Alfred de Musset

Musset, Lorenzaccio, Acte III, Scène 3, La Triade de Lorenzo

Texte étudié

LORENZO. Tu me demandes pourquoi je tue Alexandre ? Veux-tu donc que je m’empoisonne, ou que je saute dans l’Arno ? veux-tu donc que je sois un spectre, et qu’en frappant sur ce squelette (il frappe sa poitrine), il n’en sorte aucun son ? Si je suis l’ombre de moi-même, veux-tu donc que je m’arrache le seul fil qui rattache aujourd’hui mon cœur à quelques fibres de mon cœur d’autrefois ? Songes-tu que ce meurtre, c’est tout ce qui me reste de ma vertu ? Songes-tu que je glisse depuis deux ans sur un mur taillé à pic, et que ce meurtre est le seul brin d’herbe où j’aie pu cramponner mes ongles ? Crois-tu donc que je n’aie plus d’orgueil, parce que je n’ai plus de honte ? et veux-tu que je laisse mourir en silence l’énigme de ma vie ? Oui, cela est certain, si je pouvais revenir à la vertu, si mon apprentissage du vice pouvait s’évanouir, j’épargnerais peut-être ce conducteur de bœufs. Mais j’aime le vin, le jeu et les filles ; comprends-tu cela ? Si tu honores en moi quelque chose, toi qui me parles, c’est mon meurtre que tu honores, peut-être justement parce que tu ne le ferais pas. Voilà assez longtemps, vois-tu, que les républicains me couvrent de boue et d’infamie ; voilà assez longtemps que les oreilles me tintent, et que l’exécration des hommes empoisonne le pain que je mâche ; j’en ai assez de me voir conspué par des lâches sans nom qui m’accablent d’injures pour se dispenser de m’assommer, comme ils le devraient, j’en ai assez d’entendre brailler en plein vent le bavardage humain ; il faut que le monde sache un peu qui je suis et qui il est. Dieu merci, c’est peut-être demain que je tue Alexandre ; dans deux jours j’aurai fini. Ceux qui tournent autour de moi avec des yeux louches, comme autour d’une curiosité monstrueuse apportée d’Amérique, pourront satisfaire leur gosier et vider leur sac à paroles. Que les hommes me comprennent ou non, qu’ils agissent ou n’agissent pas, j’aurai dit aussi ce que j’ai à dire ; je leur ferai tailler leurs plumes si je ne leur fais pas nettoyer leurs piques, et l’humanité gardera sur sa joue le soufflet de mon épée marqué en traits de sang. Qu’ils m’appellent comme ils voudront, Brutus ou Erostrate, il ne me plaît pas qu’ils m’oublient. Ma vie entière est au bout de ma dague, et que la Providence retourne ou non la tête, en m’entendant frapper, je jette la nature humaine à pile ou face sur la tombe d’Alexandre ; dans deux jours les hommes comparaîtront devant le tribunal de ma volonté.

Péripéties

Lorenzo a pris la cote de maille d’Alex. Slaviati a été battu par le frère de Louise. Lorenzo s’entraîne avec son maître d’arme. La mort de Louise.

Introduction

L’acte III nous montre toute la préparation du meurtre. La scène 3 qui occupe la partie centrale de l’acte et de la pièce se déroule dans la rue et montre d’abord l’arrestation de Pierre et Rhomas Strozzi. Arrive alors Lorenzo qui se retrouve avec Philippe et montre son véritable visage : un jeune homme qui a tout sacrifié pour mettre à bien son projet.

Philippe demande à Lorenzo « Pourquoi ce meurtre? ». Nous allons étudier ici les justifications de Lorenzo :

• De la ligne 1 à 16 : Justifications par rapport à lui-même.
• De la ligne 17 à 28 : Justifications par rapport aux autres.

Il répond sous forme de questions oratoires. Il veut interpeler et prendre à parti Philippe. Il veut mettre en relief son impossibilité à ne pas tuer Alex.

I. Face à lui-même

La première question introduit le sujet de la tirade.

Lignes 2/3 : S’il renonçait, il n’aurait qu’à se suicider car il a complètement perdu sa vertu, son âme, la confiance même de sa mère. S’il ne le tuait pas, il n’y aurait pas de justification à son attitude. Il n’a plus le choix.

Il reprend cette idée avec la deuxième question (lignes 3/4).

Même s’il reste vivant, il sera mort pour lui-même.

Justification la plus importante : lignes 5 à 7 : Le fil, c’est le meurtre. Ce meurtre serait la justification de son attitude et permettrait de retrouver ce qu’il était. Le meurtre aura valeur de rédemption.

Lignes 7/8 : Il reprend cette idée.

Lignes 8 à 11 : Le pic représente la descente en enfer, le vice. A force d’être un débauché, le masque lui colle à la peau.

« ongles » : le meurtre est nécessaire et il faut qu’il le fasse très vite, car sinon il aura trop glissé dans le vice. Le meurtre est un acte de salut et non plus un acte politique.

Lignes 11 à 13 : Renoncer au meurtre, c’est ne pas révéler son vrai visage. On a vu à travers Bindo et sa mère que plus personne ne le comprend, n’a confiance en lui. Ce serait donner la clef de son personnage.

Il conclut en donnant l’idée essentielle (vertu différente du vice). Mais il est conscient qu’il aime les formes de débauche qu’il a utilisées.

II. Face aux autres

Tuer Alexandre, c’est aussi rendre ses comptes avec l’opinion publique.

Dans la seconde partie domine le champ lexical de l’injure, de tout ce que Lorenzo entend de lui :

– « boue et d’infamie »;
– « exécration »;
– « conspué »;
– « lâche »;
– « brailler »

Alors que tout ce qu’il fait est pour favoriser le retour de la République. Ceux qu’il cherche à défendre (les républicains) le critiquent. « assez » est répété quatre fois, il en a marre.

Termes hyperboliques : boue, infamie, excrétion, conspué (hué avec l’idée de mépris), accablent d’injures. Ces termes sont synonymes et cette accumulation montre qu’il n’en peut plus, et il doit faire comprendre aux autres quelle est sa véritable identité.

Le meurtre est aussi un acte d’orgueil par rapport aux autres car leur regard lui importe.

Conclusion

Dans cette tirade, on a une vraie définition du héros romantique : être incompris, et qui poursuit un idéal impossible (et inutile ici), être excessif (total vertu ou contraire) qui se voit par l’emploi des termes hyperboliques. L’intérêt de cette tirade est de préciser les mobiles du meurtre qui a perdu sa dimension politique. Elle annonce directement la fin.

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