Pierre Mathieu

Mathieu, Tablettes de la Vie et de la Mort, La Vie est un éclair

Poème étudié

VII

« La vie est un éclair, une fable, un mensonge,
Le souffle d’un enfant, une peinture à l’eau,
Le songe d’un qui veille, et l’ombre encor d’un songe,
Qui de vaines vapeurs lui brouillent le cerveau.

VIII

Cette vie aux échecs proprement se rapporte,
Autant de place y tient le Pion que le Roi :
L’un scrute, l’autre court, l’un surprend, l‘autre emporte.
Les noms sont distingués, et tout n’est que du bois.

XIII

La vie est une table, où pour jouer ensemble
On voit quatre joueurs : le Temps tient le haut bout,
Et dit passe, l’Amour fait de son reste et tremble.
L’Homme fait bonne mine et la Mort tire tout. »

Mathieu, Tablettes de la vie et de la mort

Introduction

Nous allons présenter une poésie de Pierre Mathieu intitulée « La vie est un éclair », tirée de Tablettes de la vie et de la mort.

Le poète naquit en 1563 et mourut en 1621. Il fut tour à tour dramaturge, traducteur et historien. « La vie est un éclair » est une poésie composée de trois quatrains appartenant au mouvement baroque ainsi que le suggère la récurrence des thèmes comme le temps qui passe, l’inconstance, l’illusion, la petitesse de l’homme, la mort et les figures de rhétorique relatives à l’expression contrastée, exagérée et figurée. Le texte est construit sur trois métaphores.

Dans un premier temps, nous étudierons la vision métaphorique de la vie qui correspond aux thèmes baroques. Nous verrons en quoi l’existence est successivement présente comme une illusion et un jeu.

I. Une vision métaphorique de la vie qui correspond aux principes baroques

1. La vie est une illusion

L’auteur emploie de multiples métaphores comme au vers 1 « la vie est un éclair », au vers 2 « le souffle d’un enfant » et au vers 3 « l’ombre d’un songe ». Cette figure de rhétorique fait allusion aux thèmes baroques tels que l’illusion (le rêve), la vie éphémère, le mouvement et l’inconstance. L’auteur utilise aussi un champ lexical spécifique à l’illusion, la confusion et la fragilité ce qui donne une impression d’irréel. Tout n’est qu’une illusion. La vie n’est pas véritable car c’est un mensonge vers 1 : « la vie est un mensonge ». L’aspect éphémère de l’existence est renforcé par l’expression figurée des métaphores. Tout contribue à dénigrer la vie : elle est brève, mensongère, une illusion, un rêve, un songe. Nous avons une représentation du monde dans son inconstance qui est récurrente ? C’est un monde où tout coule, rien ne dure. Le mouvement de la vie reflète celui des sentiments, tout dans l’univers est fluide et mouvant. L’homme est inquiet, il interroge le monde et face à son inconstance, éprouve de l’angoisse. La vision du monde devient alors tragique, le mouvement domine au vers 10 avec l’allégorie du temps : « le temps tient le haut bout » et la prosopopée « et dit passe » au vers 11. Les allégories du dernier quatrain renforcent le sentiment de détresse de l’homme face au monde du vers 10 à a fin.

2. La vie est un jeu

Dans cet esprit baroque que la vie est un jeu, l’homme est comparé à un pion au vers 6 « en bois », vers 8. C’est « un joueur » vers 10 et il « fait bonne mine » vers 12. Nous pouvons tout d’abord relever une figure de rhétorique caractéristique du style baroque : c’est une antithèse sociale : elle met le faible d’un coté et le fort de l’autre, personnifié par le pion et le roi vers 6 ainsi qu’une métaphore filée du vers 5 à la fin. Cette figure de style compare la vie humaine à un jeu. Le thème récurrent du jeu nous renvoie à la petitesse de l’homme. Cela est mis en avant par l’expression figurée de l’allégorie du temps : « le temps tient le haut bout et dit passe ». L’homme subit son impuissance car le temps est ce contre quoi il ne peut rien. Le jeu de la vie reflète le tragique de l’existence. La connotation est absurde car l’homme n’est qu’un joueur face au temps vers 10 et à la mort vers 12.

Au-delà de la vision métaphorique de la vie, l’esprit baroque transparait également au niveau des procédés de style.

II. Les procédés de style qui inscrivent ce texte dans le baroque

1. Les rimes

On s’aperçoit que l’auteur a utilisé des rimes croisées qui reflètent bien l’instabilité du monde baroque et sa fragilité : a – b – b – a : par exemple avec « mensonge », « eau », mais encore « songe » et « cerveau ». On voit aussi que les vers sont construits en alexandrins et qu’ils sont presque tous réguliers avec un hémistiche à la sixième syllabe mise à part les vers 1 – 7 et 11. Cette irrégularité entraine un changement de rythme qui accentue l’instabilité.

2. Les sonorités

Dans la première strophe les voyelles sont douces. Dans la deuxième, les sons sont moins doux ainsi que le suggèrent les mots « bois » ou encore « roi ». La troisième strophe en revanche comprend un mélange de sons. Les sons doux donnent un aspect plaisant de la vie alors que les sons durs évoquent la souffrance. La réalité « dure » s’oppose donc à l’illusion « douce ».

3. Le rythme

Le rythme vient également appuyer les thèmes de cette poésie grâce notamment aux fréquentes coupures à l’hémistiche avec des censures aux vers 2, 3, 8, 9 et 16. L’instabilité du temps au niveau du rythme est rendue plus explicite au vers 7. La strophe 2 est une strophe de mouvement car le vers 7 accélère le rythme ce qui connote l’instabilité du temps, la vie éphémère. A la troisième strophe au contraire, les vers sont irréguliers et coupés, ainsi au vers 11.

4. Les allitérations

Les allitérations et les thèmes se répondent. Dans la première strophe, les sons sont sourds « f » comme « souffle ». Dans la seconde, ils sont beaucoup plus appuyés « pion », « place ». Dans la dernière, nous retrouvons des lettres plus classiques, ni trop douces comme « table », « tout » ou « mime » et « mort », ni trop appuyées.

Conclusion

Cette poésie appartient en effet au courant baroque par ses thèmes récurrents et ses figures de rhétorique qui en reflètent bien l’esprit. La fatalité domine au dernier vers et la vision de l’existence est pessimiste et angoissante. Nous pouvons nous demander si cet esprit baroque tourmenté et inquiétant se retrouve avec la même intensité chez Guillaume du Bartas dans « un chaos de chaos » ou encore chez Théophile de Viau dans « Le soleil est devenu noir ».

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