Jean Racine

Racine, Britannicus, Acte II, Scène 4, 5, 6

Texte étudié

SCENE IV – NERON, JUNIE, NARCISSE

NARCISSE
Britannicus, Seigneur, demande la princesse ;
Il approche.

NÉRON
Qu’il vienne.

JUNIE
Ah ! Seigneur !

NÉRON
Je vous laisse.
Sa fortune dépend de vous plus que de moi :
Madame, en le voyant, songez que je vous vois.

SCENE V – JUNIE, NARCISSE

JUNIE
Ah ! cher Narcisse, cours au-devant de ton maître ;
Dis-lui… Je suis perdue ! et je le vois paraître.

SCENE VI – JUNIE, BRITANNICUS, NARCISSE

BRITANNICUS
Madame, quel bonheur me rapproche de vous ?
Quoi ! je puis donc jouir d’un entretien si doux ?
Mais, parmi ce plaisir, quel chagrin me dévore !
Hélas ! puis-je espérer de vous revoir encore ?
Faut-il que je dérobe avec mille détours,
Un bonheur que vos yeux m’accordaient tous les jours.
Quelle nuit ! quel réveil ! Vos pleurs, votre présence
N’ont point de ces cruels désarmé l’insolence !
Que faisait votre amant ? Quel démon envieux
M’a refusé l’honneur de mourir à vos yeux ?
Hélas ! dans la frayeur dont vous étiez atteinte,
M’avez-vous en secret adressé quelque plainte ?
Ma princesse, avez-vous daigné me souhaiter ?
Songiez-vous aux douleurs que vous m’alliez coûter ?
Vous ne me dites rien ! Quel accueil ! Quelle glace !
Est-ce ainsi que vos yeux consolent ma disgrâce ?
Parlez : nous sommes seuls. Notre ennemi, trompé,
Tandis que je vous parle, est ailleurs occupé.
Ménageons les moments de cette heureuse absence.

JUNIE
Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance :
Ces murs mêmes, Seigneur, peuvent avoir des yeux ;
Et jamais l’empereur n’est absent de ces lieux.

BRITANNICUS
Et depuis quand, madame, êtes-vous si craintive ?
Quoi ! déjà votre amour souffre qu’on le captive ?
Qu’est devenu ce cœur qui me jurait toujours
De faire à Néron même envier nos amours ?
Mais bannissez, madame, une inutile crainte :
La foi dans tous les cœurs n’est pas encore éteinte ;
Chacun semble des yeux approuver mon courroux ;
La mère de Néron se déclare pour nous.
Rome, de sa conduite elle-même offensée…

JUNIE
Ah ! Seigneur ! vous parlez contre votre pensée.
Vous-même, vous m’avez avoué mille fois
Que Rome le louait d’une commune voix ;
Toujours à sa vertu vous rendiez quelque hommage.
Sans doute la douleur vous dicte ce langage.

BRITANNICUS
Ce discours me surprend, il le faut avouer :
Je ne vous cherchais pas pour l’entendre louer.
Quoi ! pour vous confier la douleur qui m’accable,
A peine je dérobe un moment favorable ;
Et ce moment si chère, madame, est consumé
A louer l’ennemi dont je suis opprimé !
Qui vous rend à vous-même, en un jour, si contraire ?
Quoi ! même vos regards ont appris à se taire ?
Que vois-je ? Vous craignez de rencontrer mes yeux !
Néron vous plairait-il ? Vous serais-je odieux ?
Ah ! si je le croyais !… Au nom des dieux, madame,
Éclaircissez le trouble où vous jetez mon âme.
Parlez. Ne suis-je plus dans votre souvenir ?

JUNIE
Retirez-vous, Seigneur ; l’empereur va venir.

BRITANNICUS
Après ce coup, Narcisse, à qui dois-je m’attendre ?

Racine, Britannicus

Présentation de Racine

Il est orphelin assez tôt. Ces parents sont des notables. Il est issu d’une famille bourgeoise. Ces grands parents vont l’élever et il étudie avec les jansénistes de Port-Royal, et s’imprègne de leur vision pessimiste dans la mesure où l’homme est plutôt mauvais que bon. Les jansénistes pensent que l’homme est prédestiné.

On retrouve cette vision pessimiste dans les pièces de Racine. L’homme ne peut faire seul son salut, seule la grâce de Dieu peut le lui accorder.

Il acquiert une solide instruction.

Il va mener une vie mondaine dans le milieu aristocratique parisien et va rentrer à la Cour. Il sera protégé par le Roi et nommé historiographe du Roi. Cela va lui permettre de monter rapidement dans sa carrière.

Il écrit peu de pièces, la majeure partie d’entre elles sont des pièces d’inspiration antique, comme Phèdre, Andromaque, Bérénice, Iphigénie.

Racine commence au moment où Corneille finit la carrière.
Il finira sa vie de façon très chrétienne, se mariera.

Présentation de l’œuvre

Britannicus est l’héritier du trône impérial et il en est dépossédé par Agrippine, la mère de Néron au profit de ce dernier. C’est le conflit entre un fils et sa mère, avide d’un pouvoir absolu. C’est un engrenage de violence, l’histoire d’un monstre naissant.

Situation : Néron et Britannicus sont rivaux en amour et en politique. Junie et Britannicus s’aiment et sont observés par Néron. Junie doit repousser Britannicus pour le sauver.

Projet d’étude

Le procédé du témoin caché semble indigne d’une tragédie qui est un genre noble. Etude du fonctionnement et des fonctions pour comprendre pourquoi Racine utilise ce procédé. Il y aura aussi l’enjeu politique et amoureux de la scène.

I. Le fonctionnement

A. Mise en place et indications du dispositif scénique

Didascalies internes (scène 4) : « Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance, ces murs mêmes Seigneur, peuvent avoir des yeux, et jamais l’empereur n’est absent de ces lieux ».

Néron est présent : Junie à destination de Britannicus.
Néron est le plus grand (éloge à la destination de Néron).
C’est une figure inquiétante à destination du public.

Néron est machiavélique et omniscient.
Le dispositif repose sur la double énonciation typique au théâtre.
Le message de Junie est à la fois destiné aux spectateurs et en même temps nous rappelle la situation.
La parole de Junie est contrainte.

La distribution de la parole : Britannicus entame le dialogue, il pose beaucoup de questions et fait de longues répliques. Junie esquive ses questions, elle parle peu, elle lui coupe la parole et l’empêche de parler, ce qui montre bien que Néron est caché.

Ignorance de Britannicus : « entretien si doux », « parlez, nous sommes seuls ». On peut parler d’erreur tragique : « ennemi trompé ».

B. L’évolution de la scène (l’enchaînement des répliques et les figures textuelles)

On note l’empressement de Britannicus et le silence de Junie : « vous ne me dîtes rien ».
Il y a bouclage sur l’idée d’absence mais pas sur l’amour. Il lui reproche sa froideur, sa réserve. Il lui rappelle leur entente passée. Il la rassure. Il interprète le non bouclage et le silence de Junie. Il se trahit.
Elle l’interrompt, son but est d’arrêter les révélations.
Elle l’interrompt, le contredit, elle ment avec insistance (noté par les hyperboles).
? La répétition de « vous » : « vous même », « vous », « mille fois », « toujours »… et le fait qu’elle lui trouve une excuse, montrent la douleur.

Elle aggrave le malentendu par l’éloge de Néron.
Britannicus commente, juge les propos de Junie. Il demande une explication (questions posées et « éclaircissez »).
Il la somme de s’exprimer, ce qui se note par les impératifs.
On peut comprendre que Britannicus se trompe car ce nouveau comportement de Junie coïncide avec cette nouvelle situation.
Puis silence de Junie qui met fin au dialogue (esquive).
Junie ne doit pas laisser parler Britannicus. Il faut qu’elle l’arrête soit par une parole froide, ou suppliante.
La parole de Junie obtient le contraire de ce qui était recherché. Junie ne peut exprimer ses sentiments ni élucider la situation. Junie souffre, elle est déçue, désespérée.
Britannicus est perdu, il se trompe sur tout. Croyant que Junie est infidèle, il ressent de la trahison.

Transition : Nous avons ici un malentendu total, la communication échoue, il y a absence de communication, et la parole fait l’action. Le dispositif scénique empêche la communication. Le champ lexical de la parole est très abondant ce qui montre bien que c’est la parole qui fait l’action.
Champ lexical de la vue : elle refuse de répondre à Britannicus par le regard également. Le dispositif scénique mis en place empêche la parole. On aboutit à un véritable mécanisme tragique : plus on parle, plus on se sépare. Le malentendu s’aggrave.

II. Les fonctions du dispositif scénique

A. Les enjeux de la scène

Pour Britannicus : retrouver, goûter un moment de bonheur.
Pour Junie : sauver Britannicus, le repousser sans le faire souffrir.
Pour Néron : séparer les amants, détruire son rival.

B. L’enjeu est à la fois politique et amoureux

Pour Britannicus : il passe du bonheur des retrouvailles à la souffrance du soupçon de la séparation : renversement tragique.
Au lieu d’une scène de retrouvailles Britannicus vit une scène de dépit amoureux : la première et la dernière tirade s’opposent : « quel bonheur me rapproche de vous ? ». Cette première tirade repose sur la certitude d’un amour partagé.
Britannicus s’exprime par des expressions précieuses : métaphores, hyperboles, métonymies.
Première tirade : registre lyrique et de tonalités différentes.
Seconde tirade : termes à condition négative. Cette tirade repose sur des contradictions, des oppositions (« louer »/ »ennemi »).
Nombreuses interrogations véritables, incompréhension, désarroi.
Junie est consciente de faire souffrir Britannicus, et elle en souffre également, sans pouvoir le dire. Elle est aussi consciente que Britannicus se dévoile sans pouvoir l’empêcher tout à fait.
? Non dit tout aussi efficace, on n’a pas besoin d’entendre Junie se plaindre. On comprend l’intensité de sa douleur.
Dans ce dispositif scénique, la parole fonctionne comme une révélation : Britannicus révèle qu’ils s’aimaient, il se déclare, il révèle le complot, il révèle ses intentions de récupérer le trône. Il se dévoile à celui qui devait tout ignorer, Néron.
A partir de cette scène, Néron détient un savoir nécessaire au maintien de son pouvoir. C’est l’échec de Junie et Britannicus, seul Néron atteint son but.

C. Pour le spectateur

Efficacité dramatique du dispositif scénique du témoin caché, le spectateur et dans une position qui lui permet de savoir la présence de Néron.
Il va avoir de la pitié pour les personnages, et de l’horreur pour Néron. Il peut donc comprendre l’erreur tragique de Britannicus, la souffrance des deux personnages, et la jubilation de Néron.

Conclusion

Racine utilise le dispositif du témoin caché pour plonger ses personnages dans une situation tragique.
L’intensité dramatique naît d’un malentendu qui sépare les amants et de l’écart entre ce que sait le spectateur et ce que savent les personnages.
Le spectateur comprend même ce qui n’est pas dit, les conséquences du piège. Il appréhende toute la perversité de l’utilisation brutale de son pouvoir par le tyran jaloux.

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