Joachim Du Bellay

Bellay, Les Regrets, Ces cheveux d’Or

Poème étudié

Ces cheveux d’or sont les liens, Madame,
Dont fut premier ma liberté surprise
Amour la flamme autour du cœur éprise,
Ces yeux le trait qui me transperce l’âme.

Forts sont les nœuds, âpre et vive la flamme,
Le coup de main à tirer bien apprise,
Et toutefois j’aime, j’adore et prise
Ce qui m’étreint, qui me brûle et entame.

Pour briser donc, pour éteindre et guérir
Ce dur lien, cette ardeur, cette plaie,
Je ne quiers fer, liqueur, ni médecine:

L’heur et plaisir que ce m’est de périr
De telle main ne permet que j’essaie
Glaive tranchant, ni froideur, ni racine.

Du Bellay, Les Regrets

Introduction

L’Olive de Joachim Du Bellay est un recueil de sonnets directement inspirés de Pétrarque ou de ses disciples. Le titre du recueil serait l’anagramme de la dame de Du Bellay, une demoiselle Viole, et son thème principal, développé notamment dans le dixième sonnet qui commence par « ces cheveux d’or », consiste à exprimer le paradoxe de l’état amoureux. Tandis que les quatrains font la description d’un coup de foudre, les tercets proposent des remèdes à la souffrance amoureuse.

I. Un coup de foudre

La dame n’est nommée qu’une fois, au premier vers, mais elle est mise en relief par le démonstratif « ces » et par un attribut essentiel de la beauté féminine : la chevelure. Cette description rend présente la femme aimée absente. Son portrait est dressé grâce à des synecdoques : il n’évoque pas la dame dans sa totalité mais seulement les parties de son corps qui ont provoqué le mal d’aimer. Celles-ci sont idéalisées grâce à des hyperboles : « cheveux d’or » v.1, « yeux » v.4 « telle main » v.13. Le superlatif « d’or » et l’intensif « telle » traduisent son admiration, comme le fait que les quatrains sont entièrement en rimes féminines.

On voit qu’il s’agit d’un amour courtois car celle à qui est destiné le sonnet est rejetée en fin de vers par une apostrophe qui instaure une distance respectueuse entre la dame et son soupirant. Celui-ci se présente comme une victime agissante, consentante : « me », « ma », « je ». Le coup de foudre qu’il a ressenti est rapporté au passé simple (vers 2), alors que tout le poème est au présent du discours : il s’agit d’une analepse, qui insiste sur la chronologie des événements. Le désordre amoureux est également transcrit dans la disposition des rimes : si les quatrains sont disposés en rimes embrassées, les tercets suivent un schéma inhabituel (CDE) qui montre le désarroi du poète. Les décasyllabes irréguliers (v.1, 5, 7 et 10) évoquent la même impression.

La souffrance amoureuse est décrite par des images traditionnelles : celles de la brûlure et de l’emprisonnement. Les termes renvoyant au feu sont donc nombreux : « or » v.1, « flamme autour du cœur éprise » v.3, « âpre et vive la flamme » v.5, « brûle » v.8, « éteindre » v.9, « ardeur » v.10, « liqueur » v.11 et « froideur » v.14 (éléments liquides pour éteindre le feu). Il s’agit de la métaphore pétrarquiste de la passion par excellence, la couleur des cheveux préfigurant l’embrasement du cœur. On relève aussi des termes évoquant l’emprisonnement : « liens » v.1, « ma liberté surprise » v.2, « forts sont les nœuds » v.5, « m’étreint v.8, « briser » v.9, « ce dur lien » v.10, « fer » v.11 (métonymie : l’épée pour couper les liens), « glaive tranchant » v.14. Les cheveux encore une fois, par leur beauté et leur longueur, tiennent prisonnier l’amant, fasciné. La blessure amoureuse est développée dans une métaphore filée elle aussi convenue : « le trait qui me transperce » v.4, « le coup de main à tirer bien apprise » v.6, « entame » v.8, « guérir » v.9, « plaie » v.10, « médecine » v.11 et « racine » v.14. Cette blessure est due à la profondeur du regard, qui perce l’âme du poète. Ce système d’antithèses montre que le poète souffre avec plaisir et refuse de soigner son mal.

II. Les remèdes à la souffrance amoureuse

Il emploie plusieurs images pour qualifier la douceur de sa souffrance, notamment une succession de métaphores :

· La captivité : les cheveux sont comparés à des liens constituant l’amant prisonnier (v.2 « ma liberté surprise »).

· La brûlure : l’amour est comparé à une flamme qui brûle le cœur, traduisant la violence physique de son émotion.

· La blessure : le regard de la dame est assimilé à une arme pour dire l’intensité de la sensation visuelle (« transperce », « trait ») et morale (« âme »)

En fait, l’amour passe par le regard, de là il se communique au cœur, qui est le siège du sentiment, pour atteindre enfin l’esprit.

Ces métaphores sont développées dans la suite du poème pour montrer que la femme est habile à faire souffrir, est cruelle (vers 5-6 : accumulation d’adjectifs et d’adverbes d’intensité : « forts », « âpre », « vive », et « bien apprise »). On observe une véritable gradation dans la torture avec des verbes qui agissent sur le poète (v.8). Il s’agit en fait d’un paradoxe : après avoir longuement évoqué ses tourments, le poète renverse de manière surprenante la perspective en assurant qu’il ne veut surtout pas guérir (v.7-8 : verbes antithétiques disposés en gradations symétriques).

Les tercets reprennent cette idée avec des verbes antithétiques en construction finale (vers 9 en parallèle avec le vers 10). Le poète refuse contre toute attente les remèdes possibles à sa souffrance (les négations des vers 13-14, qui reprennent les termes des vers 11, avec simple variation synonymique). Les deux points du vers justifient la situation contradictoire du poète : celui-ci trouve son bonheur dans sa souffrance. La tournure oxymorique du vers 12 (« heur et plaisir » s’opposant radicalement à « mourir ») explique que c’est un bonheur pour lui de mourir à cause de sa dame.

Conclusion

La structure binaire de ce sonnet apparaît clairement, les tercets n’étant qu’une amplification de la sentence paradoxale exprimée aux vers 7-8. Du Bellay donne une illustration convenue de ce qu’est la passion, qui place la souffrance au premier rang des plaisirs d’amour.

Du même auteur Bellay, Les Regrets, "Las, où est maintenant ce mépris de Fortune ?"

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