Ronsard, Les Amours, Douce beauté, Meurtrière de ma vie
Poème étudié
Douce beauté, meurtrière de ma vie,
En lieu d’un cœur tu portes un rocher.
Tu me fais vif languir et dessécher,
Passionné d’une amoureuse envie.
Le jeune sang qui d’aimer te convie,
N’a pu de toi la froideur arracher,
Farouche, fière, et qui n’as rien plus cher
Que de languir froide, et n’être point servie.
Apprends à vivre, ô fière en cruauté.
Ne garde point à Pluton ta beauté,
Quelque peu d’aise en aimant il faut prendre.
Il faut tromper doucement le trépas ;
Car aussi bien sous la terre là-bas
Sans rien sentir, le corps n’est plus que cendre.
Ronsard, Les Amours
Introduction
Ce sonnet en décasyllabes est d’inspiration pétrarquiste du fait de sa rhétorique amoureuse, des figures de style et de la mise en scène du « je ». Ronsard s’adresse à Cassandre et se réfère à la fois au carpe diem, invitation à profiter du moment présent et au memento mori qui signifie mot à mot « souviens-toi de mourir », c’est-à-dire, n’oublie pas que tu mourras. Dans un premier temps, nous étudierons la composition et le modèle pétrarquiste du sonnet, puis en second lieu, le lyrisme du poète.
I. Le sonnet
1. La composition
Nous avons un sonnet composé de deux quatrains à rimes embrassées (ABBA), et d’un sizain composé de deux tercets. Il semblerait que dans les deux quatrains, le poète soit soumis à la femme aimée, tandis que dans les deux tercets, le carpe diem aux vers 9 et 10, et le mémento mori dominent.
2. Le modèle pétrarquiste
En effet ce sonnet imite le modèle pétrarquiste, on le voit à plusieurs niveaux :
– Les figures de rhétorique permettent au poète de connoter, de suggérer et d’intensifier sa rhétorique amoureuse. Nous constatons la présence de métonymies pour évoquer le poète, « ma vie », vers 1 ou encore « le jeune sang », vers 5, et Cassandre, « Douce beauté », vers 1. Les antithèses mettent en avant les difficultés auxquelles se heurte le poète ainsi que l’aspect très ambivalent du sentiment amoureux : « Douce/meurtrière », « cœur/rocher », « vivre/trépas » et « jeune sang/languir ». La souffrance de Ronsard transparait à travers l’oxymore « meurtrière de ma vie » et enfin, l’indifférence de Cassandre se reflète dans la métaphore filée du rocher et de sa froideur, « rocher », vers 2, « dessécher », vers 3, « froideur », vers 6 et « froide » au vers 8.
– En outre, on peut qualifier cette poésie d’influence pétrarquiste du fait des marques de la subjectivité. Le « je » a une place importante dans ce sonnet ce qui permet à Ronsard de s’adapter au modèle pétrarquiste avec beaucoup de lyrisme.
II. Le lyrisme
1. Les deux quatrains
Le lyrisme est lié à l’expression du moi et donc aux manifestations de la subjectivité d’une façon générale, il permet au poète d’exprimer ses sentiments mais également ses émotions. On ne voit aucun pronom personnel sujet seulement les possessif « ma » vers 1, ou encore une métonymie, « le jeune sang ». On devine la première personne dans le tutoiement aux vers 2, 3, 5, 6, et 7 avec le pronom sujet tu dans le premier quatrain et le pronom objet « te » et « toi » dans le deuxième quatrain car le poète est le sujet. Le lyrisme s’articule autour du thème de l’amour, dans l’évocation et à cela s’ajoute la souffrance du poète devant l’indifférence de Cassandre, « Douce beauté, meurtrière de ma vie » au vers 1. Ronsard apparait comme une victime.
2. Le sizain
Dans les deux tercets, le lyrisme de l’auteur prend la forme d’une invitation au plaisir avec le carpe diem : « Apprends à vivre », vers 9, ou encore, « Ne garde point à Pluton ta beauté », vers 10. Profiter du temps qui passe est une façon de lutter et de combattre l’irréversibilité du temps qui passe, autrement dit un moyen de tromper « le trépas », vers 12. Il faut donc profiter de sa jeunesse et de l’amour avant que la mort ne vienne d’où l’idée de « cendre » au vers 14. De cette manière, l’image de la mort est atténuée par le carpe diem.
Conclusion
Nous voyons dans ce sonnet, imprégné de la poésie pétrarquiste pour la rhétorique amoureuse et les figures de style, que le carpe diem et le memento mori dominent. C’est donc un rappel de la mort dans le but de convaincre la femme aimée de profiter de la vie et de l’amour dès aujourd’hui. Il ne faut pas oublier que nous sommes mortels et que nous ne pouvons pas échapper à notre condition de mortels. « Souviens-toi de mourir », le memento mori est en fait le nom donné aux cranes humains sur lesquels on méditait pour se familiariser avec l’idée de la mort et de la vanité des choses humaines. C’est une invitation à se tourner vers Dieu. On retrouve ces cranes dans les tableaux portant le nom de Vanité.