Arthur Rimbaud

Rimbaud, Illuminations, Aube (Commentaire 2)

Poème étudié

J’ai embrassé l’aube d’été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.

Introduction

L’aube est un thème fréquent d’inspiration en poésie depuis la Renaissance où il est associé à la femme aimée (La belle Matineuse, Du Bellay). Dans un court poème en prose, Rimbaud laisse entendre un locuteur enfant-poète et y relate une course matinale dans une nature qui s’éveille. Le poète de « Ma Bohème » dont on retrouve la fraîcheur dans « Aube » affirme lui-même avoir été fasciné par ce moment privilégié qui surprend le monde dans son sommeil et apporte les prémisses d’un renouveau quotidien.

« Aube » s’ouvre et se clôt par un octosyllabe qui le limite dans le temps ; et retrace un double itinéraire spatial et temporel. Le déplacement du « je » apparaît comme une sorte de « chasse » à l’aube qui se termine par une victoire relative du « je » (re)devenu enfant, avant de se dissoudre dans le rêve. Auparavant, cet élan dynamique du « je » provoque l’éveil et la métamorphose du monde.

Ainsi, la nature passe du sommeil à l’éveil grâce à l’omniprésence d’un « je » aux pouvoirs magiques dont la « chasse » à l’aube relève d’une quête mystérieuse.

I. Du sommeil à l’éveil : une nature en pleine métamorphose

A. D’un état initial de sommeil.

Champ lexical de la mort.

Emploi des négations à l’imparfait.

Sonorités nasales qui évoquent un monde étouffé

Mais ce monde est comme en attente …

B. De l’éveil à la vie.

Champ lexical de la vie + jeu de personnification.

Emploi du passé simple pour exprimer la succession des actions ce qui participe à l’animation du décor.

Du silence au bruit : Évolution du lexique.

Transition : L’éveil est d’autant plus frappant qu’il est provoqué par la présence mouvante d’un « je » sur les pouvoirs duquel il convient de s’interroger.

II. Omniprésence d’un « je » aux pouvoirs magiques

A. Un « je », initiateur de l’éveil.

Simultanéité du passage du « je » et de l’éveil (rôle du participe présent).

Imagination créatrice de l’enfant (mise en place d’une complicité).

Crescendo de l’action (étude des verbes au passé composé).

B. Une course poursuite entre l’enfant et l’aube.

L’itinéraire du « je » : lexique spatio-temporel + étude du mouvement.

Le parcours de l’aube : un parcours de lumière + étude de la métaphore de la déesse.

C. Les limites aux pouvoirs de l’enfant.

Victoire relative de l’enfant : fusion (entourer/sentir + association par la conjonction de coordination) mais relativité (oxymore « un peu/immense ») qui entraîne la chute (rupture du passé simple + signifié du verbe + allitération en « b »).

Victoire éphémère du poète : Elle ne dure que le temps d’une illumination dans un espace verrouillé par les deux octosyllabes.

« J’ai embrassé l’aube d’été » : cri de la victoire porté par le passé composé qui atteste la réalité de l’évènement auquel s’ajoute la forte scansion par la rime inférieure en « é » à la césure 4/4. La suite du texte sera donc le récit d’une victoire par le procédé de l’analepse.

« Au réveil, il était midi » : Constat irrévocable de la perte, rupture de l’équilibre du vers (3/5) + imparfait qui fige le temps. Cette clausule entraîne une relecture complète du texte, qui n’était que le récit d’un rêve dont il ne reste comme trace que la production poétique. Seul l’enfant peut adhérer à la magie du rêve et même s’en contenter, le poète à échoué à renouveler le monde de façon nouvelle et durable : l' »entreprise » était impossible.

Transition : L’identité du « je » demeure toute aussi mystérieuse, et à l’image de ses pouvoirs, sa quête est double sans pour autant être clairement définissable.

III. La quête du « je »

A. Celle de l’enfant à l’homme : la quête d’un idéal féminin.

Féminité et corporéité du personnage de l’aube.

Conquête amoureuse : sensualité des sonorités + vocabulaire de la sensation + jeu des pronoms [je/la].

Identification du « je » à un enfant.

B. Celle de l’enfant au poète : La quête d’un idéal poétique.

Identification du « je » au poète , symbolique du laurier.

Caractéristiques du poète :

Celui qui donne un nom aux choses, les transforme et/ou leur donne naissance avec des procédés comme la personnification ou les métaphores.

Celui qui est figuré en « mendiant » : pauvreté et difficulté de la condition du poète, mais aussi liberté de mouvement et rôle de l’errance pour la création.

Celui qui construit un monde de perceptions et de sensations nouvelles (construction régulière du texte + jeux d’échos sonores et visuels).

C. Quête impossible car, malgré la diversité d’interprétations de lecture, le lecteur vient toujours se heurter à la chute, cf. II.

Conclusion

Dans « Aube », le « je » poète rappelle à la vie la nature par la seule magie de l’itinéraire qu’il inscrit dans le temps et l’espace. A la mesure de l’énergie conquérante déployée par Rimbaud dans sa course poursuite de l’aube, le texte est traversé de mouvements, de fulgurance. Pourtant, ce parcours s’achèvera en une culbute, en débandade. Un octosyllabe ouvrait le poème, un autre le referme et sanctionne l’échec d’une quête impossible, qui dissipe le songe et annule le « je » car il n’existe que par et dans le rêve utopique.

L’aube rimbaldienne promettait un grand jour ; ce n’est qu’une « illumination » fugace qui s’éteint dans un aveuglant zénith et réduit le poète au silence.

 

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