Analyse
Dans Les Corbeaux, Rimbaud aborde l’idée de défaite à travers un double échec, l’échec militaire de la guerre franco-allemande de 1870 et son échec littéraire. Cette défaite entraîne chez l’auteur un long abattement. Néanmoins on voit que l’auteur a encore de l’espoir.
Dans ce poème, l’expression « Les morts d’avant-hier » (vers 14) se rapporte très certainement aux soldats tués durant la guerre franco-allemande de 1870, guerre dont on parle très peu car elle fut très courte et vu la défaite de la France. Nous pouvons donc dire que les vers 13 et 14 « Par milliers, sur les champs de France, / Où dorment des morts d’avant-hier, » se rapportent à la notion de défaite à travers les victimes de cette guerre. En outre qui dit guerre, dit morts, et encore plus pour le perdant. Les vers 6 et 7 nous exposent donc l’horreur de la défaite en nous montrant la multitude de corps qui jonchent les champs et les bois. De plus des termes tels que « abattus » (vers 2) et « s’abattre » (vers 5) renvoient à l’idée de quelque chose qui s’effondre, tout à fait dans l’esprit de la défaite.
Venu à Paris dans le but de révolutionner la poésie, Rimbaud essuie aussi une cuisante défaite. Sa poésie, loin d’être acclamée, choque ainsi que l’auteur. Alors qu’il vient de remettre en cause la poésie du Parnasse toute entière, il est normal qu’il soit rejeté par la communauté littéraire parisienne, alors à tendance parnassienne. En effet celle-ci est lassée du mépris que Rimbaud leur communique et de ses excentricités. Lui qui attendait un succès immédiat de sa poésie tombe des nues et est abattu. La défaite littéraire de Rimbaud est abordée dans ce texte par l’adjectif possessif « notre » au vers 18. Cela opère à un rapprochement entre Rimbaud et les victimes de la guerre, qui démontre que Rimbaud et les morts partagent le même présage funeste, le corbeau, et donc le même passé, la défaite.
Par ce poème, Rimbaud nous appelle à nous souvenir de la défaite de la guerre franco-allemande de 1870, mais aussi de sa défaite littéraire.
Tout d’abord l’hiver, avec un paysage sans vie et figé, installe une atmosphère morne qui est soulignée par les termes « abattus » (vers 2) ainsi que par l’emploi de l’adjectif « funèbre » (vers 18) qui qualifie quelque chose de triste et lugubre. De plus toutes les couleurs évoquées dans le texte sont sombres et ternes, la nature est « défleurie » (vers 3), les corbeaux sont noirs et les fleuves sont « jaunis » (vers 9). D’ailleurs le poème est présenté comme une sorte de prière car il commence par « Seigneur ». Rimbaud est vraiment désespéré, il utilise le dernier recours pour se sauver de ces malheurs, Dieu. En outre la fin du poème est désespérément pessimiste. La dernière strophe commence par « Mais », marquant une rupture avec le reste du poème, qui est plus vivant. En effet les trois premières strophes ont une ponctuation marquée, points d’exclamation et points de suspension, qui rendent le texte plus vivant. Tandis que dans la dernière strophe, la ponctuation est moins forte, points et virgules seulement, qui obligent le lecteur à marquer fréquemment des pauses, rendant ainsi le poème plus lent. Cela donne une impression de lâcher prise, de désespoir. De plus les trois derniers vers commencent par « laissez », un terme d’abandon qui indique l’abattement de l’auteur. Qui plus est, nous avons vu que Rimbaud et les soldats morts partagent le même destin. Par conséquent le vers 22 « Pour ceux qu’au fond du bois enchaîne » se rapporte aussi à Rimbaud. Il est donc prisonnier au fond d’un gouffre sans lumière, qui représente sa défaite et dont il ne peut se libérer. Le poème s’achève sur « La défaite sans avenir », sorte de sentence sur le sort de Rimbaud et des soldats.
Cependant l’espoir est bien présent dans le texte, particulièrement aux vers 21 et 22 « Laissez les fauvettes de mai / Pour ceux qu’au fond du bois enchaîne ». En effet les fauvettes de mai représentent le printemps, donc la vie mais aussi l’avenir. Et comme dit l’adage « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », les fauvettes de mai incarnent l’espoir. De plus elles sont spécialement réservées à « ceux qu’au fond du bois enchaîne », c’est-à-dire à Rimbaud et aux soldats. En outre le vers 19 « saints du ciel » fait référence au ciel, aux anges, et donc à l’espoir. Cette idée est corroborée au vers suivant « Mât perdu dans le soir charmé », qui restitue l’impression d’une élévation à travers la verticalité. De plus le terme « Mât » fait référence à un bateau donc au voyage. Il pourrait s’agir d’un voyage initiatique à travers la défait et la mort.
Le moral de Rimbaud est au plus bas dans ce texte, et son désespoir imprègne chaque vers. Néanmoins il espère encore au fond de lui que des jours meilleurs viendront.
Transition : Désormais Rimbaud ne peut plus fuir et constate définitivement sa défaite. Sa poésie tout comme la guerre n’avaient aucun avenir. Le poète et les soldats sont morts en même temps que leurs espoirs de victoire.