Antonin Artaud

Artaud, La vision du Théâtre, Dissertation

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Partagez-vous l’analyse d’Antonin Artaud selon laquelle le théâtre, en Occident, serait uniquement un théâtre de la parole ?

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Le théâtre, héritage de l’Antiquité, a été introduit en Europe dès le Moyen-Age et à immédiatement séduit. Son constant renouvellement, l’apparition de nouveaux genres tels que la farce et la tragi-comédie, en ont fait durant son apogée au XVIIème siècle, un art incontournable source de divertissement. En effet lui seul sait rassembler et émouvoir autour d’un même thème toutes les classes sociales sans distinction que ce soit la noblesse, la bourgeoisie ou le peuple. Art noble, la visée classique a fait du théâtre un art de la rhétorique formellement parfait, limitant de ce fait le théâtre à sa partie écrite, comme le dit si bien M. Arthaud (1896-1948) dans Le Théâtre et son double (1938) : « Pour nous, au théâtre, la Parole est tout et il n’y a pas de possibilité en dehors d’elle ». Bien que le théâtre occidental s’attache essentiellement à la seule perfection formelle et fasse du théâtre un théâtre de la Parole, de tout temps, et particulièrement de nos jours, des dramaturges ont voulu exploiter la totalité des possibilités qu’offre le théâtre en mettant l’accent sur la mise en scène indépendamment du texte.
La vision occidentale du théâtre se limite-t-elle à la simple élocution du texte qui exalte la perfection formelle, ou s’étend-t-elle aux multiples possibilités qu’offre la mise en scène de cet art aussi visuel ?
Après nous être intéressés aux caractéristiques qui font du théâtre essentiellement un théâtre de la Parole, nous étudierons la mise en scène, indissociable du théâtre (bien que parfois négligée).

Il est vrai que durant des siècles, particulièrement pendant l’Antiquité et le XVIIème en Europe, le théâtre a été une exaltation de la rhétorique. Il a essentiellement consisté à mettre en avant la parfaite maîtrise de l’art de la parole de l’auteur, le sujet n’étant qu’une occasion.
Ainsi la pièce Phèdre (1677) est un parfait exemple de la recherche de la perfection formelle que visaient tous les dramaturges classiques. Dans cette pièce, Jean Racine se sert d’un sujet classique, le dilemme entre l’amour et la morale, pour étaler tout un éventail de procédés littéraires, comme en témoigne cet extrait de l’acte IV scène 6 (vers 1227 à 1230) :
« Tout ce que j’ai souffert,/ mes craintes, mes transports,
La fureur de mes feux,/ l’horreur de mes remords,
Et d’un cruel refus,/ l’insupportable injure,
N’était qu’un faible essai / du tourment que j’endure. »
Les rime plates et pauvres où s’alternent des rimes féminines et masculines (obligatoire à l’époque), la césure à l’hémistiche, les allitérations (en consonnes dures ici en rouge) ou encore le chiasme durant la tirade de Phèdre : « Ah ! » (vers 1226)… « Et » (vers 1229)… « Hélas » (vers1237)… « Et » (vers 1241)… « Encore » (vers 1242). Tous ces procédés sont autant de preuves du grand savoir faire rhétorique de Racine, alors très recherché à l’époque. Ici le théâtre est donc plus un art rhétorique que scénique (car aucune didascalie).
Dans le même genre, nous trouvons aussi la tragédie Andromaque de Racine. Pendant le dialogue entre Andromaque et sa confidente Céphise, la première expose son dilemme. Ceci est l’occasion pour Racine d’exposer tout un panel de procédés rhétorique. Le chiasme entre les arguments pour ou contre son mariage avec Pyrrhus, les allitérations en « r » durant le récit de la mise à sac de Troie, le registre de langage soutenu… tout témoigne d’une parfaite maîtrise de la langue.
Nous pouvons donc dire que durant la période du classicisme surtout (à laquelle appartient Corneille) la parole domine le théâtre qui n’est plus que l’expression du langage. Les acteurs ne sont pas là pour jouer mais plutôt pour réciter ces chefs-d’œuvre littéraires.

S’il est vrai que la parole a une place primordiale au théâtre il n’en est pas moins que certains dramaturges ont voulu aller plus loin dans l’expression du texte et ne plus se limiter à la simple expression vocale mais s’étendre à l’expression du corps tout entier ainsi qu’à l’ensemble de la scène.

A travers la mise en scène des décors et des personnages, le dramaturge voit s’ouvrir à lui bien plus de possibilités que ce que lui offrait la simple élocution. Ce tournant dans l’histoire du théâtre est marqué par l’apparition des machines de théâtres, permettant des changements de décor spectaculaires.
Étudions ensemble L’Illusion comique (1639) chef d’œuvre de Corneille qui marque l’arrivée de cette nouvelle approche du théâtre et de la mise en scène. Primadant va chez Alcandre, un magicien bienveillant, pour lui demander de l’aider à retrouver son fils Clindor. A partir de l’acte II on voit se mettre en place « un théâtre dans le théâtre » : Alcandre montre à Primadant au fond de sa grotte la vie de son fils. Primadant est stupéfait et tout au long de la pièce, il contemplera la scène où jouent des acteurs jouant la vie de Clindor. Cette illusion montre bien la nouvelle vision du théâtre selon laquelle la mise en parole est avant tout une mise en image, en utilisant la fameuse théorie de la caverne de Platon.
En ce qui concerne L’Aigle à deux têtes (1946), Cocteau met l’accent sur la mise en scène des personnages, le décor étant très sobre et peu changeant. Néanmoins il a son importance, particulièrement à la fin, lorsque, poignardée la Reine s’écroule en haut d’un escalier, son amant Stanislas (poète anarchiste) mourrant en bas de celui-ci, foudroyé par le poison. L’escalier représente alors la différence entre les classes sociales des deux personnages. Pour ce qui est des personnages, Cocteau use et abuse des didascalies : la Reine doit scander ses paroles avec son éventail, se servir de sa cravache comme d’une canne, ou encore accompagner certaines paroles de gestes (« Oh ! Qu’il est têtu ! » elle lui jette sa serviette à la tête) pour rythmer et étayer les paroles des acteurs. La mise en scène est donc primordiale et exprime se que les acteurs ne disent pas.
Pour finir nous pouvons nous intéresser à la pièce de Samuel Beckett (1906-1989) Oh ! Les beaux jours (1963). Dans le début du second acte, il y a un unique personnage sur scène, Winnie. Dans cet acte nous ne pouvons pas réellement parler de théâtre de la parole, les silences étant aussi longs que les répliques. En outre ses propos ne sont pas très cohérents. En effet elle semble parler à son mari Willie, mais elle nous dit « Oh tu dois être mort, oui, sans doute, comme les autres, tu as dû mourir, ou partir, en m’abandonnant, comme les autres, ça ne fait rien, tu es là. » Ces propos reflètent bien la solitude, le drame humain. De plus la mise en scène est importante, le personnage est seul sur scène, enterré jusqu’au cou dans un monticule de sable et encadré par un revolver à droite, un sac et une ombrelle à gauche. Cette mise en scène est destinée à représenter la routine dans laquelle la femme s’est enlisée, immobile, avec pour seul échappatoire la mort. Nous pouvons donc affirmer que, bien que la parole participe au déroulement de la pièce, c’est ici la mise en scène et le jeu de l’actrice qui a le plus d’importance pour exprimer les vérités de l’auteur.
Nous venons de montrer que le théâtre ne se limite pas au seul texte, mais qu’il contient aussi tout ce qui ce déroule sur scène. C’est pourquoi la mise en scène est de plus en plus exploitée dans le théâtre occidental, Beckett en est friand (En attendant Godot, Acte sans Paroles) pour transmettre des valeurs.

Le théâtre n’est pas une récitation stérile, où les mots perdent tous leurs charmes. Cela, les dramaturges de l’Antiquité et du XVIIème l’avaient bien compris, ils ont alors donné, à travers divers procédés rhétoriques et une forme parfait, du pouvoir aux mots. Trop peut-être car n’oublions pas que le spectateur voit autant qu’il entend. La mise en scène des décors et des personnages donne vie au théâtre et crée bien plus d’émotion chez le spectateur que la simple élocution, même si le texte est formellement parfait. La mise en scène est donc indissociable du texte pour créer une pièce de théâtre à part entière.

Néanmoins il serait intéressant d’élargir la question au théâtre du monde entier. En effet pourquoi se limiter au théâtre occidental ? Si cette réflexion constructive sur le théâtre occidental vient de la découvert du théâtre balinais, alors nous aurons tout à gagner à nous pencher sur le théâtre des autres civilisations (Japon, Inde…).

Du même auteur Artaud, Le Théâtre et son double, Extrait

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