Nicolas Boileau

Boileau, L’Art Poétique, Chant I, Vers 27 à 63

Poème étudié

Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime :
L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ;
La rime est une esclave et ne doit qu’obéir.
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit.
Mais lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle,
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.
La plupart, emportés d’une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée :
Ils croiraient s’abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S’ils pensaient ce qu’un autre a pu penser comme eux.
Évitons ces excès : laissons à l’Italie
De tous ces faux brillants l’éclatante folie.
Tout doit tendre au bon sens : mais, pour y parvenir,
Le chemin est glissant et pénible à tenir ;
Pour peu qu’on s’en écarte, aussitôt l’on se noie.
La raison pour marcher n’a souvent qu’une voie.
Un auteur quelquefois trop plein de son objet
Jamais sans l’épuiser n’abandonne un sujet.
S’il rencontre un palais, il m’en dépeint la face ;
Il me promène après de terrasse en terrasse ;
Ici s’offre un perron ; là règne un corridor,
Là ce balcon s’enferme en un balustre d’or.
Il compte des plafonds les ronds et les ovales ;
« Ce ne sont que festons, ce ne sont qu’astragales. »
Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin,
Et je me sauve à peine au travers du jardin.
Fuyez de ces auteurs l’abondance stérile,
Et ne vous chargez point d’un détail inutile.
Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant ;
L’esprit rassasié le rejette à l’instant.
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.

Introduction

Nous allons étudier un extrait de l’« Art Poétique » de Boileau tiré du chant I, vers 27 à 63 en date de 1674. Nicolas Boileau est un auteur du XVIIème siècle, début du XVIIIème, véritable théoricien de la doctrine classique. Au chant I de ce code esthétique que représente son grand poème, Boileau expose les principes majeurs d’une écriture poétique où la clarté des idées doit rimer avec la pureté de la langue et la qualité du travail stylistique. En effet, il expose les principes d’une écriture poétique basée sur la gaîté de la langue et la qualité du style. Il s’inspire des modèles antiques comme le poète latin Horace. L’« Art Poétique » est un traité en quatre chants et en alexandrins. Dans le but d’étudier en quoi Boileau est le représentant du classicisme, nous verrons dans un premier temps l’aspect didactique du poème, puis, en second lieu, nous analyserons le classicisme du texte.

I. Un poème didactique sur l’art décrire

1. La forme didactique

Le mode verbal qu’est l’impératif permet à l’auteur de mettre en avant des préceptes exprimés par certaines phrases : « évitons les excès », « Aimez donc la raison ». On pouvait qualifier ces expressions de maximes. Ces impératifs donnent conseils. Il y a aussi une fonction injonctive du langage. L’impératif pourrait être remplacé par un subjonctif.

2. Le destinataire

La tonalité est plutôt didactique et argumentative. Nous avons une argumentation structurée oratoire. Ce poème s’apparente à un dialogue, nous constatons que nous avons un destinataire, il s’adresse donc à quelqu’un : « Ne vous chargez point », « Ainsi la raison », « Que toujours vos esprits empruntent ». Boileau se distingue par « Je » ; « Je saute… trouver la fin », « Et je me sauve… », il s’adresse au lecteur. « La plupart » et le pronom personnel « ils » renvoient aux auteurs manquant de bons sens. Le pronom indéfini « on » permet de faire une généralisation, il faut respecter une juste mesure « tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant ».

3. Les idées

Dans un premier temps, nous comprenons que la qualité de la réflexion entraîne la qualité de l’expression. Le maître mot est clarté. C’est de la raison qu’il faut partir car ainsi qu’il l’affirme un peu plus loin dans l’art poétique, « tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». Il faut donc « Aimez la raison : que toujours vos écrits empruntent d’elle-seule et leur lustre et leur prix ». La poésie doit être la religion du poète, s’il y a sacralisation du poème par le travail des rimes, ces dernières doivent encore et en premier lieu s’accorder avec le bon sens. « Au joug de la raison sans peine elle fléchit,… loin de la gêner, la sert et l’enrichit ». Le fondement principal de l’art de bien penser a pour mission de dénoncer clairement ce qui a été préalablement bien conçu. La qualité et la force poétique reflètent la profondeur du pouvoir de réflexion. En second lieu, Boileau insiste sur la qualité du travail stylistique. Le soin accorde au travail n’est autre que la lenteur et la précaution. Il y a rejet de la vitesse. Si la rime doit être au service de la raison, le bon sens est incompatible avec la fougue, « la plupart, emportés d’une fougue insensée, toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée ». Nous avons également une dénonciation du surplus et de l’abondance qui rendent la poésie futile et superficielle alors qu’elle devrait toujours respecter le principe de la juste mesure et de la tempérance : « fuyez de ces auteurs l’abondance stérile, et ne vous chargez point d’un détail inutile ». L’écriture poétique doit donner l’image d’un équilibre : un modèle parfait de style qui reflète la lenteur exigée, la réflexion, la concision.

Les concepts évoqués dans cette poésie nous familiarisent avec les principes du classicisme que nous allons à présent étudier.

II. Le classicisme du texte

1. Bon sens et raison

Le bon sens s’agence avec l’esprit et l’autorité de la raison. Il nous entraîne dans l’idéal classique qui s’inspire des anciens. L’imitation est une garantie de perfection car l’antiquité est un modèle : « Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime ». « Aimez donc la raison ». Cela nous ramène avec le précepte essentiel de l’art poétique, « tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ».

2. Refus de la surcharge et de l’excès

Le classicisme est en réalité un art de la mesure qui manifeste le souci de la clarté et du bon sens ? L’écrivain doit rejeter l’excès, l’outrance et l’abondance. La fougue et les excès en général sont vivement critiqués ainsi que le suggère l’impératif, « évitons les excès ». Il faut fuir « l’abondance stérile » et ne pas s’encombrer de détails inutiles. L’écriture poétique ne trouve sa réalisation que la voie de la raison, « la raison pour marcher n’a souvent qu’une voie ». Entre le trop et le trop peu, l’écrivain doit trouver la juste mesure et ne jamais sombrer dans l’exubérance intellectuelle, concision, précision, bon sens et « qui ne sait se borner ne sut jamais écrire ». Humilier et vertu de la lenteur sont les qualités exigées, il faut éviter la précipitation car la rapidité dans le travail n’est pas une vertu.

3. La clarté et la rigueur

La raison impose donc que l’on suive certains principes. L’équilibre peut-être défini par son sens de l’harmonie, de la mesure et de la proportion. Le poète doit toujours rester dans la juste mesure : clarté, précision, rigueur, sont les mots qui marquent la nécessité pour un écrivain de toujours suivre son bon sens sans jamais sombrer dans l’excès : « Tout doit tendre au bon sens ».

Conclusion

Ce texte a une connotation oratoire et didactique. Il faut savoir penser avant d’écrire. Il s’inspire d’Horace et résume la doctrine classique. Boileau se fait ainsi le porte-parole du mouvement qui renvoie à la fois à un idéal esthétique et à un idéal humain. Au niveau de la forme et du fond, les aspects du classicisme dominent. Par opposition à l’exubérance, la démesure, le chaos du baroque, le classicisme est un idéal de la juste mesure : ni trop, ni trop peu. On peut parler d’une véritable sacralisation de la langue.

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