Zola, L’Aurore, J’accuse !
Introduction
J’accuse ! est le titre d’une lettre ouverte écrite en 1898 par Émile Zola, écrivain naturaliste engagé dans la lutte pour réhabiliter l’officier Alfred Dreyfus, injustement condamné par les tribunaux de l’armée française pour traîtrise envers sa patrie. Dans cette lettre adressée au président Félix Faure, Zola dresse surtout un violent réquisitoire contre ceux qui ont dégradé et banni Dreyfus. Il emploie une argumentation implacable au service d’une exigence de vérité…
I. Une argumentation implacable… :
Le célèbre romancier Zola s’adresse au président Félix Faure : JE sujet occupe une place prépondérante (sujet de la majorité des verbes : 26 occurrences !). L’anaphore de « j’accuse » structure tout le texte (10 occurrences, souvent placées en début de paragraphe : 8 § : l.14 à 38) : cette figure permet de dresser une liste/énumération des principaux responsables de la condamnation de Dreyfus et des griefs que leur reproche Zola. Comme l’indique le chapeau en dessous du titre de l’article (sur l’édition originale de L’Aurore), la lettre de Zola s’adresse au premier personnage de la III° République (1870-1940) : Félix Faure. L’apostrophe de la ligne 1 « Monsieur le Président » ainsi que le rappel de sa fonction l.2 « votre présidence » semble disculper Félix Faure d’une éventuelle accusation. Il s’agit en fait d’un habile procédé argumentatif : tout en signalant sa non-responsabilité en tant que président l.2 « je me doute bien », 3-4 « prisonnier de la constitution et de votre entourage », Zola attire cependant son attention sur le jugement de la postérité l.2 « restera pour votre présidence une souillure » et fait appel à sa dignité humaine l.4 « pas moins (concession) un devoir d’homme ».
L’auteur adresse sa requête avec politesse (cf. formule finale l.50) mais aussi fermeté : l.49 le détachement de « J’attends » montre qu’il s’agit d’une requête pressante qui ne saurait souffrir aucun délai. Les repères temporels opposent d’ailleurs un présent propice à la justice l.7 aujourd’hui » (répétition) à un avenir qui ternira la présidence de Faure l.11 « le jour où elle éclate » et l.12 « plus tard ». Tout le texte joue sur cette opposition présent/futur : que ce soit dans le premier § avec les verbes « restera » l.2, « songerez » l.4, « remplirez » l.5, « arrêtera » l.7, « donneront » l.9 ; mais aussi avec l.37-38 avec l’emploi du subjonctif à valeur d’injonction « qu’on ose… » et antiphrastique (qui aurait l’audace d’assigner Zola en justice ?). Le texte s’organise enfin avec une grande logique.
On peut diviser le texte en trois parties : l.1 à 13 la vérité en marche, l.14 à 38 les vrais coupables, l.39 à 50 la justice à tout prix. La structure argumentative est très marquée, avec dès les premiers mots du texte un constat d’évidence par le présentatif « telle ». Dans le passage très long qui précède cet extrait, Zola a en effet fait la démonstration que l’affaire Dreyfus était « l’affaire des bureaux de la guerre ». On relève certains connecteurs logiques qui donnent au texte l’apparence d’une argumentation irrécusable : PUISQUE l.7 (cause), D’UNE PART […] DE L’AUTRE l.8-9 (addition), ENFIN l.35 (marque le terme de la liste des coupables présumés et des chefs d’accusation).
Cette structure logique sert un véritable réquisitoire contre les accusateurs et les juges de l’affaire Dreyfus, que Zola entreprend au nom d’une exigence de vérité.
II. … Au service de la vérité :
La cohérence de l’extrait est essentiellement assurée par l’énumération des « coupables » et de leurs forfaits, menée à la façon d’un réquisitoire dans un procès. Le procureur Zola enchaîne les accusations nominatives l.14, 17, 19, 23, 26, 29. Tantôt il voit dans l’affaire Dreyfus la fourberie des hommes (l.14 « l’ouvrier diabolique », l.16 « néfaste », l.27 « monstrueuse partialité »), tantôt, avec un goût de la satire prononcé, une tare innée ou professionnelle : l.15 « en inconscient, je veux le croire » (antiphrase qui insiste sur la personnalité malsaine de du Paty de Clam), l.17-18 « par faiblesse d’esprit », l.31 « atteints d’une maladie de la vue et du jugement » (ironie qui dénonce des accusés secondaires à la solde de l’armée). Ces défauts initiaux ont entraîné selon Zola une véritable stratégie pour défendre la thèse d’un homme foncièrement malfaisant, du Paty de Clam, et, ce faisant, pour masquer les errements de l’armée : l.17 « complice », l.20 « étouffées », l.21-22 « un but politique et pour sauver l’état-major compromis », l.23 « complices », l.24 « esprit de corps », l.25 « arche sainte, inattaquable », l.26-27 « enquête scélérate », l.30 « rapports mensongers et frauduleux », l.33-34 « égarer l’opinion et couvrir leur faute », l.36 « secrète », l.36-37 « couvert cette illégalité », l.37-38 « acquitter sciemment un coupable ».
Du coup, l’explication de l’acharnement contre Dreyfus semble, en raison même de son évidence, irréfutable : on relève l’antithèse l.1 entre « simple » d’une part, d’autre part « effroyable » et l.2 « souillure ». Les hyperboles employées tout au long de l’article insistent sur la certitude de l’innocence de Dreyfus : Zola provoque l’institution l.39-41 et l48 car il est sûr d’être du côté de la vérité, comme l’attestent les verbes DIRE, RÉPÉTER et NE PAS IGNORER.
De plus, le champ lexical du mensonge, de ce qui doit rester secret, invisible, s’oppose, dans un jeu d’antithèses, à la « lumière » (l.9 et 46 ; l.48 « au grand jour ») et au champ lexical de la vérité : l.1, 6, 10 et 45 (le terme est répété à quatre reprises !), l.7 « nettes », l.45 « justice ». Il emploie également la métaphore filée de l’explosion pour qualifier l’inévitable révélation de l’innocence de Dreyfus : l.11, 12-13, 45 et 47.
En fait, la vérité est personnifiée : elle agit seule (l.6-7 : « la vérité est en marche et rien ne l’arrêtera ») et Zola se présente comme le simple dépositaire de celle-ci et son acte comme une action citoyenne légitime même si elle est extraordinaire (elle est le dernier moyen de sauver Dreyfus) : l.44-45 « un moyen révolutionnaire pour hâter… ».
Il s’engage non contre des individus mais contre les représentants, voire les incarnations du mensonge : l.42-44. Ce combat le dépasse donc et prend des allures épiques de lutte entre les forces du bien et du mal, lutte dont l’enjeu est le bonheur des hommes : l.5 « triomphe », l.8-9 et l.46-47.
Conclusion
Les preuves irréfutables énoncées par un Zola qui se fait justicier de l’humanité entière porteront leurs fruits : Dreyfus sera réhabilité et réintégré dans l’armée en 1906 mais son plus célèbre défenseur mourra en 1902 d’asphyxie dans son appartement parisien, sans que l’on sache si ce décès était d’origine criminelle ou accidentelle.