Arthur Rimbaud

Rimbaud, Poésies, Le Dormeur du Val

Poème étudié

C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Introduction

Le texte que nous allons étudier est un sonnet intitulé Le Dormeur du Val, écrit en 1870 par Arthur Rimbaud, né en 1854. Élevé par sa mère, il se fait tout de même remarquer très tôt pour ses vers en latin publiés dans la presse locale, et un de ses poèmes remporte le prix académique. Rimbaud n’a alors que 15 ans. Il fait plusieurs fugues, va même jusqu’en Belgique, et écrira pendant ses voyages plusieurs poèmes, dont Le Dormeur du Val, inspiré par les scènes dont il est témoin lorsqu’il passe tout près des lignes allemandes.

Afin de répondre à la problématique, quelle est la place de ce poème dans l’itinéraire Rimbaud, nous verrons dans un premier temps le tableau d’un cadre naturel et enchanteur, puis dans un second temps, les relations entre le cadre et le personnage et enfin, nous analyserons la devinette poétique.

I. Le tableau d’un cadre naturel et enchanteur

1. Une nature belle et vivante

Le poème s’ouvre sur le présentatif « c’est ». Vient ensuite la description du Val au vers 4, c’est une tournure présentative. Rimbaud insiste sur la dimension du lieu pour nous montrer que c’est un lieu accueillant vers 1 « trou de verdure », v3 « d’argent, où le soleil, de la montagne fière », v8 « lit vert où la lumière pleut ». C’est un lieu qui nous est montré comme étroit, profond donc pas conséquent protecteur, vivant et accueillant, on le remarque grâce aux nombreuses personnifications comme la rivière « chante » v1, « les haillons » v2, et « la Montagne fière » v3. Les figures de rhétorique se complètent avec un oxymore « haillons d’argent » aux vers 2 et 3 qui connote la simplicité et la modestie d’une nature malgré tout somptueuse.

Le dynamisme de la nature se fait aussi par les nombreux enjambements présents dans le poème notamment aux vers 1-2 et 2-3, ce sont des rythmes rapides.

2. La relation inversée du titre et du texte

Le lecteur a un effet de surprise dès le deuxième quatrain avec l’arrivée d’un soldat qui semble ne pas être dans son élément, il est comme étranger au décor naturel. Puis dès le vers 7, on ressent une impression de tranquillité, le personnage au premier rang domine et englobe le soldat sous la lumière qui « pleut ». Elle ne dégage aucune agressivité et tous les éléments en rapport avec son sommeil ont une connotation positive. Le soldat est effacé voire même dès le premier tercet immobile. Nous avons une récurrence du verbe dormir au vers 9 « il dort », puis au vers 10, « il fait un somme », enfin, « il a froid » à la fin du vers 11 qui termine le premier tercet. C’est seulement dans le second que son immobilité inquiète. Rien ne l’affecte, son indifférence aux couleurs et aux odeurs est suggérée par le rejet de l’adjectif possessif « tranquille » au dernier vers.

Celui-ci retourne la situation « il a deux trous rouges du coté droit ». La mort du soldat est sous-entendue par l’euphémisme. Nous comprenons que « le trou de verdure » au vers 1 symbolise la tombe. La tranquillité à laquelle il fait allusion connote en fait la mort du jeune homme. C’est alors que les expressions « étendu », « pâle », « il a froid », « lit » deviennent explicites.

Il faut donc attendre le dernier vers pour comprendre le sens de cette immobilité paisible. Le titre bucolique et champêtre camoufle la vérité morbide. Derrière l’apparence traditionnelle du sonnet qui décrit la beauté de la nature se cache le portrait d’un soldat mort.

II. Le portrait du soldat mort

1. Une mise en scène impressionniste

Le lecteur pourrait lire ce poème comme on regarde un tableau impressionniste, de façon progressive. Ainsi, il aperçoit d’abord d’assez loin le Val « trou de verdure », viennent ensuite à sa vue, les différents éléments de la nature comme « la rivière » vers 1, les gouttelettes accrochées aux herbes vers 2. D’un peu plus près, il voit le soldat puis distingue sa bouche, sa tête vers 5, sa nuque vers 6 et sa position au vers 7, « il est étendu ». En se concentrant encore davantage, il remarque la main du soldat « posée sur sa poitrine » vers 13 et enfin, les deux trous rouges du côté droit au dernier vers. A la fin seulement, il découvre que le jeune homme est mort.

C’est en fait à la relecture que le sentiment d’horreur naît. On peut dans le cadre d’une seule lecture peu approfondie ne pas comprendre le sens du dormeur du Val, le titre lui-même induisant en erreur. Rimbaud joue sur le sens littéral et figuré.

2. Les couleurs et la lumière

Les couleurs sont multiples, Au vert de la nature s’ajoute le bleu évoqué par le cresson du vers 6. Mais la couleur rouge qui est une couleur chaude est ici associée au sang du soldat donc au froid de la mort que la nature berce « chaudement » vers 11.

La mise en scène tient compte du rôle important de la lumière. Elle favorise la douceur avec « sa mousse de rayons », « dans le soleil » vers 13.

C’est un tableau naïf au contraste fort. Le soleil est un élément attaché à la chaleur vers 3 et l’hémistiche au vers 13.

III. Les relations entre le cadre et la nature

1. Un jeu d’harmonie

Le soldat, est totalement intégré dans la nature. On le constate notamment par les prépositions « dans » encadré par la nature aux vers 6, 7 et 8 « Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, » « Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, » « Pâle dans son lit vert où la lumière pleut ». La couleur rouge fait son apparition dès les vers 9 et 14 « Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme » « Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. ». On nous prépare progressivement à une chute de cette harmonie.

2. Un jeu d’opposition entre les deux

Il y a une opposition entre la nature dynamique et le personnage du soldat immobile. Nous pourrions comparer ainsi le 1er et le 2nd quatrain, aux vers 4 « Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons », luit en opposition avec le vers 7 « dort » ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, ». Il y a rejet entre ces deux mots, un enjambement aux vers suivants. L’Immobilité est ici caractérisée par la personne qui sommeille, la tranquillité au vers 14 « Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. », c’est une évocation du sommeil qui est reprise plusieurs fois dans le poème. Il y a de même une opposition de rythme entre le 1er et 2nd quatrain. Le rythme est rapide dans le 1er, l’enjambement est rapide alors que le rythme est plus lent dans le 2nd, un enjambement sur le repos et la tranquillité.

3. Le rôle de la nature

Au vers 11, la nature est ainsi comparée à la mère « Nature, berce-le chaudement : il a froid. », la douceur d’une mère, le soldat est une connotation avec un enfant. C’est une apostrophe du poète à la nature. Le mode verbal de ce vers est à l’impératif, cela marque un ordre. La nature est associée à la chaleur, adverbe chaudement aux vers 14. Les « e » sonores sont renforcés pour donner un effet d’insistance et d’importance. Au vers 8, nous avons de même une métaphore « lit vert » « Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. » c’est une association de la nature à un berceau, un lieu d’accueil chaleureux et de protection.

IV. Une devinette poétique

1. La progression du poème

Le titre associe le personnage et le lieu où il se trouve, plusieurs thèmes sont ici abordés, notamment celui du sommeil qui garde une grande importance dans ce poème car il caractérise la mort du soldat. Ce thème est répété systématiquement tout au long du poème, aux vers 7, 9, 13 « Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue », « Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme », « Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, ». La répétition du mot « dort » nous montre bien l’attitude passive et l’état du personnage. La progression du poème se fait petit à petit. Dès le début, on ne peut s’attendre, à cette fin tragique.

2. Une série d’indices

Nous pourrions tout de même nous attarder sur certains indices qui nous laissent réfléchir sur la fin du poème notamment par l’apparition au vers 8 de l’adjectif épithète « pâle » « Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. » qui est repris de même par « enfant malade » au vers 10 « Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. ». Une connotation régulière avec la mort pourrait aussi nous en apprendre plus sur le destin tragique du soldat au vers 11 « Nature, berce-le chaudement : il a froid. ». L’immobilité est un rappel de la mort au vers 12 « Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; » c’est une tournure négative. Nous avons enfin pour clôturer cette fin, la chute déterminatrice du poème au vers 14 qui met une relation entre les 2 trous rouges qui entraînent les blessures puis la mort du soldat « Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. ».

3. Une dénonciation de la guerre

A travers le dormeur du Val, Rimbaud, nous fait bien passer un message certain. Il fait une dénonciation de la guerre. C’est un message indirect contre la guerre qui apparaît pour lui comme un effet de scandale, c’est un événement contraire à la nature. Elle exprime la folie des hommes, leur haine contre eux-mêmes mais qui a bien des conséquences autour d’eux, nous avons la preuve de la mort d’un jeune homme. Rimbaud a choisi de mettre le soldat en relation avec la nature pour qui la nature est l’association à la vie, un destin normal pour un jeune homme et qui n’a donc pu se résoudre par les faits néfastes de la guerre qui en ont décidé autrement et l’on conduit à sa perte. Rimbaud a donc concrétisé à généraliser par la mort de ce jeune soldat, les nombreuses pertes humaines qu’il y a pu avoir tout au long de cette guerre.

Conclusion

Rimbaud fait preuve d’une grande maturité poétique pour un jeune homme de 16 ans. Ce poème est le début d’une brève carrière qui est encore assez traditionnelle.

Le sonnet est une forme héritée de la tradition (au 16ème siècle en France). Néanmoins, Rimbaud renouvelle cette forme en 2 quatrains, et l’utilisation de l’enjambement, cela joue au niveau du rythme du poème.

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