Charles Baudelaire

Baudelaire, Les Fleurs du Mal, La Mort des Amants, Commentaire 2

Texte étudié

Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d’étranges fleurs sur des étagères,
Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l’envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux;

Et plus tard un Ange, entr’ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.

Baudelaire, Les Fleurs du Mal, La Mort des amants

Introduction

Ce sonnet, extrait de l’œuvre de Charles Baudelaire «Les Fleurs du Mal», paru en 1857, est intitulé « La Mort des amants ». Ce texte ouvre la cinquième section des Fleurs du Mal, consacrée à la mort. Ce poème nous présente la mort de deux amants, qui est en fait ici symbole de l’amour éternel, et donc parfait. Baudelaire nous présente une vision spiritualisée de l’amour au-delà de la vie, et que la vie ne peut plus corrompre, ou fragiliser. C’est le mythe de l’amour éternel qui unit deux amants par-delà la mort (Roméo et Juliette de Shakespeare, Notre Dame de Paris de Victor Hugo).

I. Étude de l’énonciation : la vision de l’idéal amoureux

A. Le discours de l’énonciateur à son amante

La marque de la personne la plus utilisée dans ce texte est la première personne du pluriel « nous », en complémentarité avec l’adjectif possessif « nos ». Le lecteur a l’impression que le poète entraîne son amante dans une espèce de rêverie concernant leur amour dans la mort. Grâce à la mort, cet amour va pouvoir devenir éternel.

B. Le projet amoureux

Il est présenté à travers une série de verbes au futur de l’indicatif (« nous aurons », « saurons », « échangerons »). On a l’impression que l’énonciateur affiche une sorte de certitude quant à l’avenir des deux amants : leur amour se pérennisera grâce à la mort.

II. La représentation de l’amour passion

A. Un décor symbolique

Dans le premier quatrain le poète représente un lieu clos, une sorte de « petit nid d’amour » où se retrouvent les amants. Cette relation amoureuse est connotée par des mots comme « nid », « divan », « fleurs ».

B. Un lieu chargé d’une certaine sensualité

Cette sensualité de la relation amoureuse est connotée par différentes images (« des lits plein d’odeurs légères », « les divans profonds », « usant à l’envie leurs chaleurs dernières »). Au total, pour décrire cet espace amoureux plein de sensualité, Baudelaire utilise la connexion des sens : synesthésies.

C. La fusion des corps et des esprits

On a l’impression que l’amour entre ces deux amants est tellement fort qu’ils ne forment plus qu’un. Il y a une harmonie entre les deux : rapport gémellaire. Celui-ci est particulièrement marqué par l’utilisation de l’adjectif numéral et cardinal : 2, repris à plusieurs reprises dans le second quatrain.

III. Une vision spiritualisée de l’amour

A. Une évocation amoureuse pleine d’ambivalence

L’amour se mêle à la mort : deux champs lexicaux, de l’amour et de la mort, coexistent voire interfèrent constamment. v.1 « lits », v.2 « divans profonds comme des tombeaux », v.3 « d’étranges fleurs » qui peuvent suggérer les fleurs des couronnes mortuaires.

B. L’union des âmes garantes d’un véritable amour

Pour Baudelaire, ce qui compte n’est pas tant l’union des corps par définition provisoire, que l’union des âmes assurée d’un salut dans l’au-delà (particulièrement visible des vers 6 à 8 : « dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux »).

C. Pour Baudelaire au fond, la mort n’est qu’un passage

Pour Baudelaire, la mort ouvre la voie vers la vie éternelle et pour les deux amants en quelque sorte, vers l’amour éternel et parfait.
A ce titre, si on étudie le lexique, on remarque que de nombreux mots connotent la dimension religieuse du texte (v.4 « creux plus beaux », « v.9 « un soir fai de rose et de bleu mystique », « l’Ange » : particulièrement emblématique ici avec la majuscule).
Enfin, pour insister sur cette idée de résurrection possible après la mort, l’auteur utilise tout un champ lexical de la lumière, particulièrement sensible à partir de la deuxième strophe du texte : v.6 « vastes flambeaux », v.7 « réfléchiront » « double lumière », v.8 « manoir », v.10 « éclair », v.13-14 « ranimer les miroirs ternis et les flammes mortes ».

Conclusion

Échappant à l’amour passion et toujours condamné, « La mort des amants » réalise la fusion du couple sur un mode apaisé puisque ceux qui s’aiment savent qu’ils vont se retrouver, par-delà la mort, dans l’éternité.

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