Jean Cocteau

Cocteau, Opéra

Poème étudié

Accidents du mystère et fautes de calculs
Célestes, j’ai profité d’eux, je l’avoue.
Toute ma poésie est là : Je décalque
L’invisible (invisible à vous).
J’ai dit : « Inutile de crier, haut les mains !
Au crime déguisé en costume inhumain ;
J’ai donné le contour à des charmes informes ;
Des ruses de la mort la trahison m’informe ;
J’ai fait voir en versant mon encre bleue en eux,
Des fantômes soudain devenus arbres bleus.
Dire que l’entreprise est simple ou sans danger
Serait fou. Déranger les anges !
Découvrir le hasard apprenant à tricher
Et des statues en train d’essayer de marcher.
Sur le belvédère des villes que l’on voit
Vides, et d’où l’on ne distingue plus que les voix
Des coqs, les écoles, les trompes d’automobile,
(Ces bruits étant les seuls qui montent d’une ville)
J’ai entendu descendre les faubourgs du ciel,
Étonnantes rumeurs, cris d’une autre Marseille.

Cocteau, Opéra (1925-1927)

Introduction

Jean Cocteau (1889-1963) fut à la fois dessinateur, décorateur, dramaturge, cinéaste et poète.

Esprit raffiné, voire précieux, épris de mystère, il a bénéficié de son vivant d’une grande notoriété.

Son œuvre témoigne de l’intérêt que porte la poésie contemporaine à tout ce qui échappe à la rationalité.

Ce poème représente une sorte d’autoportrait, dans lequel Jean Cocteau définit aussi ce que représente pour lui la poésie. C’est une sorte d’art poétique, c’est-à-dire une définition de ce que doit être la poésie.

L’ « art poétique » est un genre traditionnel, brillamment illustré par Verlaine, entre autre. Il s’efforce de nous éclairer sur les intentions et les méthodes de la création poétique.

Cocteau se prête ici à cet exercice, en définissant la poésie comme une exploration du mystère et le poète comme un intercesseur.

I. L’essence de la poésie

1. Le mystère

La poésie est avant tout une exploration du mystère, comme l’indiquent les deux premiers vers et des expressions comme « Je décalque/ L’invisible » ou « Découvrir le hasard ».

Il n’est de poésie que du secret, ou de l’insolite.

Les exemples que donne Cocteau sont autant de phénomènes inexplicables, de thèmes fantastiques : vie secrète (fantômes devenus arbres bleus)…

Le thème de la métamorphose est d’ailleurs présent dans l’ensemble du texte, devenant le trait majeur de l’univers poétique décrit ici par Cocteau.

2. Le dévoilement

La poésie est mystère, mais elle est surtout dévoilement de ce mystère : « Je décalque/ L’invisible ».

Le verbe indique bien l’idée essentielle du texte : faire apparaître, montrer ce qui est caché.

La même intention se retrouve dans le vers : « J’ai donné le contour à des charmes informes » avec une nuance cependant : il s’agit moins de dévoiler que de donner une forme à ce qui reste encore inconsistant.

D’autres verbes du poème prolongent ce thème : « j’ai fait voir », « découvrir ».
La poésie est une découverte, parfois une création, par le biais de l’écriture : « J’ai fait voir en versant mon encre bleue en eux ».

On peut noter l’importance des références à la vision : donner à voir est bien la tâche majeure du poète.

3. Le sacré

Le vocabulaire utilisé par Cocteau confère à la recherche poétique une dimension sacrée : « calculs célestes », « Déranger les anges ! »…

Ce que la poésie donne à voir procède non de la terre mais du ciel, comme l’indique clairement la vision qui clôt le poème.

Le charme poétique relève du divin : c’est pourquoi il reste habituellement caché.

Cocteau s’inscrit dans une tradition déjà ancienne, illustrée par Baudelaire notamment. La poésie y est considérée comme l’activité qui décèle, dissimulée dans la réalité ou derrière elle, l’essence des choses.

Notre monde, n’est qu’apparences, la réalité des choses se cache, et il appartient à la poésie de la révéler (cf. le sonnet « Correspondances » de Baudelaire).

II. L’expérience du poète : le grand jeu

1. L’intercesseur

Dans cette conception, le poète fait fonction d’intercesseur entre les hommes et cette réalité cachée.

Il possède des pouvoirs magiques qui le mettent en contact avec l’invisible.
Le thème du poète mage ou voyant court en filigrane dans le poème avec son corollaire, le danger : « Dire que l’entreprise…Serait fou ».

Disposer de pouvoirs qui excèdent les forces humaines est plein de risques ; il en est du poète comme d’Orphée auquel Cocteau consacrera deux films : les pouvoirs de son chant le mettent en danger.

2. La mort

En effet, le contact avec le divin et l’invisible s’apparente au dialogue avec la mort : « Des roses de la mort ».

Celle-ci est connotée à plusieurs reprises dans le texte : il y est question du « crime », des « fantômes ».

La mort rode autour du poète, dont elle est comme l’auxiliaire et l’adversaire : auxiliaire en ce qu’elle révèle au poète les secrets de l’invisible, adversaire, en ce qu’elle ne le fait pas sans résistance, et qu’elle est susceptible de l’attirer à elle.

3. Le jeu et l’humour

La tonalité du poème n’est cependant pas angoissée.

Cocteau présente avec humour ce thème du poète mage : l’incise du début (« j’ai profité d’eux je l’avoue »), la tournure exclamative : « Déranger les anges ! », les vers 6-7, les parenthèses « invisible à vous » sont autant de clins d’yeux de la part de Cocteau, qui paraît s’amuser.

Il semble se comporter à l’égard des puissances surnaturelles en fraudeur impertinent plutôt qu’en aventurier téméraire.

Il nous apparaît comme un joueur (le verbe tricher fait explicitement référence au jeu), ainsi qu’en témoigne sa versification qui multiplie les rejets et les enjambements significatifs : vers 3-4, 11-12, 15-16.

Le poème s’achève sur une note heureuse, celle d’une ville animée et bruyante qu’imagine le poète.

Conclusion

L’art poétique de Cocteau se révèle donc comme un mélange de mystère, de magie et de jeu, dont le poète est le manipulateur privilégié.

Il oscille entre le fantastique inquiétant (l’ombre de la mort) et le merveilleux ludique, du latin ludus signifiant jeu (l’humour du poète, son insouciance, son goût du jeu).

Mais Cocteau reprend aussi une conception antérieure de la poésie.

Depuis le XIX ème siècle, en effet, il est devenu courant de voir les auteurs assigner à la poésie une fonction magique d’exploration de l’inconnu.

Baudelaire et surtout Rimbaud, avec sa définition du poète « voyant », ont familiarisé le lecteur avec l’idée que la poésie doit découvrir l’essence des choses, ou explorer des domaines encore inconnus.

Au XX ème siècle, le surréalisme prolonge cette volonté de faire de la poésie un moyen privilégié de connaissance.

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