Paul Verlaine

Verlaine, Romances sans Paroles, Green

Poème étudié

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.

J’arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête.
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

Verlaine, Romances sans paroles

Introduction

« Green » publié en 1874 fait partie du recueil « Romances sans paroles » et plus particulièrement des « Aquarelles« . Ces poèmes ont été écrits en Angleterre, sous le signe de Mathilde regrettée et implorée en dépit de la relation que Verlaine entretenait avec Rimbaud. Ce poème a été mis en musique par Debussy en 1888 et par Fauré en 1891.

« Green » a pour sens verdure, vert, mais aussi jeune, naïf, et inexpérimenté.

« Green » est un poème régulier, de facture assez classique, composé de trois quatrains avec des rimes croisées. C’est un poème d’offrande et d’amour particulièrement harmonieux

Les différents axes de lecture de ce poème seront l’hommage, la femme aimée, et la sensualité.

I. L’hommage

1. Une grande simplicité

Cet hommage est très simple. Verlaine offre la nature dans ce qu’elle a de plus simple (vers 1 et 4). Il n’y a pas de termes précis, les mots sont au pluriel : Verlaine offre toute la nature ; nature qui est le premier sens de green.

On note une harmonie paisible, équilibrée dans cette offrande, comme le montre le rythme du chiasme du vers 1 : 4/2/2/4 ou encore les allitérations en [f], les assonances en [i] puis en [eu].

Il y a une véritable spontanéité, voire une maladresse et une certaine gaucherie dans cette offre comme on s’en rend compte avec la construction des vers : « voici » répété deux fois, « et puis ».

2. Un hommage respectueux

A l’exception de l’adjectif possessif « mon » au vers 2, il n’y a aucune présence de la première personne avant le vers 5 et il y a seulement deux « je » sujets en tout. Le poète s’efface derrière son offrande et il met en valeur celle à qui il s’adresse, à savoir Mathilde, sa femme.

La femme aimée est présente partout dans ce poème. « Vous » est mis en valeur au vers 2 ; on peut remarquer le respect du vouvoiement. On note les nombreuses marques représentant Mathilde : « vos » (vers 3, 4 et 7), « votre » (vers 9), « vous » (vers 12) avant le dernier mot dont il est le sujet : le poème se termine sur l’image de la femme aimée.

C’est une femme que l’on prie et que l’on supplie : plusieurs impératifs aux vers 3, 7, 9 et 11 et des subjonctifs de souhait aux vers 4 et 12. Le poète n’a aucune certitude, il est humble comme un enfant, inexpérimenté (deuxième sens de green). Sa seule arme est la douceur soulignée par la régularité des vers, leur sonorité (en particulier le vers 10) et l’alternance légère des rimes.

Verlaine n’a pas renoncé à l’espoir de reconquérir Mathilde, la femme aimée.

II. La femme aimée

Elle a de nombreuses facettes.

1. Une femme cruelle ?

La précaution de l’hommage, le vouvoiement laissent deviner la crainte du poète qui se fait plus explicite avec le vers 3, la violence du verbe « déchirez » mis en valeur dès le début de vers et en tant que seul mot long au milieu de monosyllabes.

Cette femme a le pouvoir de le faire terriblement souffrir.

Il essaie cependant de conjurer cette image.

2. Une femme sublime

Elle a toutes les qualités : les yeux si beaux, jeune sein ou encore mains blanches.
Ces caractéristiques sont cependant assez vagues, elles évoquent la littérature courtoise, la reine parfaite, aimée du respectueux et humble chevalier.

Cette femme idéalisée n’est cependant pas hors d’atteinte.

3. Une femme sensible à l’amour du poète

Même si elles sont moins nombreuses les marques de la première personne alternent avec celles de la deuxième, mêlant leurs deux présences. Cette impression est renforcée par les rimes croisées.

Le vers 10 évoque une intimité toute récente avec des baisers au pluriel et une sorte d’ivresse du poète à ce souvenir.

L’évocation du « matin » au vers 10 est porteuse d’espoir. C’est d’ailleurs ce que Verlaine développe souvent dans ses lettres à Mathilde ; elle doit oublier, ils peuvent tout recommencer. En effet il ne peut vivre sans elle car elle est son refuge.

4. La femme refuge

Mathilde représente la femme refuge, maternelle, celle qui pardonne tout. Verlaine est pris dans la tourmente ; voir l’évocation désagréable des vers 5 et 6 (la rosée qui se glace sur son front). Verlaine est dans un monde hostile dans lequel on prend froid au cœur ; même le rythme du vers 6 est volontairement moins harmonieux et plus saccadé (3/3/3/3) pour rendre le contexte pénible.

De ces vers là la femme est absente.

Elle réapparaît aux vers 8 et suivants avec un champ lexical de l’apaisement, de la douceur : « reposée » (vers 7), « délasseront » (vers 8), « s’apaiser » (vers 11), « reposez » (vers 12). On notera que le verbe reposer est retrouvé deux fois à la rime ; dans un poème aussi court, cela est très significatif.

Le rythme se ralentit particulièrement dans les deux derniers vers.

Ce calme cependant est à lier à la passion.

5. Une femme désirée passionnément

L’offrande du cœur est abrupte, presque violente, avec une hyperbole. Le rythme est irritatif (sauf « voici », il n’y a que des monosyllabes), presque douloureux, il suggère la fièvre amoureuse.

De même le vers 8 évoque des moments sensuels, même si cela est exprimé de façon atténuée, presque métonymique.

Le vers 9 est plus explicite, le poète est ivre de sensualité (le mot « sein » est à la césure), sensualité reprise dans le mot « baisers » au vers 10.

Les deux derniers vers, quant à eux, expriment l’alanguissement de la fatigue après la « bonne tempête », métaphore on ne peut plus suggestive…

Conclusion

On trouve beaucoup de grâce et beaucoup d’émotion dans ce poème où Verlaine réalise le miracle de l’équilibre entre l’idéalisation et la sensualité de la femme.
C’est un poème où la femme est évoquée dans toute la plénitude de ses différents rôles, capable de faire le mal si elle est cruelle, rassurante si elle est compatissante, beauté inaccessible, ou encore femme charnelle.
Loin de Mathilde, rongé à la fois de regrets et de remords, Verlaine dans sa détresse rêve de la femme parfaite qui résoudra toutes ses contradictions en lui donnant tous les bonheurs à la fois.

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