II. La poésie, pour construire un amour véritable et durable
A. La rencontre dans la poésie.
Au-delà de la fragilité de l’amour, le poème exprime l’impossibilité pour le poète de rencontrer la femme réelle.
La première phrase initie une bipartition de l’univers amoureux : d’un côté le rêve (« J’ai tant rêvé de toi »), et l’autre la réalité (« tu perds ta réalité »). Or le poète et son aimée n’occupent jamais le même monde. Dans le troisième paragraphe, le poète essaie d’appréhender la femme, mais il n’atteint qu’une « ombre » ; dans le paragraphe suivant, il tente d’envisager la femme dans sa réalité, mais c’est alors lui qui devient une « ombre ». Le même chassé-croisé se poursuit tout au long du poème, résumé dans la courte phrase nominale qui s’inscrit au coeur du texte « O balances sentimentales ». L’amour semble osciller entre le désir et la réalité, sans jamais les réunir. Le poète éprouve des difficultés à rencontrer la femme aimée, s’il ne cesse de la croiser, sans jamais parvenir à l’atteindre, la poésie semble pourtant offrir le réconfort de l’union. En effet, le poète se propose, en dernière instance, d’être « fantôme parmi les fantômes », pour rejoindre celle avec qui il a « tant marché, parlé, couché », c’est à dire le « fantôme » de la femme aimée (« ton fantôme »). Ainsi, la rencontre impossible dans le réel, est possible parmi les ombres. Or, qu’est-ce que ces ombres sinon les personnages sans chair, suscités par les mots sur le papier ? Qui d’autre que la poésie peut rendre tangible cet univers onirique dans lequel seul les deux êtres peuvent s’unir. Le rêve est ce trait d’union entre le « je » et le « tu » (« J’ai tant rêvé de toi ») ?
B. La conquête de l’éternité.
De plus, la poésie substitue l’éternité poétique à la fragilité éphémère de l’amour. L’éternité se lit d’abord dans le refrain, « J’ai tant rêvé de toi », qui imprime au poème la force de la régularité, du retour au même, de l’immuabilité. Ce refrain, au passé composé, prolonge le plaisir du rêve du passé, jusque dans le présent, sous le signe d’une continuité qui contraste avec le présent de la perte réelle (« tu perds »).
L’éternité se lit aussi dans la symétrie du poème autour de la phrase nominale « O balances sentimentales ». De part et d’autre de cette phrase charnière, deux refrains, mais aussi deux modalisateurs de doute (« peut-être », « sans doute », « sans doute », « peut-être »), disposés en chiasme. Ainsi, le poème est conçu comme un miroir, chaque moitié renvoyant éternellement à l’autre, dans un jeu de reflets infinis. La « balance » n’est donc plus la fragilité des deux amoureux qui se croisent sans se rencontrer mais le mouvement perpétuel du pendule bien réglé.
Enfin, on notera l’hyperbole qui clôt le poème : « plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allégrement que le cadran soleil de la vie ». Elle souligne la longévité du « fantôme » littéraire par opposition à la brièveté de la vie, qui fait le tour du cadran avant de disparaître.
Transition : Ainsi, la poésie offre à l’amour l’épanouissement dans la durée.