Baudelaire, Les Fleurs du Mal, III, Elévation
Poème étudié
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par-delà le soleil, par-delà les éthers,
Par-delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins;
Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
– Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes!
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, III
Plan d’analyse
Axe 1 : L’idéal
1. Une élévation
2. Une purification
Axe 2 : Le spleen
1. Le rejet de la société, de la vie
2. Un idéal qui s’épuise
Analyse rédigée
Ce poème est composé de 5 quatrains en alexandrins. Troisième poème de l’oeuvre « Les Fleurs du Mal », il est très lié à « Correspondances » car il est une forme d’initiation vis-à-vis du lecteur.
A caractère lyrique mais aussi descriptif, « Elévation », depuis l’idéal, s’écoule vers un spleen typique de l’univers de Baudelaire.
Axe 1 : L’idéal
1. Une élévation
L’élévation dans ce texte se caractérise par le champ lexical de l’au-delà, de l’élévation : « par delà », « montagne », « sphères étoilées ». On distingue ainsi un mouvement vers le haut, l’auteur s’évade par élévation, par ascension.
D’autre part, on distingue un second champ lexical, celui de s’envoler (« envole-toi », « essor », « planer »). L’auteur semble vouloir rechercher un sentiment de liberté, de paix et de bonheur en s’évadant de la terre et de la société dans laquelle il se sent refermer: « Mon esprit, tu te meus ».
Formellement, cette idée est renforcée par un rythme toujours ternaire, caractéristique d’une élévation progressive et certaine. On en déduit l’élévation de l’esprit.
2. Une purification
Baudelaire expose plusieurs termes liés à la purification tels que : « purifier », « pure », « limpide », « volupté », « clair ».
L’auteur semble nager dans un idéal, avec un sentiment de bonheur bien distinct : « tu sillonnes gaiement », « indicible et male volupté ».
Enfin, le champ lexical en référence au ciel et aux beaux jours « étoilée », « brumeuse », « lumineux », « soleil » se détache d’autre part.
Axe 2 : Le spleen
1. Le rejet de la société, de la vie
Après avoir exprimé l’idéal, le bonheur et le bien-être, le poème se tourne vers le spleen avec des champs lexicaux s’opposant à ceux au début du poème. Le champ lexical de l’impureté mais surtout du dégoût sont à remarquer : « miasme », « morbide ».
D’autre part, l’expression de la culpabilité et du regret sont exprimées : « ennui », « chagrin », « poids ».
Le vers « va te purifier dans l’air supérieur » nous amène à une interprétation essentielle du poème. L’auteur ne s’élève plus, il n’arrive plus à atteindre l’idéal et se morfond dans sa détresse. Il s’agit d’un rejet de la société.
2. Un idéal qui s’épuise
La tristesse et le regret conduisent l’auteur à un échec. La disparition de la seconde personne caractérise cette situation, et l’apparition d’impératifs montre bien que pour s’évader et se sortir de cette détresse, l’auteur n’a que peu de possibilités.
« Heureux celui qui peut » : l’élévation semble impossible, du moins pour l’auteur, il reste prisonnier de la société, de son chagrin.
Le retour sur terre se conclut explicitement avec l’antithèse « Le langage des fleurs et des choses muettes » qui se veulent être une initiation au poème suivant « Correspondances ».
Conclusion
De l’idéal jusqu’au spleen, « Elévation » rend compte des difficultés à maintenir un idéal, une situation de bonheur. Il amène ainsi à un spleen qui s’inscrit dans un véritable échec envers la société et le monde en général et qui ramène l’auteur à sa condition d’homme.