Eprouver l’injustice, est-ce nécessaire pour savoir ce qui est juste ?

Dès notre plus jeune âge, nous apprenons à juger l’injustice à travers nos expériences quotidiennes, mais aussi à accepter les répréhensions lorsque nous sommes à l’origine de l’injustice. Derrière l’injustice se cache ainsi une notion d’inégalité ou d’impartialité qu’on cherche à rééquilibrer, tel que notre bon sens nous le dicte, ce qui engendrera des bienfaits pour l’individu et pour la société toute entière. Quand nous éprouvons l’injustice, cela nous apprend notamment à définir ce qui doit être, soit le « juste ». Toutefois, notre jugement n’est pas toujours parfait : les faits nous montrent des cas exceptionnels lorsqu’il s’agit de trancher sur ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Même dans les tribunaux, l’existence des Cours d’appel et de Cour de cassation est le signe que même un jugement basé sur les lois est encore susceptible d’être révoqué. La justice se détermine-t-elle selon la théorie ou selon l’expérience ? Pour commencer, la vie en société nous montre assez d’exemples qui nous enseignent le sens de la justice et du jugement impartial. Par la suite, nous dirons que non seulement subir l’injustice est indésirable, mais aussi que la notion de justice se comprend à travers notre lumière naturelle.

I. Les faits nous apprennent à confronter le juste et l’injuste

A. Chaque individu en société comprend et vit la justice

Lorsque nous recevons une ration de bonbons moins conséquente que celle de nos frères et sœurs, nous ressentons ce sentiment bizarre et flou qui nous rend tristes. Ici, il ne s’agit pas d’un simple manque de bonbon, ou bien d’un désir de sucreries inassouvi. Malgré notre jeune âge, nous sommes capables de déceler une anormalité de la situation, sans pouvoir déterminer avec des mots la justice ou l’injustice. La pratique nous fait confronter à des faits, mais ces derniers ne parlent pas d’eux-mêmes. Même en écoutant un récit qui relate des faits analogues, nous serons tout autant bouleversés et la narration éveillera en nous une certaine sensation de révolte. Comme le disait Pierre-Joseph Proudhon dans De la justice et de la révolution dans l’Église : « Justice est le produit de cette faculté de sentir sa dignité dans la personne de son semblable comme dans sa propre personne ». Ainsi, la justice n’est pas un idéal ou une abstraction de l’esprit, c’est un vécu et un ressenti à travers le commerce avec nos semblables.

B. Subir l’injustice rendra encore vivace notre sentiment de justice

En effet, prôner la justice est une chose, en subir les conséquences face à une horde de prétendus justiciers en est une autre. Il suffit de prendre l’exemple emblématique que nous offre la fin tragique de Socrate pour comprendre aisément que le courage d’affronter les accusations de nos détracteurs. Pour rappel, le maître de Platon a été accusé par le tribunal pour avoir corrompu la jeunesse athénienne. Voici les commentaires faits par Merleau-Ponty dans Éloge de la philosophie : « En fuyant, il deviendrait un ennemi d’Athènes, il rendrait la sentence vraie. En restant, il a gagné, qu’on l’acquitte ou qu’on le condamne, soit qu’il prouve sa philosophie en la faisant accepter par ses juges, soit qu’il la prouve encore en acceptant la sentence ». Ce n’est pas la mise à mort de Socrate qui est nécessaire, mais son courage de rester pour affronter le tribunal athénien. Le philosophe a déjà su, à travers ses doctrines, ce qu’est la justice. Mais cette connaissance s’est encore approfondie face à la tragédie qu’il a vécue.

La vie illustre des cas d’injustice percutants qui font naître en nous des sentiments de justice. Mais en se tenant comme simple observateur, nous ne pouvons pas vivre et mieux connaître la justice. Le droit est alors une forme de connaissance de ce qui est juste

II. La connaissance du juste est donnée par la raison

A. Le droit est un effort rationnel pour déterminer le juste

Dans chaque communauté humaine qui se forme et qui se maintient, la justice est à l’origine de cette harmonie. Cela n’exclut pas pour autant la présence de conflits d’intérêt et de tensions ponctuelles entre ses membres. Tout le monde connaît la justice, mais d’une manière vague. De plus, les circonstances sont assez multiples et complexes, ce qui ne permet pas aux hommes de régler les litiges dans le plus grand des calmes. C’est la raison pour laquelle le droit positif, c’est-à-dire les lois écrites, sont mieux adaptées pour servir de formule générale dans la résolution des conflits. Comme l’explique Spinoza dans le Traité théologico-politique, « la justice est une disposition constante de l’âme à attribuer à chacun ce qui d’après le droit civil lui revient ». En élaborant les lois écrites, les législateurs n’ont pas besoin de faire une revue complète de tout ce qui leur semble injuste. Ils se sont fiés à la raison pour édicter la définition de la justice.

B. L’idée de justice provient de la raison et non des faits

« L’état de nature est plutôt l’état de l’injustice, de la violence, de l’instinct naturel déchaîné, des actions et des sentiments inhumains », fait remarquer Hegel. Ici, nul besoin de se demander si l’état de nature a bel et bien existé avant l’état de culture. Car notre société serait un spectacle quotidien pour cet état de nature, lorsque l’application de la loi devient précaire. Il convient alors de souligner que la justice est ce qu’il y a de plus humain. Cependant, elle ne dépend pas des sensations corporelles, mais du jugement rationnel. En se référant à notre instinct intérieur, qui est le foyer de toutes nos pulsions naturelles, il n’y a rien qui puisse donner une considération envers autrui, donc notre corps ne suggère aucune idée de justice. La raison, par contre, est tout à fait apte de représenter cet idéal au même titre que le vrai et le beau. Donc, pour connaître ce qui est juste, il faudrait se référer à la raison et non aux faits.

Lorsque nous subissons l’injustice, nous nous exposons déjà à une situation qui nous permet de cerner ou d’analyser le juste. De manière immédiate, le sentiment d’inconfort vis-à-vis d’autrui est assez vif pour dire que la justice est une notion qui ne m’est pas étrangère. En effet, subir l’injustice est une preuve tangible qu’il ne s’agit pas seulement de connaître la justice en théorie, mais aussi dans la pratique, ce qui est fort enrichissant. Ainsi, l’homme juste connaît mieux la justice que le juge ou le législateur. Cependant, c’est un cas assez rare : la société est remplie d’exemples peu flatteurs en ce qui concerne les comportements raisonnables et justes. C’est pourquoi les lois enseignent mieux à la foule comment il faut traiter ses semblables dans une société régie par le droit. En somme, la justice est une notion abstraite que les hommes essayent de copier, mais de manière imparfaite.

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