Voltaire

Voltaire, Candide, Chapitre 20, Début du chapitre,[Début]… je ne le connais pas

Introduction

La rencontre avec le nègre de Surinam, victime des cruautés de son maître, met brutalement fin à l’exaltation de Candide, parti de l’Eldorado avec un rêve de puissance et de bonheur. M. Venderdendur achève de le désespérer, en le dépouillant de ses richesses. Le jeune homme décide néanmoins de s’embarquer pour l’Europe, où il attendra Cacambo chargé de racheter Cunégonde qui est devenue la maîtresse du gouverneur de Buenos Aires. Auparavant, il cherche quelqu’un pour lui tenir compagnie pendant la traversée ; il choisit finalement un savant pauvre et persécuté du nom de Martin à qui il paie le voyage. Pour passer le temps sur le bateau, ils entament une discussion sur le problème du mal.

Enjeu : A partir du thème du mal et de la misère de la condition humaine, il est intéressant d’analyser l’attitude de Candide face à ce nouveau personnage.

I. Le thème du mal

Le mal est l’un des thèmes fondamentaux du roman. On peut le définir comme ce qui cause à l’homme de la douleur et du malheur, mais le problème qu’il pose est celui de son existence.
Candide en distingue deux sortes : le « mal moral » et le « mal physique » : le premier concerne l’imperfection du monde qui nous entoure, et le second est lié aux défauts de l’homme, à sa perversité.

Martin donne sa position à ce sujet dans un long discours entouré par deux courts dialogues avec Candide. Il se situe par rapport à des courants de pensée aujourd’hui oubliés, mais qui se sont querellés pendant des siècles. Il refuse d’être appelé socinien, doctrine de Socin, mais se prétend « manichéen », partisan de Manès, chef d’une secte chrétienne du 3ème siècle, qui explique l’univers par la lutte des deux principaux antagonistes : le Bien et le Mal. L’adjectif « manichéen » dans la bouche de Martin devient synonyme de « pessimisme », car pour lui, le principe qui régit tout est le Mal. Ce n’est pas Dieu qui gouverne le monde mais le « diable » ou « quelque être malfaisant ».
Le savant prend au pied de la lettre la réflexion de Candide : « il faut que vous ayez le diable au corps ».
Dans l’infini de l’univers, notre monde lui paraît peu de choses : ce n’est pas un « globe », mais un « globule », le suffixe « ule » ayant une valeur de dénigrement.
Aucune providence ne le régit : « Dieu l’a abandonné ». La seule exception néanmoins qui confirme la règle est l’Eldorado : « J’en excepte toujours l’Eldorado ». Cette réserve est capitale car Candide aura au moins une référence qui échappe aux idées du savant.

II. Les misères de la condition humaine

Pour illustrer son pessimisme, Martin dresse un tableau désolant de la condition humaine. Dans un premier temps, il fait un long catalogue de ce qu’il appelle « les misères publiques », qu’il envisage sous les trois principaux types de rapport entre les individus : celui des « villes », celui des « familles », et enfin celui des « faibles » et des « puissants ». Un seul sentiment anime ces relations : la haine qui s’exprime le plus fréquemment par la guerre. L’idée de la guerre réapparaît avec l’image de la « ville assiégée … de fléaux » qui traduit chez Martin une obsession du Mal. Il ne s’étend pas sur les malheurs de la vie privée qu’il appelle « chagrins secrets » car il les juge pires encore ; cette réticence est une façon d’en accroître la gravité.

Rien n’échappe donc au mal : les hommes sont méchants, la vie est un malheur. Ces idées constituent un antidote à l’optimisme et font de Martin un anti-Panglos. L’opposition apparaît dans un « tout va mal » qui remplace le « tout va bien », mais aussi dans la démarche intellectuelle. Tandis que Panglos plaque sur le monde un système à priori dont les idées précèdent la vérification par l’expérience, Martin adopte la démarche inverse pour arriver à une conclusion radicalement opposée. Son personnage va pourtant trop loin et tombe dans le même défaut que Panglos en donnant à son pessimisme un caractère aussi excessif et absolu que l’optimisme.

Enfin, l’emploi fréquent de la proposition consécutive décrit l’intensité de l’amertume et de la rancœur du savant. Les subjonctif « désirât » et « voulût » confèrent aux propositions relatives la même valeur consécutive.

Le discours de Martin est cependant séduisant, et l’on peut se demander, en se référant au début du roman, s’il n’est pas de nature à convaincre Candide.

III. L’attitude de Candide face au pessimisme de Martin

On peut dire en effet que le discours de Martin résume en quelques lignes toutes les horreurs dont Candide a été le témoin ou la victime depuis le début du roman. Voltaire ne manque jamais une occasion de dénoncer la guerre et il communique à son personnage sa propre indignation. Pour en montrer le caractère scandaleux, il a recours à l’oxymore : « assassins enrégimenté « , « exerce le meurtre et le brigandage avec discipline pour gagner son pain ».

Après tous ses malheurs que Martin lui rappelle, Candide devrait logiquement devenir « manichéen ». Mais ses nombreuses expériences, ajoutées au séjour à Eldorado, l’ont conduit à évoluer et à faire face aux problèmes d’une attitude critique.

endant les premiers chapitres du roman, Candide était encore un enfant. Il ne pouvait prévoir toutes les formes que prendrait l’absurdité du mal (comme les malheurs du nègre de Surinam). Il décide alors, après avoir éprouvé une crise décisive où il remet en question son optimisme, d’entreprendre une enquête pour savoir si l’homme est bon ou méchant, et si le bonheur humain est possible. Ce changement capital marque son entrée dans l’âge adulte : à la passivité de l’enfant, il va opposer la volonté positive de l’homme mûr. Candide commence après l’Eldorado un retour vers l’Europe qui manifeste son désir de devenir lui-même en s’affranchissant de l’autorité de Panglos. Et pour affirmer sa liberté nouvelle, il devient l’ami de Martin, le premier compagnon qu’il ait lui-même choisi. Il cherchait « l’homme le plus à plaindre et le plus mécontent de son sort ». Le choix est au final significatif car, en s’adjoignant un pessimisme radical, dont les idées contredisent l’enseignement de Panglos, Candide montre qu’il veut avoir une opinion sur le problème du Mal qui corrige celle de son maître.

Par son attitude active et critique, Candide montre qu’il veut élaborer une synthèse personnelle en confrontant des points de vue opposés. Il croit à l’existence du bien, tel qu’il a pu l’entrevoir notamment en Eldorado. C’est pourquoi il oppose une restriction, soulignée par l’adverbe « pourtant », à l’attitude obstinément négative de Martin. A force de rencontrer tout et son contraire, Candide en est venu à avoir une vue relative des choses. Le bonheur se situera pour lui entre les positions extrêmes de Panglos et de Martin.

Conclusion

Fonder toute opinion sur les données de l’expérience constitue une des revendications majeures de la philosophie des Lumières.
Voltaire est en effet de ceux qui abordent la vie avec une lucidité scientifique. Tout raisonnement, y compris en philosophie, doit s’appuyer sur les faits et non découler d’une attitude à priori, qui subordonne la réalité à une idée préexistante, comme Dieu ou l’optimisme du « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Mais les conclusions auxquelles aboutit Martin sont abusives ; car, à force de voir le mal partout, il tombe dans le travers de Panglos. En préférant l’esprit critique à l’esprit de système, Candide en revanche devient dans cette page un philosophe des Lumières, qui cherche à dissiper les « ténèbres » entretenues par le fanatisme, qui conduit à un point de vue unilatéral sur le monde.

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