Voltaire

Voltaire, L’Ingénu, Chapitre 6, L’Ingénu possédait… trembler la compagnie

Texte étudié

L’Ingénu possédait une vertu mâle et intrépide, digne de son patron Hercule, dont on lui avait donné le nom à son baptême; il allait l’exercer dans toute son étendue, lorsqu’aux cris perçants de la demoiselle plus discrètement vertueuse accourut le sage abbé de Saint-Yves, avec sa gouvernante, un vieux domestique dévot, et un prêtre de la paroisse. Cette vue modéra le courage de l’assaillant. « Eh mon Dieu! mon cher voisin, lui dit l’abbé, que faites-vous là? — Mon devoir, répliqua le jeune homme; je remplis mes promesses, qui sont sacrées. »
Mademoiselle de Saint-Yves se rajusta en rougissant. On emmena l’Ingénu dans un autre appartement. L’abbé lui remontra l’énormité du procédé. L’Ingénu se défendit sur les privilèges de la loi naturelle, qu’il connaissait parfaitement.
L’abbé voulut prouver que la loi positive devait avoir tout l’avantage, et que sans les conventions faites entre les hommes, la loi de la nature ne serait presque jamais qu’un brigandage naturel. « Il faut, lui disait-il, des notaires, des prêtres, des témoins, des contrats, des dispenses. » L’Ingénu lui répondit par la réflexion que les sauvages ont toujours faite : « Vous êtes donc bien malhonnêtes gens, puisqu’il faut entre vous tant de précautions.»
L’abbé eut de la peine à résoudre cette difficulté. « Il y a, dit il, je l’avoue, beaucoup d’inconstants et de fripons parmi nous; et il y en aurait autant chez les Hurons s’ils étaient rassemblés dans une grande ville; mais aussi il y a des âmes sages, honnêtes, éclairées, et ce sont ces hommes-là qui ont fait les lois. Plus on est homme de bien, plus on doit s’y soumettre : on donne l’exemple aux vicieux qui respectent un frein que la vertu s’est donné elle-même.»
Cette réponse frappa l’Ingénu. On a déjà remarqué qu’il avait l’esprit juste. On l’adoucit par des paroles flatteuses; on lui donna des espérances : ce sont les deux pièges où les hommes des deux hémisphères se prennent ; on lui présenta même Mademoiselle de Saint-Yves, quand elle eut fait sa toilette. Tout se passa avec la plus grande bienséance; mais, malgré cette décence, les yeux étincelants de l’Ingénu Hercule firent toujours baisser ceux de sa maîtresse, et trembler la compagnie.

Introduction

Le Héron s’éprend (chapitre V) de la St-Yves qui n’est autre que sa marraine depuis qu’il s’est baptisé (chapitre IV). Nos héros se promettent mutuellement les vœux du mariage, mais ils vont devoir faire face aux obstacles de la société corrompue et de la religion intolérante.
C’est l’occasion pour Voltaire de faire la satire sociale et religieuse, et de poursuivre la parodie du roman sentimental inspirée par l’Angleterre.

I. La satire sociale et religieuse par l’affrontement de deux thèses : la loi Positive et la loi Naturelle

1. La rhétorique de l’abbé

Se base sur une argumentation absurde : la vertu a des limites, l’inconstance de certains se justifie par le rassemblement des personnes dans une grande ville.

Ridiculisation et valeur péjorative de la loi Naturelle ; éloge de la loi Positive créée par des hommes de bien.

Flatteries et espérances trompeuses de la part de l’abbé pour attirer l’Ingénu dans un piège et essayer de l’empêcher de se marier avec la St-Yves.

Tournures impersonnelles qui représentent l’autorité (il y a , il faut) : abstrait.

2. Le raisonnement du Huron

Étonnement face :

au procédé énorme qu’il faut pour se marier à St-Yves : accentuation par des énumérations, des pluriels, l’abondance des gens et des démarches qui font appel à la société et la religion.

aux arguments avancés par l’abbé sur la théorie de la grande ville et celle de la vertu.

à la nécessité des lois pour être vertueux : plus de conscience humaine.

Raisonnement moral (devoir, promesses sacrées, malhonnêteté) et logique (esprit juste, il faut, donc) fondé sur la réflexion et sur la conscience : c’est la définition de la loi Naturelle (mythe du Bon Sauvage).

II. La Parodie du roman sentimental

1. Héros vertueux confrontés à une société corrompue

Surnom de Hercule : courage, vertu mâle (13ème miracle) et naturel (élan, impulsivité) + veut tenir ses engagements et respecter la loi de l’honneur.
St-Yves est objet de cette scène puisqu’elle accepte successivement les avances du Huron et la collaboration avec l’abbé.

2. Le comique

De situation :

Tentative de mariage entre le Huron et sa marraine.
L’abbé les surprend dans leurs ébats amoureux.

De mots :

Double sens des termes autour du mariage.
Duel entre l’Ingénu et l’abbé.

Rythme général rapide : accumulation et alternance de scènes violentes et calmes.

De satire : Les méthodes et l’argumentation utilisées par l’abbé pour dissuader l’Ingénu de ne pas épouser sa marraine.

Conclusion

Portée philosophique du texte en exposant la loi Naturelle qui est le support des idéaux de Voltaire : Aspiration à la liberté et remplacement de la conscience, de la pensée humaine au centre des idées directives.
Ouverture sur le roman sentimental, qui alimente l’action dans l’histoire.

Du même auteur Voltaire, Candide, Chapitre 2, tout stupéfait... Abares Voltaire, Poème sur le désastre de Lisbonne Voltaire, L'Ingénu, Chapitre 17 Voltaire, L'Ingénu, Incipit Voltaire, Le Monde comme il va, Les lettres Voltaire, Zadig, Chapitre 1, Le Borgne Voltaire, L'Ingénu, Chapitre 7 Voltaire, Le Monde comme il va, Le portrait de Téone Voltaire, L'Ingénu, Chapitre 8_2 Voltaire, Zadig, Chapitre 3, Le chien et le cheval

Tags

Commentaires

0 commentaires à “Voltaire, Zadig, Chapitre 3, Le chien et le cheval”

Commenter cet article