Louise Labé

Labé, Sonnets, Je vis, je meurs…

Poème étudié

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Labbé, Sonnets

Introduction

Louise Labbé fut l’auteur de nombreux sonnets. C’était une femme très moderne pour son époque. Elle était très cultivée et a eu accès à des domaines qui étaient masculins du fait de l’éducation masculine qu’elle a reçue (équitation, maniement des armes). Nous verrons tout d’abord le poème construit sur le mode de l’énigme, ensuite nous nous intéresserons à l’évocation de l’état amoureux et enfin nous étudierons quelle est la conception de l’amour.

I. Poème sur le mode de l’énigme.

1. Deux quatrains : évocation d’un état physique et psychologique paradoxal.

Les vers 1, 2,3, et 8 montrent l’état physique du « je ». Cette description est faite d’antithèse : « Je vis, je meurs », « chaud extrême … froidure », « trop molle … trop dure ».

Néanmoins, ces sensations physiques opposées sont simultanées.
Les vers 4, 6 et 7 montrent l’état psychologique du « je ». L’état psychologique est lui aussi décrit sur le mode de l’antithèse : « ennuie » opposé à « joie » au vers 4.

Le vers 5 mêle les deux sentiments : l‘état psychologique est décrit par l’intermédiaire de l’état physique.

On notera qu’aux vers 1 et 3, il y a un rythme saccadé et vers 2 et 4 un rythme plus ample : ce rythme accentue les paradoxes.

Dans ces deux quatrains, les paradoxes montrent que le « je » perd tout contrôle. De plus, on ne sait pas quelle est la cause de ces sentiments.

2. Deux tercets : résolution de l’énigme.

Le premier vers du premier tercet nous indique de quel sentiment il s’agit : l’amour, ici montré comme un personnage (le Dieu amour) car il est actif.

Les sentiments présents dans les quatrains y sont développés mais de façon plus abstraite : « je pense » au vers 10 ; « penser » au vers 11 ; « croire » au vers 12.

On notera que l’esthétique du sonnet est respectée.

II. Évocation de l’état amoureux.

1. Les pronoms personnels.

On notera une présence abondante de « je ». Il est répété presque à chaque vers. Cela montre que ce « je » est obsédé par ces sentiments, donc il y a présence de mélancolie.

Il n’y a aucun « tu » qui symboliserai un personnage aimé.

Le seul partenaire présent est abstrait, il s’agit du dieu « amour », avec la personnification du mot « amour » au vers 9.

2. La nature contrastée de l’amour.

Tout d’abord, on notera une alternance entre bonheur et malheur : au vers 10 avec « douleur » ; au vers 11 avec euphémisme « hors de peine » qui veut dire bien être ; au vers 13 avec « heur » qui signifie bonheur ; et au vers 14 avec « malheur ».

Le « malheur » du vers 14 est le « premier malheur », or ce premier malheur c’est le bonheur, c’est un cercle bénéfique.

Le point de chute du sonnet renvoie au début comme dans beaucoup d’autres sonnets.

Il y a aussi un contraste entre le concret des deux quatrains et l’abstrait des deux tercets.

« Ainsi » au vers 9 marque la liaison entre quatrains et tercets et donc montre la comparaison entre la description des sentiments et l’action du personnage qu’est Amour.

III. Quelle conception de l’amour ?

1. Un rapport de force.

Le « je » subit les actions de l’amour au vers 9, il devient passif.

Il y a donc dominance de l’ « Amour ».

2. Amour : maître de l’inconstance.

L’amour a pour effet d’installer une inconstance dans l’esprit du « je ».

Au vers 10 et 11 : « je pense » est abstrait à l’opposé de « plus de douleur » superlatif absolu.

Au vers 12 : « je crois » à l’opposé de « certaine ».

Au vers 13 : Yathus et ot de trois syllabes qui est un apogée du désir à l’opposé du vers 14 : retour au malheur opposé qui est le malheur : c’est un cercle vicieux.

La cause de cette ambivalence est l’ « Amour » qui domine.

3. Expression de la douleur d’aimer.

L’expression de la douleur d’aimer se fait par l’intermédiaire du sentiment de mélancolie.

Ce sentiment envahit le « je », qui comprend tout, qui met en relation des choses contradictoires.

Le poème est donc une lamentation centrée sur soi-même. La mélancolie fait souffrir la femme psychologiquement : la vision pétrarquiste est inversée.

Conclusion

Ce poème de Louise Labbé présente l’expression de la douleur d’aimer à travers de multiples ambivalences et inconstances. Cela est caractéristique du mélancolique qui apparaît ici de façon indirecte à travers ces contradictions.

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