Sommes-nous responsables de tous nos actes ?

La responsabilité est la liaison et la soumission d’un individu aux jugements de la société par rapport à un acte consommé. En droit, elle est affiliée à l’obligation de répondre aux actes, que ceux-ci soient créateurs de dommages ou pas. Mais en philosophie, la notion de responsabilité fait intervenir la conscience et le jugement moral. En effet, la nature humaine engendre une problématique telle que l’homme aime le bien, cependant il est capable de pécher. De là vient le questionnement sur la moralité : sommes-nous responsables de tous nos actes ? Certes, la responsabilité renvoie à un engagement de l’individu pour les conséquences de son acte. Le fait de s’y soustraire signifie en quelque sorte notre complicité à faire le mal, si les actes étaient dommageables à autrui ; ou bien c’est le signe d’une défaillance au niveau de la capacité de l’individu à vivre avec ses semblables. Avons-nous le droit d’esquiver nos devoirs sous un prétexte quelconque ? Dans une première partie, nous traiterons ainsi des implications morales qu’engendre la notion de responsabilité. Et dans une seconde partie, il importe de réfléchir aux cas des individus qui dénigrent leur responsabilité, ce qui pourrait s’expliquer par un comportement anti-social.

I. Tout homme qui vit en société connait la responsabilité

A. La conscience morale est la base de la responsabilité

La manifestation de volonté directe (vol, agression, signature) et indirecte (consentement indirect à un contrat) engendrent systématiquement la responsabilité qu’elles soient dommageables ou pas pour autrui. En principe, deux individus souhaitent former un contrat si ces conditions sont présentes : premièrement s’il y a confiance entre les deux parties concernées, deuxièmement si ces derniers peuvent respectivement jouir d’un certain avantage, et troisièmement si les règles de droit permettent de les protéger en cas de défaillance de l’exécution du contrat. Ces conditions sont, avouons-le, très objectives, mais la notion de responsabilité, connue également sous le nom de conscience morale, que chaque individu est supposé détenir ne se manifeste pas explicitement. Empruntons la définition de Rousseau issue de l’Émile : « Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rend l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ». Elle est supposée aller de soi, et devrait précéder même la confiance et les règles de droit.

B. Une vie sociale sans responsabilité est impossible

Une société est une communauté d’individus qui réalisent leur volonté commune de vivre ensemble de manière harmonieuse. Mais comme dans toutes les entreprises humaines, l’imperfection est une possibilité à ne jamais écarter, comme le démontre l’existence des conflits d’idées, qui pourrait même se transformer en violence. Et puisque la vie en société est considérée comme une volonté et une nécessité pour ses membres, l’établissement d’un droit positif est un impératif. Dans ce cadre, la responsabilité n’est plus simplement du domaine de la conscience morale, c’est-à-dire du tribunal intérieur, mais se conçoit désormais dans le cercle de la juridiction pénale, à savoir devant le tribunal en tant qu’institution d’Etat. Dans une expectation plus large, Kant montre dans la Critique de la Raison pratique que « la conscience est la raison pratique représentant à l’homme son devoir pour l’acquitter ou le condamner en chacun des cas où s’applique la loi ».  Être responsable de ses actes devient alors un devoir et une obligation pour chaque citoyen, et la mission des autorités judiciaires consiste essentiellement à faire respecter et punir les infractions de la loi.

Ce sont l’individu et la société qui posent l’importance de la responsabilité dans toute sorte d’interaction humaine. Qu’en est-il alors des cas fréquents où l’homme se livre à des comportements irresponsables ?

II. L’absence de la volonté entraîne le renoncement à ses devoirs

A. L’homme est de nature égoïste

Si un homme se détourne de ses responsabilités, il le fait en tout état de conscience, c’est-à-dire volontairement. Il est donc responsable de son irresponsabilité. Il a conscience des répercussions de cette décision sur son rapport avec ses semblables, avec une éventuelle marginalisation de la part de la société. Il a également connaissance du bien et du mal, ainsi que des valeurs prônées par la société, et le fait d’assumer sa responsabilité en fait partie. Pascal disait vrai dans cet extrait des Pensées : « Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaiement que quand on le fait par conscience ». L’homme qui fait le mal est-il responsable ou pas ? Les conséquences qu’il devrait endosser s’il ne prend pas ses responsabilités sont encore plus lourdes. Donc, il n’échappe pas à son devoir d’homme et de sa condition d’être vivant en société. Ainsi, l’égoïste qui est principalement à la source de l’irresponsabilité est la recherche d’un plus grand bien au détriment de ce que la société pourrait offrir en termes de dignité et d’honneur. Cette disposition, bien qu’elle soit naturelle à l’homme, ne se développe pas de manière inconsciente. C’est toujours dans le cadre de la volonté, du jugement ainsi que d’une finalité qu’un individu décide d’exercer son égoïste.

B. La question d’irresponsabilité est centrale dans la morale

Les fous comme les enfants sont généralement écartés du concept de responsabilité morale et juridique en raison de leur incapacité à remplir les conditions psychiques et civiles pour endosser une accusation ou un effet de droit. En droit civil, l’imputation d’une responsabilité à un inapte n’est pas fondée lorsque la personne concernée est frappée d’une incapacité de discernement durable. Lorsque l’inaptitude est passagère, une ouverture à réparation peut être envisagée selon l’analyse du juge. Mais pour le cas d’un adulte conscient ayant des droits et des devoirs, le renoncement à ses responsabilités est punissable par la loi. Pour approfondir notre analyse, un individu perfide aurait pu préméditer son acte faisant les anticipations suivantes : je préfère renoncer à mon devoir et être puni, plutôt que de subir ces charges inutiles que la société m’incombe. Le juge se livrera alors à cœur joie de lui inculquer les peines maximales que la loi permet. Mais ce criminel n’est-il pas encore plus responsable de ses actes qu’un individu avec des comportements louables, mais le fait d’une manière peu conventionnelle ? Nous comprenons mieux alors ce que Bergson a voulu exprimer dans Les deux sources de la morale et de la religion : « L’obéissance au devoir est une résistance à soi-même ».

La responsabilité est à l’acte comme la folie est à l’inconscient. Les principes philosophiques et juridiques s’accordent ainsi à dire que tout acte générant droit ou dommage est créateur de responsabilité, à condition qu’ils aient été consommés en état de conscience. Des exceptions, voire des atténuations sont prises en compte par les juges et les analystes en ce qui concerne les actes exécutés en état d’absence encore en cas d’inaptitude passagère ou permanente, tel est le cas des fous et des enfants. Toutefois, la nature humaine nous montre bien souvent des états d’insouciance enfantins, ou encore des actes passionnels démesurés, qui dénigrent toute notion de responsabilité. Même étant adulte, on renie ou dans une large mesure nous fuyons nos responsabilités pour échapper à un hypothétique jugement dommageable. Et pourtant, cette fuite aura toujours des répercussions sur notre vie en société. Mais si nous acceptons de réparer notre tort, et qu’en conséquence tout revient dans l’ordre, la morale n’a-t-elle pas pour but de déguiser le mal par une simple compensation ?

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