Alfred de Musset

Musset, Lorenzaccio, Acte IV, Scène 9

Texte étudié

Entre LORENZO. Je lui dirai que c’est un motif de pudeur, et j’emporterai la lumière ; cela se fait tous les jours ; une nouvelle mariée, par exemple, exige cela de son mari pour entrer dans la chambre nuptiale ; et Catherine passe pour très vertueuse. Pauvre fille ! qui l’est sous le soleil, si elle ne l’est pas ! Que ma mère mourût de tout cela, voilà ce qui pourrait arriver. Ainsi donc, voilà qui est fait. Patience ! une heure est une heure, et l’horloge vient de sonner ; si vous y tenez cependant ! Mais non, pourquoi ? Emporte le flambeau si tu veux ; la première fois qu’une femme se donne, cela est tout simple. Entrez donc, chauffez-vous donc un peu. Oh ! mon Dieu, oui, pur caprice de jeune fille ; et quel motif de croire à ce meurtre ? Cela pourra les étonner, même Philippe. Te voilà, toi, face livide ? (La lune parait.) Si les républicains étaient des hommes, quelle révolution demain dans la ville ! Mais Pierre est un ambitieux ; les Ruccellaï seuls valent quelque chose. Ah ! les mots, les mots, les éternelles paroles ! s’il y a quelqu’un là-haut, il doit bien rire de nous tous ; cela est très comique, très comique, vraiment. O bavardage humain ! ô grand tueur de corps morts ! grand défonceur de portes ouvertes ! ô hommes sans bras ! Non ! non ! je n’emporterai pas la lumière. J’irai droit au cœur ; il se verra tuer… Sang du Christ ! on se mettra demain aux fenêtres. Pourvu qu’il n’ait pas imaginé quelque cuirasse nouvelle, quelque cotte de mailles ! Maudite invention ! Lutter avec Dieu et le diable, ce n’est rien ; mais lutter avec des bouts de ferraille croisés les uns sur les autres par la main sale d’un armurier ! Je passerai le second pour entrer ; il posera son épée, là, ou là, oui, sur le canapé. Quant à l’affaire du baudrier à rouler autour de la garde, cela est aisé ; s’il pouvait lui prendre fantaisie de se coucher, voilà où serait le vrai moyen ; couché, assis, ou debout ? assis plutôt. Je commencerai par sortir ; Scoronconcolo est enfermé dans le cabinet. Alors nous venons, nous venons ; je ne voudrais pourtant pas qu’il tournât le dos. j’irai à lui tout droit. Allons, la paix, la paix ! l’heure va venir. Il faut que j’aille dans quelque cabaret ; je ne m’aperçois pas que je prends du froid, et je boirai une bouteille ; non, je ne veux pas boire. Où diable vais-je donc ? les cabarets sont fermés. Est-elle bonne fille ? Oui, vraiment. En chemise ? Oh ! non, non, je ne le pense pas. Pauvre Catherine ! que ma mère mourût de tout cela, ce serait triste. Et quand je lui aurais dit mon projet, qu’aurais-je pu y faire ? au lieu de la consoler, cela lui aurait fait dire : crime! crime! jusqu’à son dernier soupir ! je ne sais pourquoi je marche, je tombe de lassitude. (Il s’assoit sur un banc.) Pauvre Philippe! une fille belle comme le jour ; Une seule fois, je me suis assis près d’elle sous le marronnier ; ces petites mains blanches, comme cela travaillait ! Que de journées j’ai passées, toi, assis sous les arbres ! Ah ! quelle tranquillité! qui horizon à cafaggiuolo ! Jeannette était jolie, la petite fille du concierge, en faisant sécher sa lessive. Comme elle chassait les chèvres qui venaient marcher sur son linge étendu sur le gazon ! la chèvre blanche revenait toujours avec ses grandes pattes menues. (Une horloge sonne.) Ah ! ah ! il faut que j’aille là-bas. Bonsoir, mignon ; eh ! trinque donc avec Giomo. Bon vin ! cela serait plaisant qu’il lui vînt à l’idée de me dire : Ta chambre est-elle retirée ? Entendra-t-on quelque chose du voisinage ? Cela serait plaisant ; ah ! on y a pourvu. Oui, cela serait drôle qu’il lui vint cette idée. je me trompe d’heure ; ce n’est que la demie. Quelle est donc cette lumière sous le portique de l’église ? On taille, on remue des pierres. Il paraît que ces hommes sont courageux avec les pierres. Comme ils coupent ! comme ils enfoncent ! Ils font un crucifix ; avec quel courage ils le clouent ! je voudrais voir que leur cadavre de marbre les prît tout d’un coup à la gorge. Eh bien ? Eh bien ? Quoi donc ? J’ai des envies de danser qui sont incroyables. je crois, si je m’y laissais aller, que je sauterais comme un moineau sur tous ces gros plâtras et sur toutes ces poutres. Eh, mignon ! eh, mignon ! mettez vos gants neufs, un plus bel habit que cela, tra la la ! faites-vous beau, la mariée est belle. Mais, je vous le dis à l’oreille, prenez garde à son petit couteau. (Il sort en courant.)

Introduction

Marie est désespérée pour sa sœur Catherine et le Duc. Lorenzo prépare la mise en scène du meurtre.

I. La mise en scène

A. Les conditions matérielles

La lumière : ligne 2 : « j’emporterai la lumière ». Il faut qu’Alex soit pris pas surprise mais cela le gêne. C’est pour cela qu’il y revient (lignes 21/22). Il hésite car tuer dans le noir est un acte lâche.

Lignes 22/23 : « J’irai droit au cœur, il se verra tuer ». Il veut qu’Alex réalise qui est son meurtrier. La lumière joue un rôle important, c’est l’élément clef.

La cotte de mailles (lignes 24/25).

L’épée d’Alex qui ne se déplace jamais sans elle. Il faut l’envisager sans que celui-ci ne puisse se défendre (lignes 28 à 30). Une fois qu’Alex aura posé son épée, il enroulera la ceinture autour de l’épée au cas où il l’attraperait.

La meilleure position pour tuer Alex (lignes 30 à 32) et lignes 34/35 : il ne veut pas l’attaquer dans le dos.

Les détails matériels occupent la première partie du monologue et correspondent à la personnalité de Lorenzo (Il ne veut pas le tuer en lâche).

B. Les acteurs

Catherine : Elle est l’appât pour attirer Alex. Elle est présentée presque comme le type de femme vertueuse (lignes 4/5). C’est un jeune fille innocente et le parfait opposé d’Alex. C’est la victime toute désignée.

Lorenzo laisse parler ses sentiments : « pauvre fille! » (ligne 5), « pauvre Catherine » (ligne 40). Il se sent mal à l’aise d’utiliser ainsi sa tante.

Son rôle est passif, elle est l’appât. Relation de ce passage avec l’acte II, scène 4, qui préparait cette scène.

Le Duc :

– quelqu’un de prévisible car Lorenzo le connaît bien.
– Alex ne réfléchit pas tellement : Lorenzo en fait ce qu’il veut.
– un homme qui a l’expérience des femmes (ligne 10).
– Alex attend que Lorenzo lui serve les filles sur un plateau (lignes 39/40), allusion au Don Juan pervers et débauché; C’est comme si le Duc était déjà mort.

Scoroncolo : Il va aider Lorenzo à tuer le Duc (ligne 33). Il interviendra seulement si Lorenzo a besoin d’aide (cf. acte III, scène 1).

Lorenzo :

– Il a le rôle d’entremetteur.
– Il va introduire le Duc dans la chambre.
– Son véritable rôle est de tuer Alex : « petit couteau », allusion au meurtre.

II. Les sentiments de Lorenzo

A. Le passé

Nostalgie d’un passé heureux. Il remonte dans sa mémoire par association d’idées. A partir de l’évocation de Catherine, symbole de la vertu, il va passer à Louise, jeune fille innocente.
Les deux jeunes filles sont associées à la lumière blanche. Évocation de la scène avec Louise sous les marronniers, puis ligne 49, « les arbres ».

blanc, ligne 52, « lessive » et ligne 53.

Lorenzo est stressé, s’ouvre une parenthèse d’un bonheur simple qu’il voudrait retrouver :
ligne 55 : « là-bas » : repère spatial; retourner dans ce monde béni de l’enfance.

B. Le futur

Il se projette dans le futur en pensant aux conséquences de ses actes. Cette projection suscite deux sentiments :

Angoisse car il pense à sa mère : elle pourrait mourir (lignes 6 et 41). C’est une conséquence indirecte. Allusion à l’acte III, scène 4 : Lorenzo est conscient de déchirer le cœur de sa mère.

Lignes 42/44 : même s’il lui avait avoué, il serait passé non plus pour un débauché mais pour un assassin; il était obligé dans tous les cas de la faire souffrir.

Il pense aux conséquences pour les républicains des lignes 14 à 21. Lorenzo est lucide, et l’a dit à Philippe : il sait que les républicains sont lâches même s’ils sont très forts avec les mots. Lorenzo est convaincu que son meurtre ne servira à rien sur le plan politique. Seuls les Ruccellaï sortent du lot mais ils ne peuvent rien faire seuls.

Lorenzo sait que les républicains pensent seulement à satisfaire leurs ambitions : ligne 17, « éternelles paroles »; ligne 20, « bavardage » : les termes sont forts.

C. Le présent

Un monologue sert à un personnage pour qu’il exprime ses sentiments les plus profonds qu’il ne peut dire à personne.

Ici, cela révèle un moment de forte excitation qui amène Lorenzo à parler tout seul. Le monologue révèle un état émotionnel intense. Abondance de la ponctuation, des interjections, … Le temps revient tout le temps : ligne 60, « je me trompe »; ligne 7, « une heure est une heure ». Le temps est révélateur de l’état d’esprit de Lorenzo : il trouve que le temps ne passe pas assez vite.

Ligne 38 : Il a des idées contradictoires. Cela révèle son état d’esprit.

Son état affectif se manifeste pas son état physique : ligne 45, c’est une fatigue morale. Cette lassitude est la lassitude de vivre.

Il va évoquer la mort, lignes 61 à 66. On peut penser que les hommes fabriquent une pierre tombale. Cela représente sa mort et la mort d’Alex.Lignes 55/56 : Giomo est l’écuyer d’Alex. Ce sont des paroles que Lorenzo prête à Alex.

Conclusion

Lorenzo a besoin de s’extérioriser. Grâce à cela, nous avons une étude psychologique du personnage qui se révèle un être sensible. Plus la réalisation du meurtre approche, plus Lorenzo est certain qu’il sera inutile. Ce monologue est nécessaire à l’action puisqu’il en précise tous les détails.

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