Cros, Le Collier de Griffes, Sonnet
Poème étudié
Moi, je vis la vie à côté,
Pleurant alors que c’est la fête.
Les gens disent : « Comme il est bête ! »
En somme, je suis mal coté.
J’allume du feu dans l’été,
Dans l’usine je suis poète ;
Pour les pitres je fais la quête.
Qu’importe ! J’aime la beauté.
Beauté des pays et des femmes,
Beauté des vers, beauté des flammes,
Beauté du bien, beauté du mal.
J’ai trop étudié les choses ;
Le temps marche d’un pas normal :
Des roses, des roses, des roses !
Introduction
Le titre « Sonnet » exprime déjà l’amertume du poète. A rapprocher de sa vie marquée d’échecs qui ne fut pas à la hauteur de ses ambitions. Charles Cros était un poète maudit, à l’écart.
I. La vie à côté : l’inadaptation
Constat d’un décalage dès le vers 1. « Moi je » : répétition. Mots monosyllabiques successifs exprimant le constat d’un décalage « à coté » v.4 = situation quotidienne et durable soulignée par le temps présent. Décalage souligné paradoxalement par le rapprochement vis/vie. Verbe et nom. Décalage illustré par l’évocation répétée de situation, d’action, ou de lieux contradictoires. V2 : sentiments exprimés : « pleurant » contradictoire avec « fête ». V5 « j’allume le feu dans l’été ». Poète jugé par les autres ; v.3 discours direct « comme il est bête » discours direct « quête pour un saltimbanque ». Tous ces éléments suggèrent la détorsion entre ce qu’est le poète ou ce qu’il fait. Mise en relief de manière insistante, idée d’inadaptation, absence de soumission à des normes ; « trop » accentue le décalage et l’excès. Le poète est en situation de déséquilibre. Opposition, mise en relief par des procédés syntaxiques stylistiques (rimes, etc.) Articulation : structure en chiasme « dans l’été dans l’usine », le rapprochement v.7. Celui de quoi il parle se définit comme jamais à sa place. Mais avec ce constat d’inadaptation il y a cette expression : « qu’importe j’aime la beauté ».
II. L’expression d’une compensation
« qu’importe » = désinvolte. Le début de vers balaie tout ce qui a été dit avant. Expression d’une consolation. Mot beauté repris en anaphore même 2 fois par vers. Termes qui évoquent des termes d’inspiration avec toujours la valeur esthétique. V.11 renvoie à Baudelaire. Tercet très harmonieux par son rythme, unité dans laquelle il les englobe. Souligne le regard que l’on peut porter à un objet esthétique. Impression d’unité. Associé à ce premier tercet le dernier vers du poème : rythme ternaire de rose de rose etc. Inspiration épicurienne : les roses de la vie, insistances sur le caractère éphémère en relation avec le cours normal du temps. Principe unificateur exprimé par les répétitions obsessionnelles « roses » « beauté ». Déception ? Espoir ?
III. L’inadaptation dominée
Passage de l’homme au poète. Le « je » renvoie à Charles Cros lui-même mais aussi les termes abordés « poète incompris » « maudit » lyrisme du texte => image d’un être dont la vie est en constant déséquilibre. Étroite coïncidence avec la vie. Pauvre provocateur, fantaisiste, déphasé, marginalité voulue ou forcée qui caractérise une vie de déception et d’illusions. Système de pensées non-conformiste, condition de création « pleurant alors que c’est la fête. Fête et larmes pas du tout antagonistes. Opposition feu et été feu = chaleur ardeur, été = idem rôle unificateur, réunification des contraires. Emile Verhaerene ?
Expériences personnelles de Cros et ce qui correspond à une image plus large du poète.
Conclusion
La condition du poète paraît ambiguë. Il doit son isolement à une situation privilégiée (sensibilité esthétique, pouvoir de la découverte) qui lui donne la possibilité d’exorciser son mal. Le remède est dans les mots même, symbole d’une quête plus lointaine. Tout à la fois avec mélancolie et légèreté, ce sonnet traduit les élans poétiques de Cros en même temps que son mal être, le mal de vivre romantique est devenu un spleen profond ; mais non dénué d’humour et de fantaisie.