Molière, Dom Juan, Acte IV, Scène 3, Monsieur Dimanche (Commentaire 2)
Introduction
Jean-Baptiste Poquelin est un dramaturge français du XVIIème siècle. En 1644, il prend le surnom de « Molière ». Écrite en riposte de l’interdiction de Tartuffe en 1664, la pièce « Dom Juan » est jouée pour la première fois en 1665. Cette pièce remporte un grand succès mais elle est censurée pour athéisme et hypocrisie.
L ‘extrait que nous étudions est « tiré » de la scène 3 de l’Acte IV. Dans cette scène, Dom Juan est chez lui, il souhaite se mettre à table lorsqu’on lui annonce l’arrivée de M. Dimanche, son créancier. Dom Juan, en l’invitant à s’asseoir et en prenant des nouvelles de sa famille, cherche à le réduire au silence. En l’interrompant sans cesse et en le flattant, Dom Juan montre sa supériorité et ridiculise le pauvre marchand qui ressort sans un sou et sans même avoir pu formuler sa demande. Cette scène relève donc du comique.
Comment, à travers cet extrait comique, Dom Juan détourne-t-il à son profit la visite de son créancier ? Nous verrons dans un premier temps l’arrivée de M. Dimanche, puis la stratégie de Dom Juan, enfin nous terminerons par le comique selon Dom Juan et son valet.
I. L’arrivée de M. Dimanche
Dom Juan est un incorrigible libertin, qui n’honore pas ses dettes ; nous allons voir de quelle manière se déroule l’entrevue avec M. Dimanche.
Le créancier, qui attend déjà depuis trois quarts d’heures, est fort bien accueilli par Dom Juan, son débiteur. La didascalie de la première tirade de Dom Juan nous fait part une fois de plus de l’hypocrisie dont il fait usage : « Dom Juan faisant de grandes civilités », il sait tromper les personnes avec facilité. L’interjection « Ah ! Monsieur Dimanche » nous le confirme, c’est la conduite d’un personnage impatient qui est présentée dans cette scène. Il lui fait de grandes politesses en utilisant l’hyperbole : « je suis ravi de vous voir » et va même jusqu’à donner la faute à ses laquais de ne pas avoir fait rentrer son créancier « d’abord », en feignant de réprimander ses domestiques pour donner plus d’importance à M. Dimanche : « Coquins, je vous apprendrai à laisser M. Dimanche dans une antichambre », « je veux de mal à mes gens de ne pas vous faire entrer ».
Après avoir joué l’hypocrite auprès de M. Dimanche, Dom Juan va traiter son créancier comme s’il était son égal.
Dom Juan met en avant sa relation avec son créancier en utilisant l’hyperbole : » au meilleur de mes amis », afin que le créancier se sente plus à son aise ; il le considère comme son ami : « cet ordre n’est pas pour vous », « trouver jamais de porte fermée chez moi ». Il le reçoit dans les meilleures conditions qui soient : « ôtez ce pliant, et apportez un fauteuil », il ne souhaite pas « mettre de différence » entre lui et le visiteur. L’expression « je ne veux point que l’on mette de différence entre nous deux » est une antiphrase mais aussi une hyperbole qui montre une transgression de l’ordre social faite par Dom Juan. Face à une telle mise en scène de la part de son débiteur, M. Dimanche, gêné, ne sait que dire, et répond avec politesse : « Monsieur je vous suis fort obligé », « j’étais venu… ». Sa phrase n’est pas terminée lorsque Dom Juan l’interrompt. Le créancier ne peut réellement dire l’objet de sa visite, bien que Dom Juan ne se doute pas qu’il s’agisse d’une simple visite de courtoisie. Dom Juan contrôle donc la situation, mais quelle est vraiment sa stratégie pour déstabiliser M. Dimanche ?
II. La stratégie de Dom Juan
Le comportement de Dom Juan face à M. Dimanche repose sur sa tactique personnelle, celle de la flatterie. Dom Juan reconnaît sa dette mais il cherche à réduire au silence son visiteur. Il fait semblant de traiter M. Dimanche comme s’il était son égal afin de le troubler. A peine le créancier se trouve-t-il face à Dom Juan, que ce dernier ordonne d’apporter « un siège pour M. Dimanche ». Les verbes à l’impératif : « approchez », « asseyez-vous », « mettez-vous là » montrent un personnage dont les ordres se réalisent promptement : « je fais ce que vous voulez ». Une fois assis, M. Dimanche se trouve ainsi dominé par Dom Juan qui cherche à intimider son visiteur. Dom Juan exprime par l’interjection « Parbleu » l’intérêt qu’il porte à son hôte : « vous vous portez bien ». Il lui fait l’éloge de sa santé : « vous avez un fond de santé admirable, des lèvres fraîches, un teint vermeil, et des yeux vifs ». Le fait de parler de sa santé est déplacé, il prend plaisir à se moquer de plus faible que lui. Du début à la fin, Dom Juan ne laisse pas la parole à son créancier, et enchaîne une série de questions : « Comment se porte Madame Dimanche, votre épouse ? », « votre petite fille Claudine, comment se porte-t-elle ? », « et votre petit chien Brusquet ? ». La récurrence de l’adjectif « petit » : « petite fille », « petit Colin » ainsi que la phrase exclamative : « la jolie petite fille que c’est » montre l’intérêt et l’affection que leur témoigne Dom Juan, mais aussi les conditions sociales inférieures de la famille du créancier.
La flatterie et la succession de questions permettent à Dom Juan de manipuler son créancier, qui ne sait plus quoi répondre et qui en oublie presque le motif de sa venue. Tout ceci est le fruit d’une tactique mûrement réfléchie qui semble fonctionner.
Effectivement, M. Dimanche est très mal à l’aise puisqu’il ne peut dire à aucun moment la raison de sa venue, il est victime de l’insolence de Dom Juan. Il est complètement déstabilisé mais il reste poli, car il doit le respect à un noble : il y a une répétition du mois « Monsieur » vingt-quatre fois dans les tirades de M. Dimanche s’adressant à son débiteur. Il est sincère, contrairement à Dom Juan, il pré-répond à toutes ses questions : « Fort bien, Monsieur », « Elle est votre servante, Monsieur », « Plus que jamais, Monsieur ». Le créancier est blessé par le fait que Dom Juan l’invite à s’asseoir sur un fauteuil, il a conscience de sa classe sociale. Il exprime malgré tout sa soumission : « serviteur », « servante ». De plus, le créancier a du mal à formuler une phrase, il ne les finit jamais entièrement : « je viens pour… », « je voudrais bien… », sans que Dom Juan l’interrompe systématiquement en lui posant une autre question ou même juste pour le flatter. Mais M. Dimanche a conscience qu’on le manipule : « Monsieur, vous vous moquez », « Monsieur, je fais ce que vous voulez ».
Après avoir été humilié, M. Dimanche va subir l’hypocrisie de Dom Juan.
Nous avons ici un véritable rapport de force fait par Dom Juan : il mène le dialogue, il coupe sans arrêt la parole, pose des questions, décide des sujets de conversation, et manipule M. Dimanche physiquement : « asseyez-vous », « mettez-vous là ». L’impératif est plutôt destiné aux domestiques, c’est encore une humiliation que subit le créancier. Dom Juan va même lui proposer de souper avec lui, et M. Dimanche trouve le prétexte idéal pour repartir : « il faut que je m’en retourne tout à l’heure ». Lorsque Dom Juan se lève, il est immédiatement suivi par M. Dimanche, comme l’indique la didascalie « se levant de même ». Ce dernier lui répond également « Monsieur, il n’est pas nécessaire, je m’en irai bien tout seul », ce qui montre que Dom Juan a triomphé, il a neutralisé son adversaire.
III. Le comique selon Dom Juan et son valet
Après la victoire de Dom Juan, nous allons voir comment l’effet comique est mis en avant dans cette tirade.
La scène est construite sur le mode comique du souper retardé. M. Dimanche dérange le repas de Dom Juan qui comptait se mettre à table : « qu’on me fasse souper le plus tôt que l’on pourra ». Le commencement de la scène est marqué par l’interjection « Ah ! », répétée plus loin par Dom Juan. Ceci marque l’expression de la joie du débiteur, mais nous savons que ce n’est pas vraiment le cas. L’effet comique ressort dans cette tirade : nous avons dans un premier temps, un comique de situation. Le créancier qui vient réclamer ce qu’on lui doit, arrive à peine à en aborder le sujet auprès du débiteur, et repart sans un sou. Il y a également un comique de situation dû à l’histoire du fauteuil. Puis le comique de mots : le fait que Dom Juan interrompe sans cesse son invité pour des motifs quelconques, comme pour le fauteuil : « je ne vous écoute point si vous n’êtes pas assis », ou des questions sur sa famille : « comment se porte Madame Dimanche ? ». Cela renforce l’aspect de ce type de comique, de plus en plus mis en avant. Dans cette scène aussi, il faut rappeler que M. Dimanche a le pouvoir sur l’argent, et il devrait en être de même sur Dom Juan. Or, le créancier se laisse dominer par les ruses de son débiteur. C’est donc ici un comique de caractère dû à son comportement.
Après avoir analysé le comique par Dom Juan, nous allons voir comment intervient l’effet comique avec son valet.
Sganarelle agit également dans la deuxième partie, selon un comique de geste, que l’on perçoit jusqu’à la fin grâce aux didascalies : « Sganarelle ôte les sièges promptement ». La scène prend alors une autre tournure, qui reste néanmoins comique. Le pauvre Monsieur Dimanche va se retrouver expulsé sans l’argent qu’on lui doit.
Conclusion
Dans cette scène, trois catégories sociales sont représentées : la noblesse, la bourgeoisie, et la domesticité ; pour chacune l’argent est la valeur suprême. L’extrait étudié nous montre le plaisir sadique de Dom Juan à humilier plus faible que lui, et lui donne également l’occasion de réaffirmer sa supériorité et son goût du défi. Les rôles s’inversent, Dom Juan, le débiteur, qui devrait être mal à l’aise, va renvoyer son créancier M. Dimanche. Les interruptions systématiques de Dom Juan renforcent l’effet comique présent tout au long de la scène. Le refus de payer ses dettes montre une autre caractéristique du libertin : il refuse tout engagement, tout devoir. Dans l’acte I scène 2, Dom Juan défend une autre de ses qualités de libertin, qui est l’inconstance et l’infidélité ; et avec une stratégie mûrement réfléchie, il arrive à convaincre Sganarelle du bienfondé de sa thèse.