Voltaire, Candide, Chapitre 2, …prodige
Passage étudié
Du début du chapitre à « … prodige » : L’enrôlement et l’instruction militaire.
Introduction
Dans le premier chapitre, le baron de Thunder-ten-tronckh surprend Candide et Cunégonde derrière un paravent et « chasse Candide du château à grands coups de pied dans le derrière ». C’est le début des aventures mouvementées à travers le monde. Le début du chapitre 2 raconte l’enrôlement et l’instruction militaire de Candide par les Bulgares.
Enjeu : C’est l’occasion pour voltaire de faire la satire de l’armée tout en soulignant la naïveté de Candide qui fait de lui une proie idéale pour les recruteurs.
I. La rencontre avec les recruteurs : un récit vif
Malgré la gravité du sujet, le texte donne une impression de vivacité et d’allégresse qui est due essentiellement à la simplicité et à la brièveté des phrases juxtaposées en général : peu de mots de liaison, peu de phrases subordonnées.
Ligne 1 : La mention du « paradis terrestre » correspond à une parodie de la Genèse (Cela rappelle en effet le départ d’Adam et Eve). Candide ne sait pas où aller : c’est l’errance d’un personnage dépossédé de ses rêves.
Lignes 2 à 8 :
La succession des gestes de Candide rendue par l’alternance des verbes à forme personnelle et des participes passés en opposition permet à Voltaire de traduire en quelques lignes :
L’écoulement du temps : « longtemps » (ligne 1) et « le lendemain » (ligne 5).
– La fatigue progressive de Candide : « marche » puis « se traîna ».
– L’état d’âme de Candide : « pleurant », « levant les yeux au ciel ».
Une seule notation pour exprimer les circonstances extérieures : « La neige tombait à gros flocons ». Le paysage est bien en accord avec l’état d’âme du jeune homme.
La cause de la tristesse de Candide est suggérée à la ligne 3 : « Le plus beau des châteaux qui renfermait la plus belle des baronnettes ». L’emploi des superlatifs fait partie du conte. Ici, le terme « baronnette » est un diminutif affectueux.
Le nom de la ville où arrive Candide est menaçant par ses sonorités agressives.
Lignes 9 et 10 : Rencontre avec les recruteurs (Notons que l’uniforme bleu était celui des recruteurs prussiens). Ils recrutaient en fonction de la taille, ce qui explique la remarque : « taille requise ».
Ligne 11 : Le terme « très civilement » est ironique. C’est jugé à travers le regard de Candide.
Lignes 12 et 13 : Première réponse naïve et courtoise de Candide : « modestie charmante ».
II. L’enrôlement proprement dit : dialogue où se fait voir la naïveté du héros
On assiste à un dialogue comme dans une véritable pièce de théâtre.
Lignes 14 à 16 : « Ah » marque la déférence feinte naturellement. Rapprochement absurde entre le mérite et la taille. Brutalité de la question sur sa taille en opposition avec la déférence du début.
Ligne 16 : Candide fait la révérence comme s’il était dans un salon avec des gentilshommes.
Lignes 17 à 20 : Surenchère de courtoisie de la part des recruteurs. Ils justifient leur générosité au nom de la charité chrétienne (lignes 19 et 20) pour rassurer Candide. Ils veulent passer pour de bons chrétiens pour enrôler le jeune homme.
Lignes 20 à 22 : Candide acquiesce naïvement et il est incapable d’oublier son monde intérieur et celui du château. « Monsieur Panglos » est la marque du respect de son précepteur. Reprise mécanique et absurde de la doctrine qu’on lui a inculquée.
Lignes 22 et 23 : Récurrence de « on . Les deux premiers « on » signifient les recruteurs et le dernier inclut Candide. La juxtaposition de phrases montre l’inadaptation du héros à la situation.
Lignes 23 à 26 : Quiproquo entre Cunégonde et le roi des Bulgares. En entendant le mot « aimer », Candide pense à Cunégonde. Les termes « aimer » et « tendrement » sont déplacés dans le contexte. Hypocrisie des recruteurs.
Ligne 27 : Réponse de Candide honnête et pleine de bon sens (pour la première fois).
Lignes 27 et 28 : On n’hésitait pas à enivrer les recrues pour les enrôler de force. Emploi de l’hyperbole « le plus charmant des hommes » pour convaincre.
Ligne 29 : Le naïf est pris au piège, ce qui est souligné par le terme « Et » en tête de phrase.
Lignes 29 à 31 : Il y a un changement de ton :
Emploi de « on » (Candide dit « on »).
Sécheresse des phrases : « C’en est assez », au lieu de l’exquise politesse du début.
Sorte de justification par la double progression ascendante (de « l’appui » du « héros », de la « fortune » à la « gloire »).
Dans ce dialogue, l’hypocrisie et la naïveté se rencontrent.
III. L’instruction militaire de Candide
Brièveté du récit qui souligne l’aspect systématique et insoutenable du procédé.
Lignes 31 et 32 : La précision « sur le champ » souligne la correspondance absurde entre le glorieux avenir envisagé dans la phrase précédente et l’action de lui mettre « les fers aux pieds » (On traite le futur héros comme un prisonnier).
Lignes 32 à 34 : L’instruction militaire elle-même est rapidement menée : accumulation d’infinitifs, construits en asyndète (sans mot de liaison), qui dépendent tous du terme « on le fait ». On a l’impression d’une parfaite mécanique (Allusion à la formation des grenadiers du Roi de Prusse).
Causalité absurde : Rien ne justifie la fin de la phrase : « on lui donne 30 coups de bâton ». Le « et » souligne cette causalité.
Lignes 34 à 37 : Le fait d’améliorer la rapidité semble inhabituel (« comme un prodige »). Reprise ensuite de l’idée de causalité saugrenue avec la nouvelle utilisation de « et », qui souligne que les soldats sont roués de coups sans cesse et sans raison apparente.
Conclusion
En lisant ce texte, le lecteur est entraîné par un rythme vif. On a souvent envie de rire car Voltaire adapte dans ce chapitre une attitude humoristique qui consiste à présenter la réalité scandaleuse comme une chose naturelle et simplement curieuse. Mais en même temps, nous sommes scandalisés par l’épouvantable engrenage dans lequel est pris Candide, ce qui révolte notre sensibilité et notre raison. Voltaire ne démontre pas, il montre : les faits sont suffisamment monstrueux pour que le lecteur puisse prendre conscience de l’horreur.