Rousseau, Les Confessions, Madame Basile
Introduction
Voici Rousseau à Turin, quasiment démuni, car sa bourse l’épuise. Il décide donc de chercher un maître chez qui exercer ses talents de graveur afin de gagner quelque argent. Mais il essuie bon nombre de refus. Seule Madame Basile saura lui réserver un accueil plein de douceur et de bonté. La rencontre avec Madame Basile constitue donc un épisode salvateur, et la figure de cette jeune femme n’en gardera que plus de relief dans la mémoire de Rousseau. Ce passage est un récit de l’un des moments privilégiés qui réunit Jean-Jacques et sa bienfaitrice. La symbolique de la chambre entrouverte annonce une scène d’amour. L’expression des sentiments constitue donc l’enjeu essentiel de cette scène intimiste. Dans ce passage, nous verrons comment Jean-Jacques est sous le charme de Madame Basile puis nous nous intéresserons à la timidité maladive de Jean-Jacques. Pour terminer, nous nous intéresserons à la vision idéaliste de l’amour de Rousseau.
I. Jean-Jacques sous le charme de Madame Basile
Comme dans le cas de la rencontre avec Madame de Warens, le portrait de Madame Basile est primordial : car c’est du charme qui émane de sa personne que naît l’amour. On remarque que Jean-Jacques était sensible à la « blancheur de son cou », blancheur qui indique la pureté de son âme.
Dans sa description Rousseau en fait une femme attirante : « toujours bien mise », « était gracieuse ». Ce physique plein de grâce est à l’unisson de la beauté de son âme, de son naturel généreux. On remarque le champ lexical de la passion : « hors de moi », « passionné », « transport ».
II. Une timidité maladive
1. Jean-Jacques tiraillé entre ses rêves d’amour et la réalité
Poussé par la passion et animé du désir de se déclarer, Jean-Jacques entre donc dans la chambre de Madame Basile. Mais il n’ose se déclarer ouvertement et ostensiblement.
Son but est d’être ni vu ni entendu : « J’y entrai sans être aperçu », « elle ne pouvait me voir entrer, ni m’entendre ». Jean-Jacques se jette à genoux tout en sachant qu’il ne sera ni vu, ni entendu. C’est une déclaration à demi réelle, à demi virtuelle. Il se trouve donc tiraillé entre ses désirs et ses rêves d’amour d’une part, et une réalité qui demeure en deçà de ses rêves.
2. Jean-Jacques remplacé par son reflet
Jean-Jacques se cache donc pour se déclarer, mais le voilà trahi par la glace qui se trouve à la cheminée, et permet à Madame Basile de percevoir la déclaration. Tout se passe comme si le reflet de Jean-Jacques avait pris le relais de Jean-Jacques pour faire cette déclaration. Tel est le sens de cette mise en abîme de la déclaration initiale. Jean-Jacques n’est plus l’acteur de sa vie, c’est son reflet qui le devient.
3. Discours amoureux remplacé par le langage des signes
Jean-Jacques ne dit pas sa déclaration, mais il la mime, en silence. Et c’est par ce qu’il se croit hors d’atteinte de Madame Basile, c’est à dire protégé de la réalité, qu’il donne libre cours à sa déclaration. Il le fait en recourant au langage des signes : « Je me jetai à genoux », « en tendant mes bras », « d’un mouvement passionné ».
A son tour, Madame Basile lui répond en recourant au langage des signes : « tournant la tête », « elle me montra ». Mais jamais n’intervient la parole qui serait insuffisante à traduire l’intensité des sentiments telle que le transport amoureux. Les sentiments exprimés sont d’autant plus forts qu’ils sont contenus dans le non-dit, c’est une scène vive et muette.
III. Une vision idéaliste de l’amour
1. Amour destiné à ne jamais voir le jour
Cet amour ne sera jamais consommé. Jean-Jacques avoue lui-même : « je n’osais rien entreprendre ». Tout juste applique-t-il deux baisers brûlants sur sa main à la fin de l’épisode.
2. La pureté des sentiments
Finalement, la déclaration de Jean-Jacques faite uniquement de silence et de signes exprime un sentiment à l’état pu. De même, on peut voir dans le reflet une image de son âme mise à nue. Cela nous renvoie au double sens du mot psyché qui veut dire à la fois glace et l’âme.
Conclusion
L’originalité de cette déclaration d’amour réside donc dans le non-dit silence qui la caractérise. Un silence qui ne masque pas pour autant l’intensité des sentiments de Jean-Jacques. La porte à demi-ouverte de la chambre de Madame Basile est une porte qui s’ouvre sur le monde de ses propres rêves, mais cette porte n’est qu’à demi-ouverte et la réalité reprend ses droits lorsque Rosira arrive. On peut rapprocher cette scène de la rencontre avec Madame de Warens, deux rencontres amoureuses où le langage des signes est primordial.