Saint-Amant, Chimères
Poème étudié
Assis sur un fagot, une pipe à la main,
Tristement accoudé contre une cheminée,
Les yeux fixés vers terre, et l’âme mutinée,
Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.
L’espoir, qui me remet du jour au lendemain,
Essaie à gagner du temps sur ma peine obstinée,
Et me venant promettre une autre destinée
Me fait monter plus haut qu’un empereur romain.
Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,
Qu’en mon premier état il me convient descendre,
Et passer mes ennuis à redire souvent:
Non, je ne trouve point beaucoup de différence
De prendre du tabac à vivre d’espérance,
Car l’un n’est que fumée, et l’autre n’est que vent.
Saint-Amant, Chimères
Introduction
Saint-Amant est un poète baroque, il était épicurien et libertin. Toujours à la recherche du plaisir. Il incarne les débuts du libertinage. A la fois un doute sur tout ce qui n’est pas prouvé. Il a écrit des poésies érotiques. Il s’inscrit à la suite de son maître : Théophile de Viau. En 1634, il est l’un des premiers membres de l’Académie Française.
Dans ce sonnet, Saint-Amant reprend un des thèmes récurrents pendant cette période : la condition humaine éphémère dans ce monde, et pour cela il utilise la métaphore filée du tabac.
Nous verrons tout d’abord en quoi c’est un portrait réaliste et exagéré, ensuite nous nous intéresserons à la métaphore filée de la fumée et enfin, nous étudierons la présence du baroque dans cette scène.
I. Un portrait réaliste et exagéré.
Saint-Amant a fait de son sonnet une construction logique et argumentative avec la présence d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion.
Le premier quatrain fait office d’une scène d’exposition, on a la réponse aux questions : Qui ? Quand ? Situation ?
Il y a une exagération du portrait avec la présence d’hyperboles : cruauté, inhumain. Il y a également des verbes clés dans le premier quatrain avec « songer » qui illustre le titre qui est un thème récurrent du baroque : rêve ou réalité.
II. Métaphore filée de la fumée.
1. Mouvement ascendant : optimisme.
Entre chaque strophe, il y a le passage d’un état à l’autre accentué par « à peine » : les deuxièmes états d’âmes du poète suivent de façon rapide (il est presque lunatique).
Dans le deuxième quatrain, il y a le mot « espoir » qui est mis en valeur avec le détachement de la virgule.
On voit les verbes « gagner » (v.6), « promettre » (v.7) et « monter plus haut qu’un empereur romain », il y a ici une hyperbole puisque un empereur romain est égale à Dieu donc le poète est au dessus de Dieu.
Le lecteur peut pressentir la retombée avec « du jour au lendemain » qui donne un caractère cyclique de ces changements d’états d’âmes. Les mots « essai » et « promettre » montre une absence de certitude de la part du poète.
2. Mouvement descendant.
Le mouvement descendant commence dès le tercet suivant avec le « mais ».
La construction est en comparaison entre les deux états du poètes avec une strophe pour chaque état homophone et « à peine » qui annonce le thème : la tristesse.
Il y a un retour cyclique au vers 10 avec retour à « mon premier état ». Il y a une rime pour l’œil avec « descendre » et « cendre ».
3. Philosophie.
Il conclut de façon générale avec la condition humaine. Au vers 12, le « Non » est mis en valeur grâce à la virgule, cela donne une forme de début de conclusion avec la présence explicite du poète qui prend parti en ajoutant du présent de vérité générale.
Il y a également la comparaison entre le tabac et vivre et la chute au vers 14 avec le chiasme. Le poète joue sur la confusion avec le chiasme et le choix du sujet (« un » et « l’autre »).
III. Présence baroque : thème et procédé.
1. Les procédés.
Les procédés utilisés sont les hyperboles, des rimes riches, des rimes qui sont pour l’œil, même brisées. Des chiasmes, des césures et la structure formelle et argumentative ainsi qu’une métaphore filée.
Le sonnet est également de mode durant le baroque.
2. Les thèmes.
Le titre, exagération de la comparaison de deux états contradictoires, ce qui donne un mélange qui est typique du baroque. La réflexion existentielle de la vie sur Terre aussi éphémère que la consommation du tabac.
Conclusion
Derrière la figure caricaturale du fumeur de pipe, Saint-Amant met l’accent sur une des préoccupations majeur de son époque : le caractère éphémère de la condition humaine.
L’irréalité des sentiments et de la vie, par son côté moderne, il a pu être au même titre que Théophile de Viau, un des précurseurs au Romantisme.
Les plus grands poètes du XIXème siècle sont reconnus en lui. Mais on peut y voir aussi un amorce de ce que Baudelaire développera ensuite dans la section spleen et idéal.