Corneille, Le Cid, Acte I, Scène 6, Le Stances du Cid
Introduction
Ce monologue est extrait du Cid de Corneille. Le héros, Rodrigue est le fil de Dom Diègue ; il aime et doit épouser Chimène, fille de Dom Gormas. Malheureusement, il vient d’apprendre que ce dernier a gravement outragé Dom Diègue, trop âgé pour venger son honneur par un duel. Il vient donc de charger son fils de laver cet affront. Le héros est ainsi mis face à un dilemme tragique : sauver son honneur en tuant Dom Diègue mais perdre alors Chimène ou préserver son amour en renonçant au duel mais alors perdre son honneur. Pour expliquer ce monologue, notre problématique sera la suivante : la délibération menée par le héros nuit-elle au cours de l’action théâtrale ? Afin d’y répondre, nous dégagerons les trois étapes du conflit intérieur, puis de la tentation de la fuite dans le suicide et enfin la prise de décision délibératrice.
I. Le conflit intérieur (v.1 à 30).
Rodrigue est en plein conflit : monologue à tonalité lyrique avec modification du système des rimes et du mètre ; le spectateur entend un long poème par lequel le héros chante sa douleur.
Il y a également des répétitions : « Ô Dieu l’étrange peine » à chaque strophe ainsi que Chimène, dernier mot de chaque paragraphe.
On peut y apercevoir le champ lexical de l’amour au vers 7, 12, 13, 15, 21 et 35.
Il y a de nombreux superlatifs soulignant l’intensité de la douleur au vers 5-6, 17 et 23. Le héros est prostré et incapable d’agir : « Je demeure immobile » (v.5). L’alternative tragique qui s’impose à lui est maintes fois reformulée, ce qui traduit l’impasse dans laquelle Rodrigue est emprisonné : v. 7, 13, 15, 19-20, 24.
Il y a des antithèses telles que juste / injuste ; punir / impuni ; offensé / offenseur, mais également des parallélismes : l’un / l’autre aux vers 14, 24, 34-35, 35-36, des oxymores : aimable tyrannie ou cruel espoir, des phrases interrogatives telles que v.19-20 ou 29-30.
La stance suivante commence par une expression (il vaut mieux) qui indique que Rodrigue a pris une décision, laquelle ?
II. La tentation de la fuite dans le suicide (v.31 à 46).
Il choisit le suicide car il est incapable de choisir entre son père et Chimène : « Je dois à ma maîtresse aussi bien qu’à mon père » (v.32).
Mais un héros tragique ne peut agir ainsi ; de plus la religion chrétienne interdit le suicide et un tel dénouement est donc exclu. Les infinitifs délibératifs de la stance suivante indique que Rodrigue reconsidère sa décision en s’affirmant davantage (ma répété).
Il est désormais proche du seul choix compatible avec son double statut de noble et de héros.
III. La prise de décision libératrice (v.47 à 60).
Désormais, Rodrigue est capable de faire passer son père avant sa maîtresse ; il exprime non plus sous la forme interrogative mais injonctive ; le premier mot de la dernière stance est éloquent : oui ; Rodrigue accepte ce qu’il refusait : il fait le choix que son père et le public attendent de lui et mérite ainsi l’admiration et de la pitié, ce qui est le propre du héros tragique.
Conclusion
L’indécision du héros avait arrêté l’action ; le temps qu’il a pris pour exprimer sa souffrance et sa faiblesse le rendent plus humain aux yeux des spectateurs. Par ailleurs, ce temps de réflexion lui a permis de se décider, ce qui est le propre d’une délibération : l’action tragique est donc relancée.