres (leur « roulotte » est « traînée par un âne ») et qu’ils avancent « lentement ».
Il projette en eux sa misère affective et le ralentissement de sa vie provoqué par la disparition de la passion.
L’écoulement du fleuve, qui empêche le passager de communiquer avec les êtres humains et qui fait disparaître, sitôt perçues, les choses vues et entendues (« s’éloignait […] un air de régiment »), correspond à un état mélancolique de celui qui ne peut rien retenir.
3. Les images de l’amour perdu
Une métaphore surprenante assimile les « pétales tombés » des cerisiers aux « ongles » de la femme autrefois aimée.
Suit une comparaison entre les « paupières » de celle-ci et les mêmes « pétales flétris ».
Ces images, dont la première connote la cruauté par l’aspect coupant des ongles et la seconde la fermeture par l’allusion aux yeux clos, enfermement l’obsession érotique du locuteur dépossédé de son amour qui est, lui aussi, tombé et flétri.
Cette obsession apparaît encore davantage dans le dernier quatrain, non plus par une comparaison ou une métaphore mais par des symboles qui font penser au corps dévoilé de la femme aimée : « vigne vierge » et « fleurs nues des vignes ».
Conclusion
Apollinaire, à travers le récit d’une promenade en barque sur le Rhin et la description du paysage riverain, dresse un autoportrait.
Il s’inscrit dans la tradition de la poésie lyrique en évoquant un amour perdu.
A la suite de Baudelaire et des symbolistes, il établit une correspondance entre le paysage fuyant et son état d’âme mélancolique.
Enfin, il est le poète de la modernité par le collage des divers temps verbaux et par l’originalité de certaines images.