Voltaire, Lettre Philosophique X, Sur le commerce
Passage étudié
Lettre en entier
Introduction
Dans la lettre sur le commerce, Voltaire y développe la thèse selon laquelle la puissance politique d’un état, garante de sa liberté, se conquiert et se maintient grâce à la richesse et au bon fonctionnement de son commerce. La lettre entière est structurée de manière à développer, par des exemples qui ont valeur d’argument, l’idée initiale. Mais elle ne sert pas uniquement à cette démonstration. Voltaire trouve là l’occasion de stigmatiser le dégoût des aristocrates français pour le commerce, considéré comme avilissant. La critique sociale qui transparaît dans la lettre se fait à partir de l’éloge des Anglais.
C’est un texte polémique avec pour orientations : défense et critique. La défense est celle des Anglais et de leur sens commercial, la critique est celle des aristocrates.
I. L’apologie du commerce
Elle domine le texte et se manifeste par l’emploi récurrent de termes et connotations positives et mélioratives. Ces connotations sont indissociables de l’ensemble des relations de cause à effet qui sont mises en relief : commerce est associé aux termes » enrichis « , » libre « , » liberté « , » grandeurs « , » maîtres des mers « , » assez puissante « , » trois extrémités du monde « . L’apologie passe ici par tout un jeu de mise en parallèle et de disproportion entre la pauvreté des ressources initiales ( » petite Ile « , » un peu de … « , » laine grossière « ) et l’expansion de l’influence (domination exercée sur le monde entier, insistance sur la grandeur et sur la richesse des états dominés).
L’emploi d’hyperboles, l’insistance sur la démesure soulignent le caractère apologétique du texte. Les mêmes procédés figurent dans le paragraphe 2 : hyperboles soulignant la rapidité de l’arrivée de l’argent, la somme d’argent, le résultat. De manière générale, le commerce et l’argent sont présentés comme la source impérative, essentielle, de la réussite militaire, du sentiment de fierté nationale, du bonheur.
La chute du texte est particulièrement représentative du point de vue de Voltaire : à l’inefficacité à la fois vaniteuse et soumise des aristocrates français (et allemands) esclaves de la vie de Cour, il oppose l’activité libératrice des marchands. Les derniers mots du texte ( » bonheur du monde « ) rejoignent les théories énoncées dans Le Mondain : le bonheur matériel et la liberté viennent du développement économique, dont personne n’a donc à rougir.
On perçoit ainsi le rôle des illustrations historiques dans le texte : elles font apparaître sous une forme persuasive (fonction expressive et fonction poétique du langage), par tout un jeu de rapprochements et de disproportion, une certaine dramatisation, des images frappantes, des références facilement accessibles parce que contemporaines, un point de vue élogieux.
II. La critique des aristocrates
Ils sont mis en scène dès le paragraphe 2, dans une situation difficile (Prince Eugène, Duc de Savoie) et opposés aux » Marchands Anglais » pourvoyeurs des fonds nécessaires à la poursuite de la guerre. La comparaison implicite souligne la supériorité économique de simples marchands, et la manière dont le pouvoir politique, sans richesses réelles, doit faire appel à eux.
Le rappel, dans le paragraphe 3, du rôle joué par les aristocrates anglais, oriente vers une comparaison entre les Anglais, les Allemands et les Français, au détriment des deux derniers. La critique passe encore ici par l’utilisation d’hyperboles et de connotations défavorables. L’adjectif » monstrueuse » présente l’association commerce / aristocratie comme une anomalie fondamentale selon les Allemands. On peut observer la reprise du mot » orgueil » qui figure déjà à la ligne 23 dans le sens de vanité mais non de fierté légitime. La critique s’exprime par la mise en relief ironique de l’attachement des nobles (Allemands et Français) à leur nom, à leur position ( » homme de … qualité « ), à leurs origines ( » les quartiers de noblesse « ), à leurs activités présentées comme ridicules, inutiles et hypocrites par l’évocation de leur vie à la Cour.
Les quelques lignes qui terminent le texte dressent un portrait rapide et incisif des nobles » en situation auprès du roi » : attachement à l’étiquette (heure précise du lever et du coucher du Roi), soumission à un rituel hypocrite dicté par l’ambition ou la vanité (image de l’esclavage de la ligne 44), apparence présentée comme ridicule et injustifiée ( » Seigneur bien poudré « ). Se trouvent ainsi mis en relief, de manière très dense, en trois paragraphes, l’ensemble des reproches que Voltaire adresse à l’aristocratie, et dont le plus important est le mépris du commerce au nom de valeurs dépassées et inefficaces.
Conclusion
La lettre X donne une illustration de la manière de procéder de Voltaire dans cette œuvre. Sous une forme qui prend des aspects assez diversifiés, comme l’exposé historique, anecdotique, l’argumentation, la narration, il fait apparaître ici un éloge très appuyé du commerce, qui est à ses yeux non seulement un moteur économique mais aussi un facteur de puissance politique, de liberté et de bonheur. L’énumération de ces valeurs souligne des choix caractéristiques de la pensée philosophique du XVIIIème siècle, pensée que l’on retrouve chez Montesquieu et chez les Encyclopédistes. Cet esprit novateur, qui attire l’attention sur une forme de pragmatisme, prend le contre-pied des attitudes et des valeurs d’une aristocratie jugée trop timorée sur le plan de l’activité économique. Une fois de plus, Voltaire fait connaître ses griefs personnels et idéologiques à l’égard d’une caste dont il déplore qu’elle ne prenne pas une part plus efficace et plus active au développement de l’État.