La recherche du bonheur est-elle un objectif égoïste ?
Le bonheur est cet idéal de bien-être qui hante les hommes. Il est ce qui anime fondamentalement le désir, et donne le sens d’une vie qui mérite d’être vécue. Le bonheur est souvent vu comme une lumière si éclatante à l’horizon qu’elle aveugle. Elle est ce qui est à saisir absolument, à tout prix, qu’on se demandera si sa recherche est un objectif égoïste. Pourtant, il s’avère qu’on ne peut pas qualifier d’égoïsme ces actes d’engagement, parfois sacrificiels, pour un bonheur de la société voir de l’humanité. Comment le désir du bonheur, a priori si centré sur soi, peut-il contribuer à un bien altruiste ? Pour résoudre ce problème, on va voir dans une première partie que la recherche du bonheur devrait revenir principalement à soi. Toutefois, dans une seconde partie, on remarquera que le bonheur se comprend universellement, donc profitable à tout le monde.
I. Bonheur et égoïsme
1. Le souci de son bonheur est légitime
Tout d’abord, il nous semble évident qu’aspirer au bonheur dans notre souci de soi est la chose la plus légitime à l’égard de la condition humaine. Nous sommes jetés au monde face à l’angoisse de l’inconnu, sans guide sur une destinée précise. Comme l’a dit Schopenhauer : « Pour la plupart, la vie n’est qu’un combat perpétuel pour l’existence même, avec la certitude d’être enfin vaincus ». Puis, vient inéluctablement à notre conscience le scandale de la mort. Elle suggère que tout est vain puisqu’elle peut apparaitre à tout moment et qu’aucune construction humaine jusqu’ici ne semble lui résister. Que faire dès lors si ce n’est profiter pleinement de ce passage éphémère, mais nécessaire ? Et par profiter pleinement, entendre qu’il n’y a de quête qui mérite d’être engagée que celle de son bonheur ?
2. La recherche du bonheur peut être une conviction aveuglante
Malheureusement, le désir du bonheur peut être si fort qu’il pourrit écarter la considération d’autrui au cours de cette quête. Autrui n’est plus notre égal, mais seulement un moyen ou une entrave sur la voie. Certes, Il arrive qu’autrui se présente à notre conscience comme une existence plus précieuse que la nôtre, on pense à ceux qu’on aime. Nous disons que notre fin est son bonheur. Pourtant, il arrive qu’on soit tellement borné sur notre conception de ce dernier qu’on donne peu de poids à l’expression de l’autre, on se dit que celui-ci ne sait pas ce qui est bien pour lui et on s’arroge le droit de déterminer son bonheur. Une considération justifiable peut être à certains égards où autrui n’est pas toujours pleinement conscient, mais il reste que le bonheur est toujours sous-tendu par notre conviction. Exprimé d’une manière plus sournoise, Sartre, dans Critique de la raison dialectique, dévoile le paradoxe entre le souci pour autrui et ma vraie considération à propos de lui : « Le contre-homme, en effet, poursuit la liquidation des hommes en partageant leurs fins et en adoptant leurs moyens ; la rupture apparaît au moment où cette réciprocité trompeuse démasque le danger de mort qu’elle recouvre ». En pensant alors que mon bonheur et celui d’autrui devraient être pareillement conçus, il s’agit d’une forme d’égoïsme, dans le sens où je ne laisse pas autrui décider sa vie comme il l’entend, à cause des jugements préconçus sur ce que devrait être le bonheur.
Il semble que la quête du bonheur peut donc être de droit, et dans les faits égoïstes. Cependant, pourquoi dès lors a-t-on pu créer ces biens qui profitent à notre société, voir à l’humanité même dans son ensemble, si ce n’est dans le désir d’un bonheur commun ?
II. La recherche du bonheur vise le plus grand des biens
1. Le bonheur et le bien commun sont tout à fait compatibles
Il faut d’abord savoir que la quête d’un bonheur personnel parait difficilement réalisable dans une société sans éthique. C’est que chacun désire ardemment être heureux ; tout le monde veut avoir une part de paix ou veut s’affranchir de la misère, et sans règles de conduite qui limitent l’ardeur de ce désir, ce serait la guerre de chacun contre chacun. Imaginons qu’il y ait un sac plein de bonheur qui attend d’être partagé et qui est amplement suffisant pour tout le monde, mais sans une organisation qui nous discipline à être patient, ce serait une émeute où certains n’auront pas leur juste part et certains, qui en auront injustement profité, n’auront jamais l’esprit tranquille. Par conséquent, on met nos passions au service de l’idéal d’un monde meilleur, non seulement pour nous, mais pour une génération future ; on fait preuve de civilité, d’entraide et de sacrifice. Ainsi, dès qu’on remarque l’essor de notre civilisation, on peut dire que c’est aussi une quête partagée où les hommes peuvent faire preuve de concorde et de solidarité, fut-ce à travers des compromis. De manière plus abstraite et indirecte, Auguste Comte dirait : « Il faut que l’être se subordonne à une existence extérieure afin d’y trouver la source de sa propre stabilité ».
2. La quête du bonheur est un acte de développement personnel
Quand on recherche le bonheur, on peut agir pour soi-même, mais quand on le fait dans le souci d’un développement personnel, il ne s’agit pas d’un égoïsme. Premièrement, on ne peut avoir connaissance de ce qui nous rendrait heureux sans la méditer d’abord soi-même, et on n’a rien à méditer sans expérimenter pleinement l’existence, d’où la nécessité d’être ouvert à autrui. Puis, quand on se découvre une voie, c’est dans son engagement qui fera toute la différence. L’engagement égoïste est celui qui considère la responsabilité qui l’attend comme un poids, malgré qu’il veuille en tirer un intérêt, cet engagement ne mène pas au bonheur, car il accorde plus d’importance au besoin de compromis. L’engagement d’un développement personnel est celui qui prend la voie comme un défi, un espace pour se découvrir et développer pleinement son être. Cet engagement mènera à la satisfaction de vivre une vie qui vit, car étant en pleine autonomie, mais encore il respectera autrui en produisant un service qui porte la marque d’une volonté de perfectionnement. On peut emprunter ce passage de Ludwig Feuerbach dans Principes de la philosophie de l’avenir qui dit : « C’est vraiment tout autre chose d’être sujet ou de n’être qu’objet, d’être un être pour moi-même ou d’être seulement un être pour un autre être, c’est-à-dire une simple pensée ». Ainsi, par exemple, quand un homme considère son métier comme une vocation, il ne peut être qu’heureux dans son soin, car c’est une affirmation de son être et de la vie qu’il porte en lui, il en prend pleinement conscience par sa volonté active, mais aussi son épanouissement, il découvre ses tensions, se dépasse et se recrée continuellement dans sa lutte avec sa matière.
Comment le désir du bonheur, a priori si centré sur soi peut-il contribuer à un bien altruiste ? La quête du bonheur semble être certainement égoïste du fait que chacun, à l’égard de l’existence finie et qui semble absurde, a le droit de ne penser qu’au bien-être et plus exactement le sien. Par ailleurs, quand nous sommes convaincus d’une idée du bonheur, on considère peu ceux qui, dans sa quête, sont sur notre chemin, ou tout au plus ils ne sont que des moyens. Et si on pense aux bonheurs des autres, cela ne garantit pas qu’on ne soit pas borné dans notre propre conception du bonheur, en leur imposant ce qui devrait être. Toutefois, on remarque que ce n’est pas la quête du bonheur en soi qui est donc égoïste, mais la façon de l’engager. On peut penser au bonheur commun en faisant preuve d’éthique et de solidarité. Un sacrifice qui rend une conscience heureuse dans l’espoir d’une meilleure humanité. Plus fondamentalement, il n’y a de bonheur que dans le développement de soi, on pense bien à nous-même, mais dans l’engagement d’un plein développement de son potentiel : on est à la fois heureux car on est animé, on vit et on fait conséquemment preuve d’altruisme, en tout, on est activement responsable dans ce que l’on fait.